Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Vincent Capo-Canellas 16/06/2014

«Proposition de loi visant à créer des polices territoriales et portant dispositions diverses relatives à leur organisation et leur fonctionnement»

M. Vincent Capo-Canellas

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai déjà eu l’occasion, lors du débat qui a fait suite au dépôt du rapport d’information de nos collègues René Vandierendonck et François Pillet d’indiquer l’orientation générale du groupe UDI-UC au sujet des polices municipales. En premier lieu, j’ai salué le pragmatisme des auteurs : il est utile de reconnaître le rôle des polices municipales, qui agissent en complémentarité avec l’État dans l’effort de coproduction de la sécurité. Mon expérience de maire d’une commune de banlieue, en Seine-Saint-Denis, me permet d’affirmer que, face au grand défi que constitue l’insécurité vécue par nos concitoyens comme un fléau, nous devons faire preuve de pragmatisme et essayer, en tant que législateurs et représentants des élus locaux, de mettre en place l’ensemble des moyens qui concourent à l’amélioration de la sécurité. Tel est évidemment l’enjeu de l’action que nous devons conduire, dans le respect du rôle de chacun. Il faut, par conséquent, apprécier à sa juste valeur la démarche qui consiste à privilégier une approche pragmatique plutôt qu’idéologique dans ce domaine de la sécurité. Cela obligera certains à se convertir au réel ; tant mieux ! Car c’est bien se convertir au réel que de reconnaître pleinement les polices municipales et d’admettre le rôle utile des CSU. Par conséquent, ce rapport nous a intéressés autant par ce qu’il contenait que par ce qu’il ne contenait pas, autant par les changements qu’il préconisait que par ce qu’il s’abstenait de remettre en cause. Je veux réaffirmer ici mon profond respect pour l’ensemble des forces de l’ordre, qui agissent au quotidien pour la sécurité de nos concitoyens. Je parlerai principalement, bien sûr, de ceux qui sont concernés par cette proposition de loi, les policiers municipaux, mais je n’oublie pas que la production de la sécurité est une coproduction ; c’est donc à tous les agents de police, au sens large, qu’il faut nous adresser. Et nous ne devons pas oublier le prix qu’ils paient chaque année, avec des blessés mais aussi, parfois, des morts – nous avons tous un certain nombre de drames en mémoire. Au-delà du consensus que recueille l’excellent travail engagé par nos deux collègues, il nous faut rappeler ici une évidence, qui était en filigrane dans les propos de Jean-Vincent Placé : les maires en viennent à créer des polices municipales lorsqu’ils ont perdu l’espoir de voir dans leur commune des effectifs de police nationale suffisants pour faire face à la délinquance. En mettant alors en place un service complémentaire par rapport à la police nationale, ils font preuve de responsabilité, prenant pleinement la mesure de l’engagement nouveau et quotidien que cela implique et les risques afférents. L’utilité des polices municipales est réelle. En tant que représentant du secteur urbain, je tiens à dire que, dans des communes comme la mienne, avec des taux de délinquance qui avoisinent 100 faits pour 1 000 habitants, le travail de retissage du lien avec la population est très important. C’est une question de présence sur le terrain, de remontée d’informations, mais aussi de partenariat avec des services d’enquête, parfois à leur demande : un CSU bien mené fournit à la police nationale et aux services d’enquête spécialisés des éléments de preuve tout à fait appréciables. J’ai ainsi réussi, dans ma commune, à faire baisser le taux de délinquance de 30 points : certes, nous partions d’assez haut, avec un taux de 95 pour 1 000, mais il a été ramené à 65 pour 1 000. Il ne s’agissait pas de faits de grande délinquance, mais leur nombre était significatif – et ils restent, malgré tout, trop nombreux. Il faut donc considérer ces sujets avec pragmatisme et responsabilité. Il est heureux, de ce point de vue, que les polices municipales se soient professionnalisées. Lorsque la police nationale et la police municipale, lorsque les hommes et les femmes qui les composent travaillent bien ensemble, dans le respect du rôle de chacun, il peut s’ensuivre une coproduction extrêmement utile pour faire face aux défis posés par une délinquance toujours changeante, mouvante, à laquelle nous devons évidemment nous adapter. Vous avez donc proposé des ajouts, des compléments au droit existant en matière de formation, d’avancement, d’agrément : mieux encadrer et mieux cadrer le rôle des ASVP, ainsi que celui des opérateurs des CSU. Tout cela se conçoit fort bien. Les conventions de coordination entre la police municipale et la police nationale sont un outil dont il ne faut pas exagérer la portée, même si elles peuvent être utiles. Le rééquilibrage recherché est positif. Je voudrais cependant exprimer une légère inquiétude : le partenariat est avant tout une affaire d’hommes ; par conséquent nous ne devons pas tout codifier dans des conventions. Tout fonctionne bien si les hommes s’entendent.
