Les interventions en séance

Aménagement du territoire
16/02/2011

«Proposition de loi relative à l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en langue régionale»

M. Joseph Kergueris

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est pour vous dire l’accord du groupe de l’Union centriste, mais aussi la perplexité que ce texte a fait naître, que je m’exprime aujourd’hui devant vous. Une proposition de loi visant à consacrer explicitement le droit des communes à disposer des panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en français et en langue régionale ? Oui, bien sûr !
Comme vous pouvez vous en douter, mes chers collègues, le Breton que je suis ne peut être que particulièrement sensible à cette question, d’autant que le département français que je représente ici est le seul à ne pas porter un nom français et à être désigné en breton, langue régionale qui m’est chère entre toutes. Vous le savez, en breton, Morbihan signifie « petite mer ». C’est vous dire si je me sens concerné ! Or, en préparant ce débat, je me suis rendu compte que l’appellation choisie par les constituants de 1789, si je ne m’abuse, était quelque peu en contradiction avec l’article 3 de la loi du 4 août 1994 : en effet, le Morbihan est le seul département à faire l’objet, à l’entrée, d’une « annonce faite sur la voie publique », « destinée à l’information du public » mais en langue bretonne, et non pas en langue française !
Qu’importe, cela ne doit pas nous empêcher de vivre ! Le vif intérêt que ce texte a suscité en moi s’est cependant doublé non pas d’inquiétude, mais d’une relative perplexité. En Bretagne, la plupart des communes ont déjà installé des panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération bilingues et les départements ont choisi depuis de nombreuses années d’installer une signalétique bilingue, laquelle a la particularité de ponctuer notre vie régionale à l’intérieur de la République. Ces agglomérations sont-elles en infraction ? À mes yeux, la réponse est négative. Et là réside le paradoxe, puisque c’est l’exposé des motifs de cette proposition de loi qui m’en a convaincu. Avec tout le respect que j’ai pour les auteurs de ce texte, je dois leur dire en effet que c’est la première fois que je vois l’exposé des motifs d’une proposition de loi démontrer avec autant d’efficacité le caractère relatif de son utilité ! Comme l’expliquent très bien les auteurs, ni la loi ni la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’interdisent l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération bilingues. Ainsi, comme vous l’avez signalé, madame le rapporteur, la combinaison des articles 3 et 21 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française permet cette pratique, ce qu’ont confirmé les Sages de la rue de Montpensier dans leur décision du 29 juillet 1994 relative à la loi précitée. Dans ces conditions, et en vertu du principe selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est autorisé, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, pourquoi une loi ? Certes, mon cher collègue, mais légiférer en la matière pourrait, à certains égards, avoir pour effet de restreindre les pratiques actuelles, et je pense en particulier à la signalétique routière. Sans doute est-ce là ce qui nous sépare : pour ma part, je considère que le cadre légal actuel permettait beaucoup, et je ne suis pas certain qu’il en ira de même du nouveau.
Vous invoquez deux arguments. Premièrement, vous voulez prévenir tout risque de contentieux et donc sécuriser la pratique.
Force est de constater que, pour l’heure, seul un jugement du 12 octobre 2010 du tribunal administratif de Montpellier semble restreindre le cadre de l’autorisation. Certes, ce jugement est loin de nous satisfaire, mais, compte tenu des possibilités de recours, n’est-il pas un peu léger de légiférer tout de suite ? (Oh ! sur les travées du groupe socialiste.) Mais, au bénéfice du doute, je suis prêt à vous suivre sur ce point de votre argumentation. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste. – Mme le rapporteur approuve également.) Le second argument que vous avancez est d’une autre nature, politique celle-là, et donc plus intéressant et à maints égards plus convaincant. En effet, la présente proposition de loi manifesterait une nouvelle ouverture en direction des langues régionales. Nous sommes tous convaincus que c’est une nécessité. Les langues régionales font partie intégrante de notre patrimoine et je m’empresse de préciser quelles font partie non seulement de notre patrimoine culturel, mais aussi de notre patrimoine tout court : c’est ce que nous avons reçu de nos pères. Elles sont des marqueurs d’identité et d’identification de nos territoires. La présente proposition de loi a le mérite d’ouvrir un véritable débat ; il nous faudra légiférer sur les langues régionales. D’ailleurs, le Gouvernement s’y est engagé devant nous ici même. Pour terminer, je salue le remarquable travail effectué par la commission de la culture et par son rapporteur, Colette Mélot. Je partage les préoccupations qui sont les siennes et je soutiendrai les amendements qu’elle a présentés, qui tendent à améliorer substantiellement la qualité juridique du texte qui nous est proposé.
Ainsi modifiée, cette proposition de loi sera de nature à éviter de nouvelles restrictions jurisprudentielles. Surtout, elle ouvre un vrai débat qu’il nous faudra poursuivre, j’en suis certain.
C’est pourquoi nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)