Les interventions en séance

Affaires sociales
16/06/2011

«Projet de loi relatif aux soins psychiatriques - Explication de vote»

 

Mme Muguette Dini, Présidente de la Commission des Affaires sociales

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je précise que c’est bien à titre personnel, et non en tant que présidente de la commission des affaires sociales, que je vais m’exprimer en cet instant. Nous achevons ce soir la deuxième lecture de ce projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques. Force est de constater que ce texte n’est guère différent de celui que nous avons examiné en première lecture. Les tentatives du Sénat visant à clarifier la notion de soins sans consentement sous une autre forme que l’hospitalisation complète ont été remises en cause par l’Assemblée nationale et cette notion demeure aussi incertaine et ambiguë. Nous avons certes apporté des précisions utiles et importantes sur les conditions d’intervention du juge des libertés et de la détention, mais les travaux parlementaires n’ont pas permis de clarifier ce texte très complexe et d’une lecture difficile. Ce matin, madame la secrétaire d’État, vous nous avez dit : « Je veux que, demain, les personnes qui entrent dans la maladie soient aidées et soignées plus rapidement qu’aujourd’hui ». Mais votre texte multiplie les procédures, les certificats, et ne prévoit aucun moyen pour les mettre en œuvre. Vous nous avez dit : « Je veux que les situations d’urgence psychiatrique trouvent, en tout endroit du territoire national, une réponse adaptée. » Mais les dispositions relatives à l’urgence, introduites dans le projet de loi en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, sont d’une grande ambiguïté : elles laissent penser que les patients pourront être retenus pendant quarante-huit heures sans être encore admis en soins psychiatriques sans consentement, et donc sans disposer d’aucun droit. Vous nous avez dit : « Je veux qu’à partir d’un diagnostic partagé, de telles orientations soient débattues et élaborées avec les représentants des usagers, des professionnels et des sociétés savantes. » Voilà quelques semaines, vous déclariez devant la commission des affaires sociales que, « derrière le brouhaha produit par certains », de nombreux professionnels accompagnaient ce texte. Les récentes déclarations de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne ou de la Fédération nationale des patients en psychiatrie contredisent cette affirmation. Nous pensions que vous espériez voir le Sénat adopter le texte sans modification. Mais, entre-temps, le Conseil constitutionnel a bousculé ce projet en jugeant que ce texte était inconstitutionnel avant même d’être adopté. À cet égard, je souhaite rendre très sincèrement hommage au Président de la République : le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité, qu’il a proposé d’introduire dans la Constitution, nous impose en effet une vigilance plus grande lorsque nous légiférons dans des matières qui mettent en cause les libertés fondamentales. Que nous dit le Conseil constitutionnel ? Que le préfet a toute légitimité pour hospitaliser en urgence des personnes qui menacent la sécurité publique en raison de leurs troubles mentaux ; mais que sa légitimité est beaucoup moins avérée pour maintenir à l’hôpital des personnes lorsque les psychiatres qui les soignent estiment que celles-ci peuvent quitter l’établissement d’accueil. Aujourd’hui, nous devons intervenir en urgence sur cette question délicate et nous aboutissons à cet étrange paradoxe : alors que l’objectif recherché depuis de nombreux mois était de diminuer le pouvoir des psychiatres pour accroître celui des préfets, nous obtenons le résultat exactement inverse sans avoir pu, cependant, mener une réflexion approfondie sur cette question. Il n’est d’ailleurs pas certain que nous soyons allés au terme de la démarche : quelle est en effet la légitimité du préfet pour ordonner une mesure de soins sans consentement sous une autre forme que l’hospitalisation si les psychiatres ne lui proposent pas de retenir cette forme de prise en charge ? Au lieu de modifier le texte de l’article 3 du projet de loi sur les soins à la demande du préfet, nous avons adopté un article additionnel qui évite opportunément de laisser en discussion ledit article, dont les dispositions sont au cœur de la décision du Conseil constitutionnel. En procédant ainsi, deux dispositions partiellement contradictoires ont été adoptées en toute connaissance de cause. Désormais, lorsqu’un psychiatre demandera la levée d’une mesure d’hospitalisation complète et que le préfet refusera de faire droit à cette demande, le directeur de l’hôpital devra à la fois saisir le juge pour qu’il tranche le différend et demander un second avis médical qui entraînera la mainlevée de l’hospitalisation s’il est conforme au premier... Tout cela n’est vraiment pas cohérent. J’espère que l’on ne viendra pas maintenant nous demander de rouvrir, en commission mixte paritaire, les articles adoptés conformes par les deux assemblées. En définitive, et je rejoins la majorité de nos collègues, ce projet de loi est une occasion manquée d’avoir un vrai débat sur l’organisation de la psychiatrie et de la santé mentale dans notre pays. Je suis persuadée que nous serons obligés de revenir prochainement sur ce dossier pour l’aborder dans toutes ses dimensions et dans le cadre d’une concertation réellement approfondie avec les usagers, les familles et les professionnels. Si, contrairement à certains de mes collègues, j’approuve tout ce qui concerne la protection des libertés des malades hospitalisés sans consentement, je ne suis, vous le savez, pas du tout d’accord avec l’hospitalisation sans consentement en ambulatoire. La présentation de deux textes distincts m’aurait permis de moduler mon vote. Comme ce n’est pas le cas, et parce que je ne constate aucune amélioration à l’issue de la deuxième lecture, je ne participerai pas au vote, comme je l’avais déjà fait lors de la première lecture.