Les propositions de loi

Agriculture et pêche
Catherine Morin-Desailly 15/05/2013

«Proposition de résolution européenne tendant à la création d՚un droit européen pour le consommateur à la maîtrise et à la parfaite connaissance de son alimentation, présentée par M. François Zocchetto et les membres du groupe de l՚UDI-UC à la demande du G»

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est la troisième fois que j’interviens sur ce sujet qui touche à l’alimentation des Français. La première fois, c’était le 28 février : je m’étais alors associée à François Zocchetto et aux collègues de mon groupe pour cosigner une proposition de résolution européenne qui s’opposait à l’incorporation de farines animales dans l’alimentation des poissons et demandait une amélioration de l’information des consommateurs, avec notamment une traçabilité complète des produits alimentaires, y compris des produits élaborés. Je suis intervenue une deuxième fois le 28 mars pour rapporter ce texte devant la commission des affaires européennes. C’est ce qui me conduit à intervenir aujourd’hui, pour la troisième fois, donc, comme rapporteur pour avis de cette commission. Chacun le sait, le règlement du Sénat prévoit trois procédures d’adoption définitive des résolutions européennes : l’approbation tacite, par la commission compétente au fond, d’un texte adopté par la commission des affaires européennes ; l’adoption explicite d’un texte par la commission saisie au fond ; enfin, l’examen en séance publique, qui est, évidemment, la procédure la plus solennelle, mais qui est rarement utilisée. Pourquoi l’est-elle aujourd’hui ? L’implication de la Haute Assemblée sur ce thème me semble liée à des raisons politiques, historiques et culturelles. Le moment choisi par la Commission européenne pour réintroduire les farines carnées dans l’alimentation animale, même en la réservant aux poissons, a été pour le moins malheureux puisqu’il a coïncidé à peu près avec l’affaire de la viande de cheval, qui était cependant d’une tout autre nature. La Commission européenne suit un rythme, une logique et une voie souvent déconnectés de la vie quotidienne de nos concitoyens. C’est là un des problèmes récurrents de l’Union européenne. Il reste que cette absence de sens politique élémentaire peut être pénalisante pour la construction européenne. Il faut reconnaître que traiter de l’utilisation des protéines animales transformées dans l’alimentation des poissons, c’est traiter des farines animales. Même s’il y a des différences entre les deux et malgré les efforts pour bien distinguer les garanties sanitaires que présentent les premières par rapport aux secondes, les PAT ne sont pas autre chose qu’une sélection des parties nobles des farines animales. Or, on le sait, ce sujet fait inévitablement remonter à la mémoire la trop fameuse crise de la vache folle de la fin des années 80 et sa cohorte de scandales sanitaires. Souvenons-nous : c’était l’époque où l’on avait réussi à transformer des vaches végétariennes en espèces carnivores et même cannibales ! Nos partenaires britanniques interdisaient l’utilisation des farines chez eux tout en tolérant leur exportation chez les voisins… Quelques professionnels avaient même alors tenté de faire passer des carcasses d’animaux malades dans le circuit des farines. Il y avait eu incontestablement des dérives scandaleuses ! Le retour des farines carnées évoque donc des pratiques que l’on aurait voulu pouvoir oublier. Il y a, enfin, une raison culturelle. Ce retour des farines animales a été globalement accepté, voire encouragé par la quasi-totalité des pays de l’Union européenne, à l’exception de la France. Comment expliquer ces réticences françaises dans un contexte d’accord presque général ? Les familiers de l’Union européenne peuvent l’expliquer par des raisons culturelles. Quand, au nord de l’Europe, on parle de « nourriture », en France, on parle d’« alimentation ». La nourriture évoque un ingrédient et une nécessité biologique. L’alimentation, une façon de faire et un moment de sociabilité. Or parler de la nourriture des poissons, c’est parler de l’alimentation des hommes. En France, plus qu’ailleurs, c’est un sujet sensible, une question qui touche à la culture, et pas seulement à la santé publique. Ce n’est ni la première ni sans doute la dernière fois que le Sénat intervient. Notre assemblée a été à l’origine de la fronde sur un projet de réglementation européenne concernant les profils nutritionnels. La Commission avait alors dû reculer. Elle vient de faire connaître son intention de reprendre ce dossier, et nous serons à nouveau vigilants comme nous le sommes aujourd’hui. Au reste, le débat de ce soir est une nouvelle illustration de cet ancrage culturel. J’en viens à la proposition de résolution, modifiée par notre collègue Jean-Jacques Lasserre, au nom de la commission des