Le commissaire de police et la police nationale ont un rôle éminent, tandis que la police municipale fournit des moyens. Mais elle n’est pas là pour décider, y compris en matière d’ordre public, et le maire n’a pas à décider dans ce cadre-là. La conduite des opérations se fait sous l’autorité du commissaire. C’est un équilibre qui n’est pas simple à trouver, mais qu’il nous faut savoir assurer.
Ces questions soulèvent donc tout de même un certain nombre de débats sur lesquels je veux revenir. L’intercommunalisation nous conduit à changer la dénomination des polices municipales pour en faire des « polices territoriales ». J’ai déjà dit en commission combien j’étais sceptique à l’égard de ce changement d’appellation. Il me semble en effet que l’apport de ce changement est extrêmement limité, mais que ses inconvénients sont réels. Je proposerai tout à l’heure, par un amendement, que l’on donne de la souplesse aux communes afin que, lorsqu’elles le souhaitent, elles puissent décider de garder l’appellation « police municipale ». La police territoriale créée par la proposition de loi dont nous débattons pourrait alors prendre l’appellation « police municipale » si le conseil municipal le décide. Selon moi, ce sujet n’est pas seulement symbolique. En effet, cette manie que nous avons, dans les textes, de changer les noms – plutôt que de faire autre chose – a un coût : elle exaspère ceux qui travaillent sur le terrain. Existe-t-il une bonne raison de changer le nom de quelque chose qui fonctionne ? Je n’en vois pas ! En outre, je pense que ce texte n’apportera pas de révolution autre que le changement de nom dans les villes qui ont déjà une police municipale. Il faudra alors expliquer aux agents pourquoi changer ce nom. Il y a des agents pour qui la question de l’appellation a un sens particulier : ce sont des services d’autorité qui aiment savoir devant qui ils doivent répondre de leur action. Or ils n’en répondent pas devant un vague territoire, ils en répondent devant le maire et ils sont payés par la commune. Il s’agit aussi d’une claire distinction avec les services de l’État : le nom de « police municipale » signifie bien que l’on n’est pas dans le cadre de la police nationale. Ces deux appellations, « police municipale » et « police nationale », me semblent donc être bien claires. J’ajoute que la police municipale requiert un effort financier important pour les communes, comme cela a été dit tout à l’heure. Dès lors, il n’est pas inutile qu’elle se nomme « police municipale ». Son budget est bien puisé dans les ressources de la commune. Après tout, un peu de visibilité ne nuit pas ! Il ne faut pas non plus tomber dans le piège d’une restriction des pouvoirs des polices municipales ou des objectifs qui leur sont donnés. Celles-ci doivent s’inscrire dans une complémentarité avec la police nationale et pouvoir ainsi participer à l’information de la police nationale, à la remontée des témoignages. En ce qui concerne en particulier les CSU, il faut être conscient qu’ils permettent d’observer ce qui se passe, de renseigner la police nationale, de prévenir la délinquance et de fournir des éléments de preuve – attention à ne pas dériver sur ce point ! Prenons garde à ne pas trop spécialiser la police municipale en adéquation avec les pouvoirs de police du maire. Bien sûr, elle est d’abord là pour les traduire dans les faits, mais, en vertu de l’article 40, et comme cela se passe aujourd’hui, elle est également tenue de transmettre à la police nationale un certain nombre d’informations et de concourir à des enquêtes. L’armement pose le même type de problèmes : exposer des agents implique en effet de déployer des moyens. Pour ce qui est de la sérigraphie sur les équipements, je l’ai dit, je pense qu’il y a un acquis. Par conséquent, changer les couleurs, la typographie, etc., va d’abord énerver tout le monde sur le terrain. En outre, la police municipale est aujourd’hui bien identifiée. À quoi bon changer ses couleurs ? Je comprends que l’on veuille la distinguer de la police nationale, mais certains faits sont acquis aujourd’hui. Ça marche ! Pourquoi changer ce qui fonctionne ? Je terminerai, monsieur le ministre, en vous disant que ce sujet relève de l’intérêt général. L’équilibre est complexe. J’aurai l’occasion, au cours de la discussion des articles, de revenir sur un certain nombre de points. Il faut faire preuve de pragmatisme et d’efficacité. Améliorons ce qui peut et doit être amélioré, mais veillons à ne pas déstabiliser un édifice qui peut parfois paraître fragile. Enfin, surtout dans des territoires où la délinquance est forte, veillons à ce que tout le monde continue à travailler ensemble. C’est là, je crois, l’essentiel. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)