Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Hervé Maurey 15/01/2014

«Projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur,et le mandat de représentant au Parlement européen»

M. Hervé Maurey

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 19 septembre dernier, la Haute Assemblée adoptait les projets de loi organique et ordinaire relatifs au « cumul des mandats » à une très large majorité – 208 voix pour, 107 contre –, ce qui est en soi un événement, tant les textes adoptés par le Sénat à une telle majorité sont peu fréquents... Le texte adopté par le Sénat avait largement modifié celui de l’Assemblée nationale et avait, à mon sens, amélioré le droit actuel sans pour autant être aussi excessif que celui qui avait été voté par les députés. Il faut le rappeler, car peu l’ont dit, ce texte améliore le droit actuel dans la mesure où il intègre dans le cumul toutes les fonctions, et pas seulement celles détenues au sein d’une collectivité locale ou d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, comme je l’avais proposé lors du débat sur la réforme des collectivités locales en 2010. Il intègre également les fonctions au sein des syndicats mixtes et des sociétés d’économie mixte. Dans une approche pragmatique, ce texte établit la possibilité de conserver une, et une seule, fonction exécutive dans une structure de ce type. Et pour bien montrer que nous n’étions pas guidés par un quelconque appât du gain, nous avons adopté un amendement prévoyant qu’en cas de cumul entre un mandat de sénateur et une fonction locale, aucune indemnité supplémentaire ne serait perçue. Chose curieuse, cette disposition n’a jamais été évoquée par la presse, pas plus d’ailleurs que le fait que le dispositif adopté constitue une évolution positive par rapport au droit en vigueur. La presse ne cesse en effet de donner de notre assemblée l’image d’élus attachés à leurs privilèges.
À la décharge des journalistes, je dois dire qu’ils n’ont fait que reprendre, en y faisant écho, les propos que vous avez vous-même tenus ici, monsieur le ministre, quand vous nous accusiez de « regarder vers un passé fantasmé » ou de nous « arc-bouter sur des pratiques devenues obsolètes ». Vous semblez étonné, monsieur le ministre, mais ce sont bien vos propos ! (Sourires.) Le texte voté par le Sénat permettait cependant d’éviter les excès de celui qui était issu de l’Assemblée nationale, c’est-à-dire l’interdiction de toute fonction locale pour un sénateur, quelle que soit la taille de la collectivité concernée. Il est à mon sens tout à fait invraisemblable qu’un sénateur ne puisse même pas être adjoint au maire d’une commune de 50 habitants, ou vice-président d’un syndicat à vocation scolaire réunissant deux communes de 100 habitants pour gérer une école communale. Cette interdiction est inimaginable pour les membres de notre assemblée sénatoriale chargée de représenter les collectivités locales !
En outre, je le rappelle, c’est le cumul de la fonction de sénateur avec un mandat local qui permet aux sénateurs d’être en contact avec les citoyens. En effet, un sénateur est en contact avec les élus, mais, contrairement aux députés, il n’est pas en contact avec les citoyens. Interdire tout cumul reviendrait donc à priver le sénateur de ce contact avec les citoyens qui lui est indispensable pour exercer sa fonction de législateur. S’agissant de ce texte, expression transpartisane de la volonté du Sénat, vous n’avez eu qu’un objectif : le rayer d’un trait de plume pour en revenir à votre version, marquant ainsi votre refus du dialogue et le peu de respect que vous inspire le Sénat. Il faut reconnaître que vous aviez annoncé la couleur dès le début de nos débats. Vous aviez parlé cash, comme on dit aujourd’hui. Je vous cite : « Quel que soit le vote qui sera le vôtre, ce texte sera adopté par le Parlement. » Autrement dit : Circulez, il n’y a rien à voir ! Cette terrible phrase traduit votre profond mépris pour le Sénat, et par là même pour le bicamérisme et nos institutions.
