Les interventions en séance

Aménagement du territoire
Hervé Maurey 16/11/2011

«Proposition de loi relative à l’abrogation du conseiller territorial - Motion n°4»

M. Hervé Maurey

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a à peine plus d’un an, le 9 novembre 2010, le Sénat adoptait le projet de loi de réforme des collectivités territoriales au terme de plus de 200 heures de débats passionnés en séance publique et de très nombreuses heures de travail en commission. Vous le savez tous, la création du conseiller territorial constitue la mesure la plus emblématique, le pivot, de cette réforme, qui devait simplifier l’enchevêtrement des compétences et des financements. À titre personnel, je m’étais prononcé en faveur de la création du conseiller territorial, laquelle vise non pas à supprimer le département ou la région, comme certains ont voulu le faire croire dans cet hémicycle et dans nos territoires, mais à les rapprocher. Je pense en effet qu’un même élu siégeant au département et à la région peut permettre une meilleure cohérence des politiques publiques menées aux échelons départemental et régional, sous réserve de régler un certain nombre de questions que j’évoquerai ultérieurement. Pour avoir siégé un certain nombre d’années dans une assemblée départementale, je sais qu’un conseiller général ignore les actions mises en place par le conseil régional, comme les conseillers régionaux ignorent certainement les actions mises en place par le conseil général, ce qui peut conduire à des politiques contradictoires ou redondantes des deux assemblées. Aujourd’hui, la nouvelle majorité sénatoriale entend supprimer le conseiller territorial, ce qui est son droit. Toutefois, je me pose un certain nombre de questions à cet égard. Pourquoi vouloir agir si vite, alors que les conseillers territoriaux ne devraient être élus qu’en 2014 et que le président du Sénat entend mettre en place des états généraux de la démocratie territoriale ? Pourquoi ne pas attendre la tenue de ces états généraux ? Pourquoi cette impatience, qui s’était déjà manifestée il y a deux semaines lors de l’examen de la proposition de loi déposée par Jean-Pierre Sueur, lorsque le groupe CRC avait demandé l’abrogation complète de la réforme, notre collègue Christian Favier indiquant qu’il souhaitait « voir la réforme du 16 décembre 2010 abrogée au plus vite ». Pourquoi cet empressement à supprimer sans rien proposer à la place ? Quelle contradiction, mes chers collègues, entre les propos du président du Sénat, qui dit vouloir, au travers des états généraux de la démocratie territoriale, bâtir « le creuset d’une nouvelle réflexion sur les droits, les libertés des collectivités locales, sur les compétences, les financements et les solidarités territoriales, en un mot sur le devenir de la France des territoires », tout cela dans « un dialogue serein et respectueux de chacun », et cette hâte à tout « déconstruire » pour le plaisir ! Où est ce dialogue « serein et respectueux », quand on veut, à la va-vite, supprimer le dispositif phare d’une réforme sans aborder l’ensemble des questions liées à ce sujet ? Comment parler de respect et de dialogue quand on décide tout, avant la discussion et l’échange ? Dans ces conditions, à quoi serviront ces états généraux, si ce n’est à une communication politique réalisée aux frais du Sénat et des contribuables ? La motion que je défends aujourd’hui, au nom du groupe de l’Union centriste et républicaine, est fondée sur une conviction : la question du conseiller territorial ne peut être isolée d’un certain nombre d’autres sujets importants, qui lui sont fondamentalement connexes. Je pense à la répartition des compétences entre le département et la région, au statut de l’élu, au cumul des mandats, au mode de scrutin et à la parité. Nous avions été nombreux, dans cet hémicycle, notamment au centre et à gauche, à reprocher au Gouvernement de ne pas aborder l’ensemble de ces sujets. Aussi, je m’étonne que la nouvelle majorité fasse aujourd’hui ce qu’elle dénonçait quand elle était, il n’y a pourtant pas si longtemps, dans l’opposition. Peut-être même fait-elle pire ! Pour notre part, et en toute cohérence, nous considérons que le maintien ou la suppression du conseiller territorial ne peut être décidé qu’en lien avec l’ensemble de ces points. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui doit donc être renvoyée à la commission des lois, afin que cette dernière puisse examiner l’ensemble de ces questions et intégrer à notre réflexion les fruits du « dialogue serein et respectueux » promis par le président du Sénat. Sur la question des compétences, je fais partie de ceux qui ont approuvé le Président de la République quand il appelait à leur clarification, en déclarant notamment, le 7 janvier 2009, à l’occasion de ses vœux aux parlementaires, « lorsque tout le monde se mêle de tout, personne n’est responsable de rien ». Je fus donc extrêmement déçu que les versions successives du projet de loi de réforme des collectivités territoriales conduisent à renoncer à une véritable clarification des compétences, qui doit aller de pair avec la création du conseiller territorial. La question du statut de l’élu, évoquée depuis de nombreuses années, revêt aujourd’hui une acuité particulière avec la création du conseiller territorial, compte tenu de l’importance des fonctions assignées à ce dernier. Celui-ci devra en effet siéger au conseil général et au conseil régional, ainsi que dans un nombre beaucoup