Les interventions en séance

Emploi
Vincent Capo-Canellas 15/02/2012

«Proposition de loi, relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports»

M. Vincent Capo-Canellas

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la proposition de loi dont nous débattons a fait réagir les personnels concernés, du moins une partie d’entre eux, il convient d’avoir d’abord à l’esprit le point de départ de la réflexion qui y a conduit. L’opinion a encore en mémoire les dernières grèves, qui, en décembre dernier, ont paralysé le transport aérien. Si les grèves sont, par définition, légitimes, chacun se souvient de ces deux semaines au cours desquelles des agents de sûreté aérienne ont cessé le travail dans plusieurs aéroports, entraînant des perturbations importantes. Nous avons tous également en tête les images de passagers bloqués, souvent au moment des départs en vacances, parfois durant plusieurs jours, dans des conditions « limites » et sans aucun confort, les aéroports n’étant pas des lieux d’accueil durable du public. La situation est toujours très difficile à vivre pour les passagers obligés d’annuler leurs vacances ou leurs déplacements professionnels. Elle est aussi préjudiciable pour l’image des aéroports français et des compagnies. Pour celle de la compagnie nationale, d’abord, pourrait-on dire, tant le lien et l’attachement à Air France, dont nous connaissons la situation aujourd’hui, sont forts. Les derniers conflits que j’ai cités en exemple nous le rappellent, le secteur aéroportuaire reste marqué par une conflictualité importante : même si la situation s’est améliorée au cours des dernières années, on compte encore 360 conflits en moyenne, chaque année, dans les aéroports français. La proposition de loi de notre collègue député Éric Diard peut permettre, c’est en tout cas son objet principal, d’apporter une réponse à une difficulté réelle, que personne ne peut nier. Elle offre l’avantage de reconnaître les insuffisances du dialogue social entre les employeurs et les salariés, qu’ont soulignées les grèves de décembre dernier, à l’instar de celles que la RATP et à la SNCF ont connues il y a quelques années, et d’y proposer des remèdes. D’emblée, je veux le souligner, le dispositif proposé ne revient pas à instaurer un service minimum dans les transports aériens. D’ailleurs, le voudrait-on qu’il faudrait se rendre à l’évidence : cela ne serait pas possible, car les entreprises n’ont pas, pour leur grande majorité, une obligation de service public. La proposition de loi prévoit simplement l’amélioration de l’organisation et la prévisibilité du service ; ce n’est déjà pas mal, me direz-vous. Comment y parvenir ? L’article le plus important, l’article 2, consiste à améliorer le dialogue social dans les entreprises de transport aérien, par la mise en place d’un mécanisme de prévention des conflits largement inspiré du système dit « d’alarme sociale », qui a fait ses preuves dans les transports terrestres ferroviaires. Celui-ci a permis de favoriser la négociation et de réduire singulièrement les mouvements sociaux. Bien sûr, étendre ce mécanisme aux transports aériens suppose de l’adapter aux spécificités du secteur, notamment de tenir compte de la multiplicité des acteurs et du cadre concurrentiel existant. La négociation plutôt que la grève ou la négociation avant la grève n’est pas un but en soi ; c’est malgré tout un progrès pour tous, salariés et direction, dirons-nous, selon le langage consacré. Afin de prévenir les conflits, la proposition de loi donne la primauté au dialogue social, à la négociation entre les entreprises et les organisations syndicales représentatives. Écartons une idée qui pourrait jaillir sur d’autres travées : il ne s’agit pas de mettre en cause l’exercice du droit de grève, reconnu et garanti par la Constitution. