Les interventions en séance

Economie et finances
Jean-Marie Bockel 15/05/2014

«Projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires »

M. Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer à mon tour le travail, à maints égards remarquable, de la rapporteur et des rapporteurs pour avis. Même si les objectifs sont simples, le sujet est juridiquement complexe. Or, nous le savons, l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions… À cette heure du débat, beaucoup de choses ont été dites. Je ne reviendrai donc ni sur les considérations générales ni sur les chiffres. Globalisation et maritimisation sont indissociables et représentent un enjeu extrêmement important, surtout pour la France, deuxième domaine maritime au monde, réparti sur la quasi-totalité du globe. La mer est donc plus que jamais un atout stratégique, économique et politique de première importance pour notre pays ; un récent rapport de notre commission des affaires étrangères et de la défense l’a d’ailleurs démontré. La mer figure au cœur des enjeux géostratégiques du XXIe siècle. Or, depuis quelques années, on assiste à une recrudescence des actes de piraterie. Ceux-ci menacent ouvertement les flux économiques et commerciaux dans certaines zones, notamment dans certaines régions très denses qui ont été citées, comme le golfe de Guinée, le golfe d’Aden, le détroit de Malacca ou les côtes indonésiennes ; je ne reprendrai pas les chiffres. Le mode opératoire a été décrit. À l’aide d’embarcations rapides, manœuvrées par des équipages armés de fusils d’assaut et de lance-roquettes, les pirates se livrent notamment au vol de cargaisons, par exemple de pétrole ou de gaz. Au-delà des pertes humaines et des conséquences psychologiques, la criminalité maritime n’est évidemment pas sans effet économique. Selon les estimations, même s’il y a plusieurs manières de calculer, les surcoûts liés à la piraterie pour les armateurs se situeraient entre 5 milliards et 8,5 milliards d’euros par an. Ils sont dus aux dépenses de carburant, aux frais d’assurance et aux versements de primes de risque aux équipages. Les conséquences économiques sont donc importantes. Cela a également été souligné, les pirates profitent de la faiblesse de certains pays incapables d’assurer leurs fonctions régaliennes de contrôle des espaces maritimes pour prospérer. L’exemple le plus connu est celui de la piraterie au large de la Somalie, où un État en déliquescence, aux prises avec les Shebab, a vu le nombre d’attaques s’envoler depuis 2005. Face à une telle menace pour nos approvisionnements énergétiques – je le rappelle, 30 % du pétrole consommé en Europe transite par le golfe d’Aden –, les forces navales internationales ont réagi en déclenchant plusieurs opérations autour de la corne de l’Afrique : opération Ocean Shield de l’OTAN, opération Atalante de l’Union européenne, Task Force 151 sous commandement américain. Même s’il convient de maintenir la pression, ces efforts semblent porter leurs fruits. Après un pic d’activités pirates en 2011 – plusieurs orateurs ont rappelé les chiffres –, les côtes somaliennes ont connu une diminution drastique des attaques ces dernières années. Depuis 2008, pour dissuader les attaques, les autorités françaises ont aussi mis à disposition des navires battant pavillon français des équipes de protection embarquée, composées de fusiliers marins. Ces équipes, dont le professionnalisme, l’efficacité et le courage sont reconnus par tous, constituent un gage de sécurité pour les armateurs français. Néanmoins, en raison de ressources limitées, la marine n’est en mesure de répondre qu’à 70 % environ des demandes de protection reçues chaque année pour les navires de commerce. Puisque nous parlons de la marine, et donc de l’armée française, je voudrais m’associer – j’ai déjà eu l’occasion, comme d’autres, de m’exprimer sur cette question – aux propos de Jean-Louis Carrère. Au nom de mon groupe, je confirme que nous sommes pleinement mobilisés au sein de la commission des affaires étrangères et de la défense, et sûrement au-delà, pour soutenir le ministre Le Drian lors des arbitrages à venir. M. Jean-Marie Bockel. Comment empêcher nos armateurs de « dépavillonner » afin de faire usage de gardes armés, dont la présence à bord des navires de pêche et de commerce est autorisée par une dizaine de pays au sein de l’Union européenne ? On estime d’ailleurs que 40 % environ de nos bateaux ne navigueraient pas sous pavillon français. Ce n’est évidemment pas la seule explication, mais c’en est une. Dans ce contexte, la France ne pouvait à l’évidence pas ignorer la demande forte et légitime des professionnels. Mais dans quel cadre ? Tel a été l’enjeu du projet de loi. En autorisant les activités privées de protection des navires, le texte définit tout d’abord un cadre juridique cohérent et rigoureux. Il a déjà été détaillé de manière précise ; je n’y reviens pas. Le projet de loi n’admet le recours à la force que dans le cadre de la légitime défense et instaure un suivi des armes embarquées. Il s’agit bien là d’apporter, dans un cadre délimité, une complémentarité aux efforts déployés par les forces navales françaises et internationales dans leur lutte contre la piraterie, et non de s’y substituer. