Les interventions en séance

Aménagement du territoire
15/10/2012

«Proposition de loi visant à faciliter le transfert des biens sectionaux aux communes»

M. Pierre Jarlier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question des biens de section est enfin soumise au Sénat : un texte spécifique leur est dédié. C’est une excellente chose, car les élus locaux de plus de 2 500 communes de notre pays concernés par ce droit, qui a résisté à la Révolution française, attendent une modification de la législation avec une certaine impatience. En effet, on ne compte plus les situations de blocage, les conflits liés au mode d’attribution comme au mode de gestion actuel de ces biens, ou encore les contentieux résultant de l’application d’un droit d’un autre temps et d’une complexité rare sur laquelle même les meilleurs juristes s’interrogent. L’initiative de notre collègue Jacques Mézard, élu du Cantal, et des membres du groupe RDSE est donc la bienvenue, d’autant qu’elle rejoint la démarche que j’ai engagée avec quinze collègues, dont treize sénateurs appartenant à l’Union centriste et républicaine, qui nous avait conduits à déposer, l’an dernier sur le bureau du Sénat, la proposition de loi relative à la clarification et à l’assouplissement de la gestion des biens sectionaux. Ce texte déposé l’an dernier est le fruit d’un travail collectif de deux ans mené en collaboration avec les maires d’un département particulièrement touché par le sujet – je veux parler du Cantal, dont 235 communes sur 260 sont concernées par les biens de section – qui nous ont fait part de leur expérience, des représentants des communes forestières, de la chambre d’agriculture et des services de l’État. Cette concertation nous a permis de rédiger un texte dont les quatorze articles visent aussi à faciliter la gestion quotidienne des sections. Les auteurs de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui se sont largement appuyés sur cet important travail, ce dont je tiens à les remercier. À cet égard, la convergence de nos travaux est révélatrice des préoccupations fortes des élus : à l’heure où nous évoquons l’intercommunalité et les métropoles dans cet hémicycle, sur le terrain, les maires sont confrontés à des blocages importants nés d’un régime ancestral issu du droit féodal. Il est donc temps d’évoluer dans ce domaine. Comme Jacques Mézard précédemment, je vais citer l’inspecteur général Lemoine, qui a parfaitement résumé la situation dans son rapport de 2003 : « Ces sections de commune, dont la vie démocratique est des plus réduites, obéissent à un régime juridique suranné. Elles sont à la fois une source de contraintes pour les maires, qui en réclament la suppression, et un frein à l’aménagement et au développement de l’espace rural. Tout en n’étant plus des outils de subsistance, elles constituent néanmoins un enjeu particulièrement sensible dès lors que les ayants droit en tirent […] quelques revenus ou avantages ». Autrement dit, ces biens à usage collectif sont parfois considérés par certains ayants droit comme des propriétés privées sources de revenus personnels. Et il s’agit bien là de l’un des problèmes majeurs. Je peux vous assurer que la gestion des biens sectionaux s’avère autrement plus difficile dans le cas, par exemple, d’un terrain accueillant des éoliennes ou planté d’une forêt que dans celui d’un terrain nu, pentu et inculte. Comme l’a très justement souligné M. le rapporteur, considérer comme privés des biens à usage collectif constitue un dévoiement complet de l’esprit et de la vocation originels de la section. Sur ce point, le Conseil constitutionnel, dans une décision de 2011, a opportunément rappelé aux ayants droit qu’ils bénéficient non pas d’un droit de propriété, mais seulement d’un droit de jouissance. Malgré cette récente clarification, la gestion des biens sectionaux constitue toujours un vrai « casse-tête » pour les maires et peut parfois remettre en cause le potentiel de développement de leur commune, voire parfois leur mandat même. Aussi manque-t-il maintenant un dispositif législatif clair qui s’appuie sur la décision du Conseil constitutionnel et qui pourrait donner plus de marge de manœuvre aux communes et faciliter leur intervention, tout en respectant, bien entendu, les intérêts de la section et de ses ayants droit. C’est le sens de la présente proposition de loi enrichie par plusieurs amendements que nous avons déposés et que la commission a bien voulu retenir. Je relève d’ailleurs que sur les cinq articles de la proposition de loi initiale de notre collègue Jacques Mézard, trois correspondent à l’esprit des dispositions que j’ai proposées avec plusieurs de mes collègues. Nous sommes donc parfaitement en phase sur ce sujet, qui dépasse largement les clivages partisans. Madame la ministre, mes chers collègues, vous comprendrez aisément que les membres du groupe de