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Celui-ci n’est pas affaibli par le dispositif prévu dans le présent texte, puisqu’il s’inspire directement de celui de la loi de 2007 validé par le Conseil constitutionnel. Respectant le droit constitutionnel de grève, il nous faut prendre tout autant en compte les attentes légitimes des usagers et respecter les droits des passagers. Chacun, dans le transport aérien, est attaché à la finalité même de la mission : transporter le passager d’un point à un autre, dans de bonnes conditions. Au cours des récentes grèves, certains passagers ont appris l’annulation de leur vol une fois effectués les contrôles de sécurité et l’enregistrement des bagages, alors qu’ils étaient quasiment assis à bord. Face à un tel constat, il faut nous rendre à l’évidence : des progrès sont souhaitables, tant la liberté de circulation est un principe important, qu’il importe de garantir. À Roissy-Charles-de-Gaulle, 60 % des passagers transitent par l’aéroport pour prendre un vol en correspondance. Les images d’aérogares occupées par des centaines, des milliers de personnes obligées d’y dormir sont très préjudiciables pour nos aéroports et nos compagnies. De telles situations peuvent aussi engendrer, sur place, des troubles à l’ordre public. Comment, alors, ne pas être favorable à l’obligation imposée aux compagnies aériennes d’informer leurs clients-passagers vingt-quatre heures à l’avance, ce qu’elles sont incapables de faire aujourd’hui faute de déclaration préalable des personnels ? À l’instar de ce qui figure dans la loi de 2007, le législateur prévoit donc l’obligation pour chaque salarié de se déclarer individuellement gréviste quarante-huit heures à l’avance. C’est cette disposition qui concentre les critiques. À mon sens, elle n’est pas une atteinte au droit de grève ni une limitation, car le salarié sera, bien sûr, libre, comme actuellement, de faire grève s’il estime que ses droits sont mis en cause. Pourquoi cette obligation de déclaration est-elle nécessaire ? Le secteur du transport aérien recouvre des activités et des personnels très divers, tels que les agents de contrôle et d’embarquement, les personnels navigants, les mécaniciens, les pompiers. Se constitue une véritable chaîne d’intervenants, où chacun, de l’agent de sûreté au commandant de bord, participe à la bonne réalisation des vols. Ces professionnels exercent des dizaines de métiers avec des statuts très différents, travaillent dans des entreprises de tailles très diverses, dont une bonne part de sous-traitants. Il faut donc une déclaration préalable, mais cela ne doit pas empêcher les pouvoirs publics de poser les conditions d’une meilleure pratique du dialogue social. Assurément, la proposition de loi ne permettra pas de régler tous les problèmes sociaux des personnels des entreprises du transport aérien. Comme l’ont montré nos collègues députés Daniel Goldberg et Didier Gonzales dans leur récent rapport d’information sur la sûreté aérienne et aéroportuaire, la question de l’amélioration de la prévisibilité du service rejoint celle sur les conditions de travail des personnels. La grève des agents de sûreté du mois de décembre dernier a été, sur ce point, révélatrice de situations parfois très difficiles. Monsieur le ministre, je crois savoir que le Gouvernement réfléchit à améliorer les conditions de travail, notamment pour les agents de sûreté, avec des mesures en termes de qualification, de formation et de certification par l’État. Nous ne pouvons que le soutenir et l’encourager dans cette voie. Le groupe de l’Union centriste et républicaine souhaite que les deux piliers – dialogue social et droit des passagers – soient respectés. Examinant cette proposition de loi quelques jours après la grève qui a été particulièrement suivie à Air France, nous ne pouvons que constater l’inquiétude des salariés quant à leur avenir et à celui de la compagnie. Je suis, comme beaucoup d’entre vous, attaché à notre compagnie nationale. J’espère que les voies du dialogue ainsi privilégiées permettront au plan de retour à la compétitivité, engagé par le nouveau président-directeur général, d’être mis en œuvre avec l’ensemble des personnels. Ce plan est essentiel, tout comme le sont le dialogue et l’adhésion de ces derniers. Je souhaite que la discussion de la proposition de loi aboutisse à dissiper l’inquiétude de fond qu’elle a pu susciter et que son adoption rende possible un exercice apaisé du droit de grève, mieux compris de nos concitoyens, qui ne se sentiront pas otages d’une absence de dialogue social. Pour toutes ces raisons, le groupe de l’Union centriste et républicaine approuve cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)