affaires économiques. Il me faut d’abord saluer son travail, tant sur la forme que sur le fond. En tant que rapporteur de la commission des affaires européennes d’un texte que j’avais cosigné, je m’étais efforcée de donner un éclairage juridique et politique à cette proposition de résolution. Notre collègue a complété cet éclairage, et les nombreuses auditions qu’il a conduites l’ont amené à faire évoluer le texte. Je suis, je dois le dire, quelque peu embarrassée par cette évolution puisqu’elle inclut à la fois une adhésion à notre proposition telle qu’elle a été adoptée par la commission des affaires européennes, et une certaine distance, notre collègue proposant les modifications dont il vient de faire état. La plus importante concerne la question d’un moratoire sur la décision de la Commission européenne. La proposition initiale présentée par notre groupe, comme la proposition adoptée par la commission des affaires européennes à l’unanimité, retenait cette idée de moratoire, tandis que notre collègue Jean-Jacques Lasserre et la commission des affaires économiques ont préféré y renoncer. Je n’ignore pas que cette demande de moratoire est, au regard des exigences posées par le droit européen, une source potentielle de contentieux. En effet, la suspension temporaire de l’application d’un règlement européen doit être fondée par des motifs d’ordre public ou de santé publique. Ce n’est pas tout à fait le cas, en l’espèce, puisque l’opposition au retour des farines animales est plutôt, à ce stade, une position de principe et de précaution. Nous sommes conscients de ces obstacles, mais, après en avoir discuté en commission des affaires européennes, nous avons néanmoins fait le choix de maintenir la demande de moratoire. Il nous est apparu nécessaire de marquer notre inquiétude et de susciter un débat. Il est clair que le retour des PAT dans l’alimentation des poissons risque de n’être qu’une étape vers un retour plus large des farines dans l’alimentation animale. Une fois ce pas franchi, sera-t-il possible, en pratique, de s’arrêter là ? Je crois qu’il n’était pas inutile d’exprimer notre inquiétude de nous voir pris dans un engrenage. Il est aussi de notre devoir de parlementaires de relayer le sentiment de beaucoup de nos concitoyens d’être dépossédés du droit de choisir leur alimentation. Comment exercer ce droit si la transparence et la traçabilité ne sont pas garanties, si l’information du consommateur est tronquée ? L’épisode du scandale de la viande de cheval a démontré que, malgré les règles, il peut y avoir des lacunes dans la chaîne de contrôle. On voit bien que la traçabilité dans la filière de production et de transformation de la viande n’est pas complètement assurée. Certes, le cas des PAT est bien différent, compte tenu du nombre de règles multiples et complexes à respecter, mais celles-ci n’éliminent pas les risques, comme l’ont souligné certains eurodéputés. Si les abattoirs se spécialisent de plus en plus par espèce, c’est loin d’être le cas sur le reste de la chaîne. Par exemple, les transports ne sont pas spécialisés et les mêmes conteneurs peuvent transporter tantôt des restes de bœuf, tantôt des restes de volaille. De même, les usines qui produisent déjà des aliments à base de PAT pour animaux domestiques ne sont pas dédiées à une seule espèce. D’ailleurs, une étude menée en 2011 par le ministère de l’agriculture à la demande de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail expliquait que seulement 2 % de la production française d’aliments pour porcs était fabriquée dans des usines exclusivement consacrées à cette activité. Les autres produisaient, entre autres, des aliments pour volailles et pour ruminants… Difficile, dans ces conditions, d’éviter à coup sûr les contaminations croisées ! Le manque d’étanchéité des filières concernées ne peut donc pas être ignoré. Je rappelle tout de même que la France et l’Allemagne se sont, de concert, opposés à cette réintroduction des PAT dans l’alimentation des poissons, tout comme les eurodéputés français, qui ont largement rejeté, le 6 juillet dernier, la résolution portant sur le contrôle des aliments pour animaux. Nos collègues de la commission des affaires économiques ont choisi de privilégier le réalisme et la solidité juridique. Ce sont des soucis légitimes, mais il me paraît tout aussi légitime de manifester une préoccupation devant des évolutions qui pourraient s’avérer incontrôlables. Ce n’est donc pas sans regret que je me rallierai au texte présenté par la commission des affaires économiques. Notre intention principale reste de faire vivre le débat. La séance de ce soir montre que cet objectif est atteint. Il nous faudra ensuite rester durablement très vigilants. C’est ce que les citoyens attendent de nous, tout spécialement face à des questions de ce type, qui les concernent tous. (Applaudissements.)