Les interventions en séance

Budget
14/06/2011

«Projet de loi constitutionnelle, relatif à l’équilibre des finances publiques»

M. Jean-Jacques Jégou

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, les rapports de la Cour des comptes nous alertent sur l’ampleur de nos déficits et de notre endettement publics ainsi que sur notre incapacité à les réduire, même durant les périodes de croissance. Compte tenu de l’état de nos comptes publics, de la crise économique et financière et de la crise de la zone euro, le rétablissement des comptes publics est devenu la principale priorité pour notre pays. Cette réforme constitutionnelle tendant à l’équilibre des finances publiques est, de fait, devenue indispensable. Pour améliorer le pilotage et la gouvernance de nos finances publiques, il serait temps d’adopter des règles juridiques contraignant les gouvernements à atteindre l’équilibre des comptes publics. Le constat est sans ambiguïté : depuis plus de trente ans, nous assistons à une dégradation continue des comptes publics, aggravée par la crise financière mondiale. Le dernier budget en excédent remonte en effet à 1975. L’accumulation des déficits a conduit au creusement de la dette, de 21 % du PIB en 1978 à 82 % à la fin de 2010. L’encours de la dette a été multiplié par dix-huit. Après plus de trente-cinq années de déficits cumulés, notre pays a dû affronter la crise économique dans une situation difficile, avec des finances publiques dégradées. La charge de la dette de l’État atteint désormais 45 milliards d’euros en 2011, ce qui en fait le deuxième poste budgétaire. Si notre pays ne prend pas de mesure forte de rééquilibrage des comptes publics, le niveau de la dette pourrait atteindre cent cinquante points de PIB en 2050. Cet emballement de la dette, sur lequel Philippe Séguin nous alertait, réduit peu à peu les capacités d’action de notre pays ; l’augmentation de la dette entraîne une augmentation des charges d’intérêt, qui rend elle-même plus difficile la réduction du déficit. Michel Camdessus a parfaitement résumé la situation : la France est confrontée au double handicap « d’une impuissance à s’arracher aux déficits publics et d’une dynamique perverse de l’endettement ». Si nous ne les affrontions pas vigoureusement, écrit-il, « ces deux phénomènes mineraient subrepticement notre capacité de riposte à une nouvelle crise de grande ampleur », obéreraient à terme la solidarité intergénérationnelle et menaceraient tant notre souveraineté que notre système de protection sociale. La dégradation des comptes publics est autant due à une maîtrise insuffisante de nos dépenses qu’à des allégements d’impôts non gagés par des suppressions de dépenses équivalentes. Les déséquilibres actuels, conséquences des défaillances de gestions passées, obèrent durablement les capacités de réaction de la France face à de nouvelles crises ainsi que sa marge de manœuvre. Le redressement des comptes publics est aujourd’hui indispensable. Le désendettement de l’État s’impose alors comme la clé du redressement de la France. Nous sommes d’autant plus à l’aise avec cette réforme que le candidat centriste à l’élection présidentielle de 2007 a été le premier à défendre l’idée d’inscrire dans la Constitution l’interdiction pour un gouvernement de présenter un budget en déficit de fonctionnement, hors période de récession. Si les modalités pratiques de la réforme présentée aujourd’hui diffèrent de ce que nous proposions à l’époque, celle-ci s’inscrit dans la même philosophie générale. Il est d’ailleurs regrettable que le Président de la République ait pris conscience si tardivement de la gravité de la situation de nos finances publiques, malgré les avertissements répétés de la Cour des comptes. Il aura donc fallu attendre la conférence sur le déficit en janvier 2010… Avec 150 milliards d’euros de déficit et 1 600 milliards d’euros de dettes, il était temps ! Certes, la maîtrise des déficits publics est une question de volonté politique. Mais, depuis vingt-cinq ans, tous les gouvernements se sont rendus coupables de ce laisser-aller. À défaut de volonté, nous devons nous donner tous les moyens pour mener la politique indispensable d’assainissement budgétaire, notamment en renforçant les dispositifs susceptibles