Les interventions en séance

Budget
14/06/2011

«Projet de loi constitutionnelle, relatif à l’équilibre des finances publiques»

M. Jean Arthuis, Président de la Commission des Finances

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le rapport que j’ai cosigné avec Philippe Marini s’ouvre par cette question d’apparence anodine : « Pourquoi une révision constitutionnelle ? » J’irai d’emblée droit au but : la France ne peut plus attendre, sa crédibilité étant tout simplement en jeu ! Notre pays, avec un déficit par rapport à la richesse nationale bien supérieur à 3 % et une dette publique dangereusement proche d’un montant équivalent à 100 % du PIB, est clairement « dos au mur ». La mondialisation, la crise, l’Europe de Maastricht sont mis en cause. Air connu ! L’accusation est facile. Elle permet d’occulter l’essentiel : le risque, auquel nous sommes de plus en plus exposés, de perdre la confiance de ceux qui nous font crédit depuis près de quarante ans et, au final, ni plus ni moins, notre indépendance nationale, dont le Président de la République, selon notre Constitution, est garant. Ce déséquilibre chronique, au surplus, offense lâchement l’idée que nous nous faisons de la solidarité entre les générations. J’entends dire qu’il ne faut pas s’en remettre aux marchés. Mais dès qu’on fait appel à l’emprunt, on se met entre les mains de celui qui nous prête de l’argent. Ayons donc le souci de préserver notre souveraineté ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat étouffe une exclamation amusée.) Quand avons-nous voté pour la dernière fois un budget à l’équilibre ? C’était au milieu des années soixante-dix et notre collègue Jean-Pierre Fourcade est le dernier ministre des finances à pouvoir se vanter d’une telle performance. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) C’était il y a trente-sept ans, une autre époque ! Depuis, notre addiction à la dépense publique n’a cessé de croître et de prospérer. Je le sais, nous allons avoir ici un débat délicat sur l’atteinte prétendument portée à l’initiative parlementaire. J’ai été très attentif aux propos de M. Hyest, et je pense que nous devrions trouver un compromis équilibré sur l’essentiel. Posons-nous enfin les bonnes questions ! Que voulons-nous ? Que d’autres, demain, par exemple le FMI, décident à notre place ? Quelle sera alors la place du Parlement dans un État qui aura perdu les attributs de sa souveraineté ? Pouvons-nous continuer ainsi ? (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.) La réponse, madame Borvo Cohen-Seat, est assurément « non » ! Paraphrasant un ancien Président de la République qui évoquait le chômage, je dirai : « Contre les déficits, on a tout essayé ! » La France n’est assurément pas avare d’objectifs, d’outils de programmation et de règles réputées les rendre effectifs. L’équilibre des comptes des administrations publiques est, depuis 2008, un objectif constitutionnel, inscrit à l’article 34 de notre loi fondamentale. En avons-nous seulement conscience ? Dans l’architecture sophistiquée élaborée ces dernières années pour faire respecter ce principe, le programme de stabilité occupe désormais le sommet de la hiérarchie des normes financières et s’impose aux autres programmations : programmations pluriannuelles annexées aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale et lois de programmation des finances publiques. C’en est fini du temps où chaque ministre élaborait sa loi de programmation d’investissements pour la justice ou pour la sécurité ! On n’osait pas additionner les coûts engendrés par ces différents textes, parce que l’on avait pris conscience qu’ils n’étaient pas finançables, qu’ils n’étaient pas soutenables, raison pour laquelle, d’ailleurs, les mesures prévues n’ont pas été respectées. Aux règles européennes – 3 % du PIB pour le déficit et 60 % du PIB pour la dette –, se sont ajoutées des règles de gouvernance nationale en dépenses comme en recettes : la norme de dépenses « zéro volume », puis le « zéro valeur hors pensions et charge de la dette », la programmation triennale des plafonds de dépenses, l’ONDAM pour les dépenses d’assurance maladie, la règle du gage des niches et celle de gage global des mesures nouvelles, cette dernière ayant d’ailleurs été abandonnée dans la dernière loi de programmation. Nous ne manquons donc pas de normes, nous manquons simplement de volonté et d’une capacité à « faire », pour mettre en harmonie nos paroles et nos actes. Je vous renvoie au graphique, ô combien éloquent, de la page 14 de notre rapport : nos programmations n’ont jamais été respectées ; la nouvelle programmation se contente, chaque année, de décaler dans le temps l’objectif de retour à l’équilibre, qui se déplace tel l’horizon. Or les perspectives d’évolution des finances publiques confirment, si besoin était, que la France n’a plus le droit à l’erreur. Les plus récentes prévisions de solde public publiées par la Commission européenne révèlent que, en 2012, à politique inchangée, notre pays aura le