l’Union centriste et républicaine soutiennent la démarche de leurs amis radicaux. Je souhaite maintenant revenir un instant sur le contenu du présent texte. Pour ce qui concerne la clarification du régime juridique, le texte de la commission apporte des précisions qui permettront de limiter les contentieux. Il procède à d’utiles rappels, parmi lesquels l’exclusion de tout revenu en espèces au bénéfice des ayants droit. En effet, la distribution entre ayants droit des revenus tirés de la coupe de bois, par exemple, est une pratique courante, alors même qu’elle est prohibée implicitement par la loi et expressément par la jurisprudence. Ce point, qui était d’ailleurs rappelé dans notre proposition de loi, est essentiel à la transparence de la gestion des biens de section. Quant à la rationalisation du régime des biens sectionaux, je souhaite attirer votre attention, mes chers collègues, sur deux articles introduits par la commission qui devraient permettre de lever des obstacles majeurs auxquels sont confrontés certains maires pour réaliser des investissements structurants. Des dispositions semblables figuraient aussi dans notre proposition de loi. J’avais particulièrement insisté sur ces points lors de mon audition par M. le rapporteur, tant ils me paraissent extrêmement importants. Il s’agit, d’abord, de la possibilité pour le maire de représenter les intérêts de la section devant le juge en l’absence de commission syndicale, puis de la faculté pour la commune de financer certaines dépenses communales sur le budget de la section si les besoins de celle-ci sont satisfaits. Cette disposition est fondamentale : aujourd’hui, l’argent de la section ne peut être utilisé que dans l’intérêt exclusif de celle-ci. Or ce régime conduit à des situations aberrantes. À titre d’illustration, je prendrai l’exemple d’une petite commune, dont je tairai le nom, qui souhaite réaliser un lourd investissement. Mais faute de financements suffisants, la réalisation du projet est remise en cause. Tel est le quotidien de nombre de petites communes, me direz-vous. Toutefois, il faut savoir que, parallèlement, la section située sur le territoire communal et sur les terres de laquelle sont implantées des éoliennes dispose d’un budget excédentaire et n’utilise pas les sommes importantes qui lui sont reversées chaque année. L’argent « dort » donc sur un compte... Certes, le Trésor public est ravi ! Mais où est le bon sens ? S’agissant du transfert des biens sectionaux « au libre choix de la commune », cette procédure, qui s’accompagne de garanties au bénéfice des membres de la section, répond pleinement aux attentes des élus. En effet, il arrive souvent que, faute d’être levés, les blocages avec les ayants droit empêchent la réalisation de projets structurants. À titre d’exemple, je citerai le cas d’une commune qui souffre d’un problème technique : un seul emplacement a été identifié pour l’implantation de sa future station d’épuration. Or le terrain est un bien sectionnaire et les ayants droit refusent tout transfert à la commune. De surcroît, la commune ne peut pas non plus utiliser les ressources de la section pour cet investissement alors que les ayants droit sont susceptibles de bénéficier du service. Vous le constatez, mes chers collègues, le régime actuel aboutit parfois à des situations ubuesques... Enfin, pour ce qui concerne les modalités d’attribution des terres à vocation agricole et pastorale, sur ce point aussi le rapporteur a bien voulu reprendre un amendement que mes collègues et moi-même avons déposé. Cette disposition, élaborée en lien avec la chambre d’agriculture du Cantal, est extrêmement importante pour nos agriculteurs. Le régime actuel d’attribution suscite de nombreuses situations conflictuelles, car, vous le savez, les biens sectionnaires sont souvent situés en zones de montagne, secteurs dans lesquels les primes à l’hectare sont très convoitées et, par voie de conséquence, les biens de section. En conclusion, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes satisfaits du travail de coproduction efficace qui a été réalisé avec Jacques Mézard, l’un des auteurs de la présente proposition de loi, le rapporteur et les services de la commission, que j’ai eu plaisir à retrouver et dont j’apprécie toujours l’excellence. À cet égard, je tiens à vous remercier, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, ainsi que vos administrateurs, d’avoir prêté une oreille attentive à ce sujet délicat et à nos propositions. Je veux saluer ce travail de qualité. Les biens de section donnent lieu à des rendez-vous législatifs fort rares. Celui de ce jour, très attendu, est une occasion précieuse pour faire évoluer le dispositif et améliorer le quotidien des maires ruraux, quelle que soit leur sensibilité. Ces derniers comptent sur la solidarité du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)