plus grand d’organismes : là où il siégeait dans un collège, il siégera dans plusieurs collèges et dans un ou plusieurs lycées. Il représentera un territoire beaucoup plus grand et comportant beaucoup plus de communes. À ce propos, j’avais indiqué le 26 janvier 2010 à M. le garde des sceaux, Michel Mercier, combien il était indispensable que « des assurances nous soient données sur le statut de cet élu qui garantissent qu’il aura le temps d’exercer ses fonctions ». Il sera en effet quasi impossible d’exercer un tel mandat dans le cadre d’une activité professionnelle, comme peut le faire aujourd’hui un conseiller général ou régional. Ces questions devaient être évoquées lors de l’examen du projet de loi n° 61, très attendu, mais reporté, et relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale. Elles devront donc être abordées par la commission des lois. En ce qui concerne le cumul des mandats, je suis de ceux qui considèrent que cette question doit être révisée. Il n’est pas normal, par exemple, j’ai eu l’occasion de le dire lors du débat du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, que les fonctions de président d’EPCI ne soient pas concernées, même si cet établissement public est important, par les dispositions relatives au cumul des mandats, alors que celles de conseiller municipal le sont. Nous avions fait adopter par le Sénat un amendement visant à intégrer dans les règles du cumul la présidence d’un EPCI de plus de 50 000 habitants. Cette disposition, alors que le seuil était très élevé, pour ne pas dire trop, avait été supprimée par l’Assemblée nationale. La question doit donc être revue, et la situation du conseiller territorial examinée précisément. Par ailleurs, eu égard à l’importance de sa mission, il y a tout lieu de se demander s’il remplit une ou deux fonctions ! Sur ce point également, un examen plus approfondi s’impose. Enfin la question du mode de scrutin est tout à fait essentielle. Au-delà de nos débats pour savoir si le conseiller territorial doit être élu au scrutin uninominal majoritaire ou au scrutin mixte, force est de constater qu’aujourd’hui le mode de scrutin retenu et le tableau des effectifs, après sa modification résultant de la première censure du Conseil constitutionnel, cumule tous les inconvénients. En effet, nous avons à la fois des conseillers territoriaux qui risquent de représenter non seulement des territoires trop grands, avec un nombre de communes trop élevées – 50 à 60, voire plus dans certains cas –, mais aussi des assemblées pléthoriques. Le nombre de conseillers territoriaux serait de 299 en Rhône-Alpes, de 226 en PACA; et de 251 en Midi-Pyrénées. Peut-on trouver un système pour remédier à cette situation ? Peut-on envisager que tous les conseillers territoriaux ne siègent pas au conseil régional ? Peut-on régler cette difficulté avec un scrutin majoritaire en zone rurale, où le canton a une vraie existence, et un scrutin de liste en zone urbaine ? Comment faire en sorte que la représentation des territoires soit mieux appréhendée ? Est-ce possible sans une modification de la Constitution ? Toutes ces questions, là encore, méritent un examen très approfondi. Par ailleurs, en lien avec la question du mode de scrutin, se pose celle de la parité. Le mode de scrutin choisi entraînera un recul très important de la parité dans les conseils régionaux, qui est actuellement de presque 50 %. Une solution doit être proposée pour éviter un tel recul. Tous ces éléments le démontrent, mes chers collègues, la suppression du conseiller territorial, objet de la présente proposition de loi, ne peut se faire de manière hâtive et déconnectée de ces problématiques connexes. Tel est le sens de notre demande de renvoi à la commission, que devrait soutenir la majorité si elle était cohérente avec les propos qu’elle tenait quand elle était encore dans l’opposition. Mais j’avoue craindre qu’elle ne le fasse pas, car j’observe à regret que la majorité sénatoriale ne souhaite ni légiférer ni réformer, comme en témoigne l’ensemble des propositions de loi qu’elle fait inscrire à l’ordre du jour de notre Haute Assemblée. La nouvelle majorité souhaite uniquement, dans le cadre d’une campagne électorale qu’elle a déjà engagée, faire des coups politiques. Nous l’avons vu cet après-midi, nous le constatons cette nuit, à deux heures et demie du matin. Cela ne nous semble ni sérieux ni conforme à la vocation de la Haute Assemblée, laquelle, jusqu’à présent, a toujours privilégié le travail de fond aux manœuvres politiciennes. J’appelle d’ailleurs votre attention, mes chers collègues, sur les risques que votre attitude fait peser sur l’image et la réputation de sérieux du Sénat et, par là même, sur son rôle. Quoi qu’il en soit, le groupe de l’Union centriste et républicaine ne se retrouve pas dans une telle démarche. Je rappelle qu’il n’y a aucune urgence à voter ce texte, puisque, je le répète, les conseillers territoriaux ne seront élus qu’en 2014. Il est préférable de prendre plus de temps pour légiférer de manière satisfaisante, au lieu de voter à la sauvette et nuitamment, comme vous le faites depuis plus d’un mois, quantité de textes sur des sujets aussi importants que celui-ci, uniquement pour faire des coups politiques. En conclusion, je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cette motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi relative à l’abrogation du conseiller territorial. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)