de garantir que les choix effectués seront conformes à l’objectif de réduction des déficits. Le mal français en matière de finances publiques vient principalement d’une mauvaise gestion des périodes de croissance. L’objectif principal du projet de loi constitutionnelle est de mettre fin à cette spécificité française, en contraignant le législateur et, surtout, le Gouvernement, à prévoir un effort prolongé de réduction du déficit public, notamment quand la croissance est forte. C’est pourquoi nous sommes favorables à une règle budgétaire suffisamment contraignante pour préserver l’équilibre budgétaire, sans toutefois rogner les prérogatives de l’exécutif et l’initiative parlementaire. En s’imposant aux lois de finances et aux lois de financement annuelles, les lois-cadres d’équilibre des finances publiques, prévues par une disposition majeure du projet de loi constitutionnelle, répondent à cet objectif. Selon nous, la loi organique introduisant les lois-cadres devra prévoir les dispositions les plus contraignantes possibles, à la fois pour les parlementaires et pour le Gouvernement, car ils ont fait preuve d’une faiblesse coupable en ne réduisant pas les dépenses et en ne garantissant pas les recettes fiscales. Or aucune amélioration ne peut être réalisée sans résorber l’écart permanent entre dépenses et recettes publiques. Le dispositif des lois-cadres reprend, à raison, la gestion pluriannuelle des finances publiques prévue dans les lois de programmation des finances publiques. La pluriannualité est en effet un outil indispensable à l’assainissement des finances publiques. Compte tenu de la rigidité de la dépense, l’effort de réduction du déficit doit être planifié sur plusieurs années. Mais alors que l’examen des lois de programmation était purement formel, du fait de prévisions gouvernementales de croissance, de rentrées fiscales et de désendettement systématiquement surévaluées, la loi-cadre contient, quant à elle, des dispositions contraignantes. La loi-cadre devra clairement préciser la trajectoire pluriannuelle de réduction des déficits en fixant, comme le propose le rapport Camdessus, des plafonds annuels s’appliquant aux dépenses de l’État et aux régimes obligatoires de base de la sécurité sociale en volume et à périmètre constants ainsi que des objectifs annuels en matière de ressources publiques, afin d’éviter de rogner les recettes de l’État par la multiplication des dépenses fiscales. Afin de donner sa pleine portée au dispositif, la loi-cadre devra également inscrire la date à laquelle l’objectif d’équilibre des comptes devra être atteint. Cela renforcera la crédibilité du processus de redressement des finances publiques, sans brider pour autant les nouvelles majorités qui pourraient réviser la date de retour à l’équilibre. Le législateur financier restera libre de déterminer le niveau des objectifs en dépenses et en recettes prévu dans la loi-cadre, pour s’adapter aux aléas conjoncturels. En outre, il est important que les objectifs en dépenses et en recettes soient fongibles, afin qu’un effort moindre que celui prévu sur la dépense puisse être compensé sur la recette, et inversement. Si nous approuvons la souplesse du dispositif, nous souhaitons que ses conditions de révision soient limitées aux cas de circonstances exceptionnelles et de changement de majorité, afin de renforcer le caractère solennel de la loi-cadre. Il en va aussi de la crédibilité des engagements pris par le législateur pour redresser les comptes publics. S’agissant enfin du monopole fiscal des lois de finances, je souhaite rappeler que la fin de l’éparpillement des mesures fiscales est un élément essentiel d’un pilotage efficace des ressources publiques, en permettant une meilleure visibilité des mesures fiscales et du niveau des prélèvements obligatoires. C’est un facteur majeur de la protection des recettes. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous sommes favorables à ce projet de loi constitutionnelle. En le votant, nous aurons à l’esprit le mot de Pierre Mendès-France : « Les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent ». Il est donc grand temps de remédier à notre situation ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur quelques travées de l’UMP.)