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous souscrivons globalement au cadre juridique proposé, ce débat pourrait être l’occasion d’éclaircir certains points. Je pense en particulier au traitement de pirates éventuellement capturés par un navire battant pavillon français. Certes, le droit international garantit aux pirates un procès équitable en tant que prisonniers de guerre, mais comment sera-t-il mis en œuvre concrètement par les armateurs ? Seront-ils transférés aux juridictions françaises compétentes, ce qui s’avérera compliqué, ou aux États tiers de la région – Kenya, Seychelles, Maurice, Puntland –, avec lesquels la France a conclu des accords ? Le projet de loi permettra en outre de lutter contre le recul du pavillon français. Même s’il est difficile d’établir un lien direct, 34 navires ont été retirés des registres du pavillon français au cours de l’année 2012. Pourtant, la flotte de commerce française, avec plus de 300 navires, incarne un secteur économique essentiel, que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d’État, et dont il convient de garantir la compétitivité. Le secteur maritime français dans son ensemble représente 300 000 emplois directs et 5 500 navires. En alignant la législation française sur celles de nos partenaires européens, qui sont des concurrents, ce texte supprimera donc au moins un intérêt au dépavillonnement. Enfin, ce texte devrait favoriser le développement d’entreprises nationales de sécurité et de défense, ainsi que les emplois y afférents, et contribuer au développement d’une offre française responsable dans ce secteur, qui présente des intérêts économiques et géopolitiques. Aussi, quid de l’ouverture d’une réflexion plus large sur le rôle et la place de ces entreprises dans notre pays ? Dans la lignée du rapport de nos collègues députés Christian Ménard et Jean-Claude Viollet sur les sociétés militaires privées, il est urgent que la France définisse un cadre juridique spécifique pour développer ce secteur stratégique. Monsieur le secrétaire d’État, pour le groupe UDI-UC, ce projet de loi vise à autoriser les activités privées de protection des navires battant pavillon français en apportant toutes les garanties nécessaires. Il contribuera au renforcement de la sécurité de notre flotte, tout en restaurant la compétitivité du pavillon français. C’est pourquoi nous y apporterons notre soutien, dans l’espoir de voir ses dispositions entrer en vigueur au plus vite, comme l’a rappelé M. Richard. Permettez-moi cependant, pour conclure, de rappeler que, si la piraterie prend forme en mer, elle résulte la plupart du temps de problèmes structurels à terre : absence d’autorités étatiques, pauvreté endémique, perturbation des activités maritimes de subsistance. Lutter contre la piraterie nécessite par conséquent une véritable approche globale, alliant efforts de paix et de reconstruction, aide au développement et partage de bonnes pratiques. C’est cette approche que nous devons notamment promouvoir dans le golfe de Guinée, devenu l’une des principales zones de piraterie de la planète, alors même que les États de la région fournissent 40 % du pétrole consommé en Europe. La responsabilité première incombe aux États de la région. Il faut à cet égard saluer le sommet de Yaoundé de juin 2013, qui a ouvert la voie à une mutualisation des moyens et des efforts des pays du golfe de Guinée pour endiguer la piraterie dans la région. Les chefs d’État d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale ont adopté un code de conduite pour la prévention et la répression des actes de piraterie et décidé la création d’un centre interrégional de coordination pour la sécurisation du golfe de Guinée. Mais cette menace mouvante et insaisissable requiert une mobilisation plus large. C’est dans cet état d’esprit que l’Union européenne a adopté en mars dernier une stratégie relative au golfe de Guinée, qui doit se traduire par un soutien financier accru et des échanges d’expertises en matière de sécurité maritime. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que la circulation maritime, concentrée autour de quelques axes vitaux très fréquentés, est le poumon de l’économie mondiale, force est de constater que la menace pirate est loin d’avoir disparu. L’adoption du projet de loi renforcera sans aucun doute la sécurité des navires battant pavillon français, mais seule une approche globale permettra à la mer de rester un espace de prospérité et de liberté. C’est d’autant plus important que la mer pourrait bien être l’avenir de la Terre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, du RDSE et du groupe socialiste.)