Les interventions en séance

Budget
Hervé Maurey 14/06/2011

«Projet de loi constitutionnelle, relatif à l’équilibre des finances publiques»

M. Hervé Maurey

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous connaissons tous la situation calamiteuse de nos finances publiques. Elle a d’ailleurs été largement rappelée depuis le début de cette discussion générale, notamment par M. Arthuis ; je n’y reviendrai donc pas. Cette situation, nous en sommes tous responsables, à droite comme à gauche (M. Jean Desessard s’exclame.), puisque le dernier excédent budgétaire de la France remonte à près de quarante ans. Depuis, aucune majorité, ni de gauche ni de droite, n’a eu le courage de prendre à bras-le-corps cette question. Il était donc grand temps, ainsi que le demandaient les centristes depuis de nombreuses années, de cesser la politique de l’autruche. Nous nous réjouissons d’être enfin entendus par le Gouvernement. Nous regrettons seulement qu’il ait attendu la fin de la législature pour le faire. Nous soutenons pleinement le Gouvernement dans sa volonté de s’attaquer enfin aux déficits publics. Nous sommes donc favorables au principe de ce projet de loi constitutionnelle et à son apport principal, à savoir l’instauration de lois-cadres d’équilibre des finances publiques. Ayant vocation à se substituer aux lois de programmation des finances publiques, ces lois-cadres seront beaucoup plus contraignantes, puisqu’elles fixeront un plafond de dépenses et un minimum de recettes qui s’imposeront aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Cette nouvelle catégorie de norme juridique, supérieure à la loi ordinaire, ne sera donc ni un gadget ni une disposition purement symbolique. Elle constituera une véritable contrainte. Nous nous en réjouissons, même si, il faut en être conscient, aucune règle juridique ne remplacera une réelle volonté de nos gouvernants en termes de gestion rigoureuse des finances publiques. La loi organique qui viendra préciser les conditions dans lesquelles il sera possible de modifier ces textes devra les réserver à des cas exceptionnels, tels qu’une grave crise économique. L’efficacité des lois-cadres dépendra en effet du caractère limité dans lequel elles pourront être modifiées. Si j’approuve donc le principe de ce texte et sa principale disposition, je ne peux malheureusement pas approuver la mesure tendant à instaurer un monopole au profit des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale en matière de prélèvements obligatoires. Je ne vois d’ailleurs pas quel parlementaire informé, mis à part un membre de la commission des finances, pourrait accepter cette proposition, qui réduirait considérablement, il faut en être conscient, le rôle des parlementaires et tout particulièrement celui des sénateurs. Ce rôle, déjà très contraint en matière fiscale par l’article 40 de la Constitution, le serait plus encore avec ce dispositif : nous ne pourrions plus adopter des propositions de loi comprenant des dispositions fiscales ou des amendements fiscaux dans le cadre d’une loi ordinaire ; enfin, la technique du « gage », qui permet de rendre recevables des amendements entraînant des baisses de recettes, serait aussi menacée. Vous le constatez, mes chers collègues, le monopole est donc en opposition totale avec l’objectif de revalorisation des pouvoirs du Parlement affirmé lors de la réforme constitutionnelle de 2008. Le rapporteur de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission de l’économie, Jean-Paul Emorine, et le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Alain Vasselle, l’ont d’ailleurs très bien expliqué tout à l’heure. Les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale échappent en grande partie au renforcement de l’initiative parlementaire instituée en 2008. C’est en effet le texte du Gouvernement et non celui de la commission qui est examiné et, de surcroît, la procédure accélérée est systématiquement appliquée. Lors de la réforme constitutionnelle de 2008, le président Jean Arthuis nous avait proposé par amendement l’abrogation de l’article 40 de la Constitution, nous invitant à faire « le pari, qu’en rendant leur liberté aux parlementaires, ils mesureront et assumeront la plénitude de leurs responsabilités ». Mes chers collègues, il faut en avoir conscience, à côté de l’arme nucléaire que constituerait le dispositif proposé aujourd’hui par le Gouvernement, l’article 40, que nous trouvons déjà très contraignant, fait figure de pistolet à eau ! De surcroît, ce dispositif affaiblirait considérablement le Sénat dans l’équilibre de nos institutions, puisque le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale sont soumis en priorité à l’Assemblée nationale. Qu’en serait-il, par ailleurs, des dispositions fiscales directement liées à l’organisation territoriale ? La priorité du Sénat en matière de projets de loi relatif à l’organisation des collectivités territoriales serait clairement menacée. Enfin, contrairement à ce que certains ont affirmé, cette disposition n’est pas – loin s’en faut ! – nécessaire pour atteindre l’objectif du présent projet de loi constitutionnelle, puisque le monopole vise l’ensemble des mesures fiscales et pas seulement les dépenses. Autrement dit, Gérard César l’a indiqué tout à l’heure, il ne serait même plus possible, dans une loi ordinaire, de créer ou d’augmenter un impôt, c’est-à-dire une recette. Pour prendre un autre exemple que celui de notre collègue, je vous rappelle que la récente loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité a dégagé 75 millions d’euros de recettes grâce à une réforme de la taxe sur l’électricité. Mes chers collègues, je suis très attaché, comme la plupart d’entre vous, au rétablissement de nos finances publiques ; celui-ci est indispensable. Toutefois, je ne peux pas accepter, sous prétexte que nous dépenserions trop, que l’on nous coupe les deux bras pour ne plus signer de chèques ! Vous l’admettrez, c’est d’autant plus excessif que la plupart des dépenses fiscales d’ampleur ont été adoptées par le Parlement à la demande du Gouvernement ou avec son soutien actif. En conclusion, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si ce projet de loi est à mes yeux indispensable, j’espère que nous aurons la sagesse de renoncer à introduire ce monopole tel qu’il nous est proposé et que nous adopterons un certain nombre d’amendements afin d’améliorer ce texte. Dans le cas contraire, à mon grand regret, je ne voterai pas cette réforme.