Sur ce point au moins, vous avez tenu vos engagements puisque c’est le texte que vous souhaitiez qui est revenu au Sénat. Les députés n’ont retenu aucune de nos suggestions, pas même, comme l’a rappelé le rapporteur, celle qui consiste à ne cumuler aucune indemnité.
Ce texte est à la fois excessif et insuffisant puisque vous n’y traitez pas la question du cumul des mandats des élus locaux. (M. Jacques Mézard s’exclame.) La notion d’évidence que vous avez évoquée dans la discussion générale ne s’applique pas en l’occurrence : les élus locaux pourront continuer à cumuler deux, voire trois mandats au sein des collectivités locales, et autant de fonctions qu’ils le souhaiteront au sein de leurs groupements ou des organismes qui en découlent : HLM, syndicats, offices, pays, communautés de communes, etc. Vous ne traitez pas non plus du statut de l’élu, alors que vous invoquez la nécessité de s’adapter aux lois de décentralisation et à leurs conséquences. Ce statut sera pourtant encore plus nécessaire dès lors que le cumul sera supprimé. Vous n’abordez pas non plus la question du nombre de parlementaires. Or si l’on veut renforcer le rôle du Parlement – mais le voulez-vous vraiment ? –, il faut des parlementaires disposant de plus de moyens pour travailler. À cette fin, comme il n’est pas question de donner plus d’argent au Parlement, les parlementaires doivent être moins nombreux. Vous qui dites vouloir moderniser la vie publique, vous ne traitez pas non plus de la limitation du cumul des mandats dans le temps, pourtant adoptée par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Lors de l’examen de la loi du 17 mai 2013, vous nous avez reproché d’avoir supprimé le mode de scrutin binominal sans proposer aucune alternative. Vous pouvez constater que nous avons progressé puisque nous proposons aujourd’hui un nouveau texte, celui que nous avions adopté en première lecture. Ce texte représente un véritable travail sénatorial, car il a été adopté par la commission des lois de façon transpartisane. Il résulte de l’adoption de deux amendements du rapporteur, deux du groupe UDI-UC, deux du groupe UMP, deux du groupe RDSE, et d’un amendement de Mme Lipietz. J’espère, car c’est encore la période des vœux, que la nouvelle année et quelques mois supplémentaires d’expérience de ministre vous permettront d’être plus ouvert aux propositions du Sénat (M. Henri de Raincourt sourit.) et plus respectueux de celui-ci. J’avoue cependant que j’en doute fortement après vous avoir écouté... Depuis que vous êtes ministre, vous n’avez cessé de porter des mauvais coups au Sénat et à la ruralité. Vous avez mis en place le scrutin binominal et le redécoupage, qui permet d’amoindrir le poids du monde rural dans les assemblées départementales.
Vous avez augmenté le poids des grandes villes dans le collège sénatorial. Vous avez abaissé le seuil de la proportionnelle pour l’élection des sénateurs, afin de donner encore plus de poids aux partis dans leur désignation. (M. le rapporteur s’exclame.) Vous avez temporairement renoncé à instituer un Haut Conseil des territoires, mais on sait très bien qu’il reviendra par la fenêtre. À présent, vous voulez que les sénateurs, qui représentent les collectivités locales, soient privés de leur mandat local pour mieux réduire leur légitimité. Monsieur le ministre, quoi que vous en pensiez, le Sénat n’est pas une assemblée de ringards arc-boutés sur le passé. C’est une assemblée dont la sagesse est reconnue.
Cette sagesse nous rend moins sensibles que d’autres, notamment les députés ou les ministres, aux sirènes du populisme et de la démagogie. (Mme Christiane Demontès s’exclame.) Vous nous avez dit, monsieur le ministre : « Le Sénat peut être rebelle ». De ce point de vue, vous aviez raison : sur ce sujet et sur d’autres, nous sommes et nous serons rebelles. Car il y va de la défense de la Haute Assemblée et, par là même, de l’équilibre de nos institutions ; il y va de la défense de nos territoires et de celles et ceux qui les font vivre.
C’est pourquoi le groupe UDI-UC votera le texte issu des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – MM. Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)