Les interventions en séance

Collectivités territoriales
16/01/2013

«Projet de loi relatif à l՚élection des conseillers départementaux et municipaux, et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral, ainsi que du projet de loi organique relatif aux élections »

M. Jean Boyer

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, reconnaissons que notre société est en permanente évolution et que, parallèlement, son organisation doit suivre les mutations successives et s’adapter à elles. Comme l’a écrit un auteur que j’admire, Saint-Exupéry, « Dans la vie, il y a le passé, où sont nos souvenirs » – personnellement, j’ajouterais peut-être nos regrets, y compris pour ce qui concerne les décisions publiques – « l’avenir, où sont nos espérances » – nous devons remplir notre mission de bâtisseur de la société de manière constructive, et bien sûr non partisane – « et il y a le présent, où sont nos devoirs. » Or notre mission est de bien définir et de construire objectivement l’avenir, en le regardant en visionnaire, y compris dans les territoires ruraux, qui n’ont pas mérité de subir une sanction. Je le souligne devant M. le ministre, pour qui, je le dis publiquement, j’ai une indiscutable considération. Comme nous le savons tous, la France urbaine et la France rurale ont évolué. Depuis un demi-siècle, dans nombre de départements, le rapport de population entre la seconde et la première, de l’ordre de 80 % à 20 %, s’est inversé. Je suis élu d’un territoire rural et montagneux. Sur les 260 communes que compte mon département, 249  sont classées en zone de montagne et 186 en zone de revitalisation rurale, ou ZRR. Ces 186 communes représentent près de 70 % du territoire départemental, avec des centaines de kilomètres de voirie rurale, communale, vicinale ou départementale. De surcroît, ces territoires s’expriment en faveur du maintien des services publics, notamment le ramassage scolaire, pour n’en citer qu’un parmi d’autres. Toutefois, malgré la volonté, la richesse économique ne vient pas facilement car, on le sait, les entreprises vont là où elles veulent, et non là où on veut les faire aller. Les handicaps de la montagne sont d’ailleurs reconnus par la politique agricole commune – c’est un ancien agriculteur qui vous parle – non pour donner un privilège aux territoires concernés, mais pour atténuer les disparités existantes. J’ai cité l’exemple de la Haute-Loire, car je le connais bien, et même très bien, mais cette réalité pourrait être transposée dans beaucoup d’autres départements français. Or le projet de loi n’associe pas suffisamment l’espace à gérer à la présence des hommes. Il va aggraver les différences, il va décourager les volontés : nous n’en avons pas le droit ! Monsieur le ministre, reconnaissons que les gouvernements, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui, admettent mal qu’il y ait une France rurale, une France silencieuse, une France presque de l’oubli, mais une France qui compte des élus et des petites communes. Ils souhaiteraient donc tout regrouper comme dans une copropriété ; resterait simplement à entretenir le parking et la station d’épuration ! Mais il y a également des dizaines et des dizaines de kilomètres de chemins à entretenir… À cet égard, je tiendrai les mêmes propos qu’il y a quelques années. En effet, en tant que rural, lorsque l’on vit les problèmes sur le terrain, on n’a certes pas plus de compétences, mais on a peut-être plus que d’autres la farouche détermination de répondre aux problèmes posés. Il ne doit pas y avoir des territoires sans hommes, de terres sans avocats ! Le futur conseiller départemental ne doit être ni un représentant de commerce ni un voyageur kilométrique, qui se découragerait face au temps passé sur les routes ou les chemins difficiles. Et pour joindre son binôme au téléphone, le conseiller départemental cherchera en vain à recourir à la téléphonie mobile, qui reste en sommeil dans nos territoires ! Oui, je suis de ceux qui ont déposé des amendements, afin d’aller dans le sens qui me semble le bon. De fait, moins il y aura d’élus, moins la population sera sécurisée, et plus elle sera incitée à quitter les campagnes pour rejoindre les villes, en particulier les grandes agglomérations. Assurera-t-on une plus grande efficacité, en gardant le même nombre de conseillers départementaux, avec des responsabilités partagées dans tous les domaines politiques ou associatifs ? On l’observe, les binômes ne fonctionnent pas. Imaginez s’il y avait deux préfets pour un même département, deux présidents pour un même conseil général ! Je citerai un exemple très concret : lorsqu’une association locale ou nationale est dotée d’une coprésidence, le plus souvent, cela va mal et, d’ailleurs, cela ne dure pas longtemps… Chers collègues, à Paris, à Marseille ou à Lyon, un conseiller général connaît son territoire, mais les électeurs, eux, ne le connaissent pas. En revanche, en zone rurale, dans un département comme la Haute-Loire, lorsque nous nous rendons au sein des associations, nous n’avons pas besoin de porter un badge ou de présenter notre carte d’identité, parce que nous sommes connus ! Notre rôle, c’est précisément de mettre un nom et un prénom sur les visages de ceux avec qui nous avons en partage un même pays. En revanche, j’ouvre une parenthèse pour rappeler que si l’on peut oublier sa carte d’identité, il faut avoir sur soi son portefeuille : l’amitié doit se concrétiser ! (Sourires.) Alors, non, le gouvernement d’aujourd’hui pas plus que celui d’hier ne souhaite prendre en compte ce que j’appellerai « l’espace à gérer ». Je voudrais vous présenter en conclusion un exemple qui devrait nous faire réfléchir. J’ai fait procéder à une projection vraisemblable des futurs cantons de Haute-Loire. L’urbain s’étend actuellement sur 800 hectares, en prenant comme base les 12 400 habitants de la référence départementale. Mais, selon nos simulations, certains des futurs cantons pourraient s’étendre sur 106 400 hectares ! Je tiens le détail de ces chiffres à la disposition de qui pourrait douter de la véracité de mon propos. Monsieur le ministre, peut-on penser que tout cela est raisonnable ? Si nous ne changeons pas les règles envisagées, nous rencontrerons de nombreux obstacles. Alors, je vous en prie, avant de mettre en place ces structures invraisemblables, réfléchissons, et décidons objectivement. La France rurale vous en remerciera. Je termine en répétant que votre action, monsieur le ministre, est appréciée par beaucoup, dont je suis. Vous pourrez me répondre que je m’occupe de ce qui ne me regarde pas, mais ne pensez-vous pas que ce projet de loi risque de ternir cette bonne image, celle d’un homme clair, déterminé, d’un homme qui inspire la confiance ? Pour ma part, je suis certain que ce sera le cas. Face à l’ancien gouvernement, j’aurais émis le même vote d’opposition, parce que je vis depuis soixante-quinze ans là où je suis né. Il est normal qu’un élu d’un département rural vous apporte le message de la France d’en bas ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)