Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Yves Détraigne 15/01/2014

«Projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur,et le mandat de représentant au Parlement européen»

M. Yves Détraigne

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une dépêche de l’AFP d’hier titrait : « Cumul des mandats : combat d’arrière-garde au Sénat ». Je dois le reconnaître, entre ce qu’on lit sur le Sénat depuis quelques jours et le fait de savoir que la majorité à l’Assemblée nationale réintroduira, quoi qu’il arrive ce soir au Sénat, son propre texte en dernière lecture et refusera de prendre en compte les spécificités sénatoriales, il est difficile d’essayer de vous convaincre, monsieur le ministre, que le Sénat n’est pas et ne doit pas être un clone de l’Assemblée nationale. Quel Parlement veut-on pour notre pays ? Veut-on un Parlement avec une majorité à la botte du Gouvernement ou un Parlement indépendant de l’exécutif ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit quand on veut interdire à tout parlementaire, y compris dans l’assemblée qui représente constitutionnellement les collectivités territoriales, d’exercer un mandat exécutif local. Qu’est-ce qui fait la différence entre un député et un sénateur ? Outre le fait que le scrutin n’est pas le même, le sénateur a, souvent et par nature, une légitimité qui lui est propre et qu’il tient de l’exercice de responsabilités locales. Le priver de cette possibilité d’exercer une responsabilité dans une commune, un département ou une région, c’est en faire un élu qui tiendra d’abord, comme le député, sa légitimité de son appartenance politique et qui ne disposera plus de la liberté d’esprit et de l’autonomie que lui confère son ancrage territorial par rapport aux partis qui délivrent les investitures. Dans ces conditions, les débats au Sénat ressembleront de plus en plus à ceux de l’Assemblée nationale, opposant camp de la majorité contre camp de l’opposition, et n’apporteront pas la plus-value et l’approche du terrain, d’ailleurs souvent transversale, que beaucoup d’observateurs reconnaissent aujourd’hui comme l’un des apports majeurs du Sénat dans le processus parlementaire. J’ajoute que, avec un corps électoral restreint par rapport à celui des députés, le sénateur qui aura perdu son ancrage territorial aura alors une légitimité beaucoup plus faible que celle des députés. On ne mettra pas longtemps alors à s’interroger sur l’intérêt de conserver une seconde chambre ! Mais, surtout, je crois que, derrière le projet du Gouvernement, se cache une volonté de réduire le Parlement. Les exemples ne manquent pas qui montrent que la majorité est, à l’Assemblée nationale, de par le mode d’investiture des candidats aux élections législatives, beaucoup plus attentive aux souhaits du Gouvernement qu’elle ne l’est au Sénat. Il faut reconnaître que, pour un gouvernement, il est quand même bien pratique d’avoir une majorité parlementaire aux ordres ! Derrière ces projets de loi se cache donc bien un changement de régime pour notre pays. D’un régime parlementaire rationalisé, où les deux chambres débattent et émettent des positions parfois divergentes en raison de l’origine et de la légitimité différentes de leurs membres – sans pour autant bloquer la situation, puisque la majorité à l’Assemblée nationale a la possibilité d’imposer in fine ses choix –, nous allons passer à un régime où il y aura toujours deux chambres, mais qui toutes les deux seront composées du même type d’élus, dont la légitimité procédera des mêmes partis politiques et qui tiendront les mêmes discours. Que restera-t-il alors du Sénat représentant les collectivités territoriales de la République ? Un mode de scrutin spécifique sur la forme, mais rien sur le fond. Du débat entre le Gouvernement et le Parlement en vue d’adopter la loi, nous passerons à un Parlement d’enregistrement qui, à quelques exceptions près, votera tout ce que lui demandera l’exécutif. Quand on se souvient des réactions de certains ténors de la majorité actuelle voilà quelques années face à la prééminence de l’exécutif sur le législatif, il y a de quoi s’étonner de cette volte-face et de cette volonté aujourd’hui affichée par les mêmes personnes de retirer aux parlementaires – sous prétexte de leur permettre d’être plus disponibles pour l’exercice de leurs fonctions – cette part de légitimité qu’ils tiennent de leur mandat local pour les rendre plus dociles envers le Gouvernement. Certes, il est tout à fait nécessaire de mettre de l’ordre dans le cumul de certaines fonctions. Nous en sommes parfaitement conscients, et c’est pourquoi nous proposons qu’un sénateur ne puisse désormais exercer qu’un seul mandat exécutif local et que, en outre, il ne puisse pas ajouter à son indemnité parlementaire une autre indemnité. Mais lui interdire purement et simplement toute fonction exécutive locale, y compris celle de simple adjoint d’une commune de moins de 200 habitants – avouez qu’on frise là le ridicule ! –, c’est lui faire perdre ce qui fait la spécificité du Sénat et justifie le bicamérisme. Dans ces conditions, vous le comprendrez, parce que nous sommes convaincus de l’intérêt d’avoir un Parlement composé de deux chambres, dont une qui ne soit pas dans la main du Gouvernement et fasse entendre la voix des responsables de terrain, nous ne pourrons pas suivre le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)