niveau de déficit le plus élevé de la zone euro, derrière la Grèce, l’Irlande et l’Espagne. À ce rythme, mes chers collègues, nous serons bientôt sur le podium ! Certes, nous attendons de vous, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, les propositions qui détourneront le risque qu’un tel scénario ne se réalise. Rendez-vous est pris pour le prochain débat d’orientation des finances publiques et le projet de loi de finances pour 2012. Mais ayons à l’esprit la mise sous perspective négative de la capacité des États-Unis à rembourser leur dette. Il est vrai que les Américains inondent cyniquement le monde de leurs dollars ; j’espère que le prochain directeur général du FMI y mettra bon ordre. Le coup de théâtre que constitue la dégradation de la notation financière américaine prouve qu’aucun État n’est à l’abri d’une telle sanction. Pour la France, les conséquences ne seraient pas seulement une hausse du coût de la charge de la dette. Elles seraient dommageables pour l’Europe dans son ensemble, au regard du rôle central joué par notre pays pour ce qui concerne la monnaie unique et le fonctionnement du futur mécanisme européen de stabilité financière. La nécessité d’une révision constitutionnelle résulte donc de ce simple constat : les outils existants n’ont pas fonctionné et il est par conséquent devenu indispensable, suivant une expression imagée, de « passer à la vitesse supérieure ». Alors que le conseil européen du 24 juin prochain entérinera le durcissement des règles du pacte de stabilité et de croissance, il est nécessaire que la France se dote d’un frein constitutionnel à la dette. Si le Président de la République s’est engagé sur cette voie dans le cadre d’une démarche européenne, notamment avec l’Allemagne, ce n’est pas pour obéir à je ne sais quelle injonction de Bruxelles : c’est bien notre propre impéritie qui nous y contraint. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis reflète fidèlement, sinon la lettre, du moins l’esprit des orientations dégagées par le groupe de travail présidé par Michel Camdessus. Les deux rapporteurs de la commission des finances ont activement participé aux débats de ce groupe de travail ; la contribution qu’ils ont apportée leur a permis d’en approuver pleinement les conclusions. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Avec votre accord, nous avons voulu faire de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 l’occasion de mettre en pratique ces propositions ; c’est pourquoi il nous appartient de vous rappeler nos choix et, d’une certaine façon, de nous en justifier une nouvelle fois. Nous nous sommes en particulier attachés à définir le contenu possible d’une « bonne » règle, susceptible de garantir la « bonne » gouvernance des finances publiques. En premier lieu, la règle doit imposer au Gouvernement des contraintes quantitatives claires en matière d’actions à mener pour réduire le déficit. Elle doit être suffisamment souple pour ne pas enfermer l’action politique dans un chemin unique, ce qui risquerait de conduire rapidement à sa remise en cause. Elle ne doit pas faire naître un risque de polémique entre le Gouvernement et un comité d’experts indépendants, comme un panel d’économistes ou bien la Cour des comptes, car une telle confrontation ruinerait sa légitimité. Enfin, elle doit être non manipulable par les gouvernements et compréhensible par l’opinion publique. Ce socle de référence nous a conduits à promouvoir la notion de « lois-cadres d’équilibre des finances publiques » s’imposant aux lois financières. Pour définir leur contenu, nous avons écarté la notion allemande de « solde structurel », que nous avons jugée difficilement compréhensible par le commun de nos concitoyens et, surtout, trop subjective. Nous lui avons préféré une règle il est vrai plus rustique, mais surtout juridiquement plus contraignante, celle d’effort structurel portant sur des variables budgétaires effectivement maîtrisables par les pouvoirs publics : les dépenses et les mesures nouvelles sur les recettes, avec un plafond de dépenses et un plancher de mesures nouvelles sur recettes. L’Assemblée nationale a souhaité inclure expressément cette règle dans le texte de la Constitution. Nous approuvons pleinement ce choix. Nous approuvons de la même façon les deux autres volets de ce projet de loi constitutionnelle, intrinsèquement liés au premier volet : le fait de soumettre obligatoirement le programme de stabilité au Parlement avant sa transmission à Bruxelles et le monopole des lois financières sur les dispositions relatives aux prélèvements obligatoires ; Philippe Marini vous apportera des explications dans un instant. Au moment de conclure, je veux appeler solennellement la représentation nationale à ses responsabilités : la France ne peut plus donner le spectacle navrant d’un pays qui recule sans cesse les échéances que lui impose le nécessaire retour à l’équilibre de ses comptes publics. (M. Bernard Frimat s’exclame.) La contrainte supplémentaire que nous allons mettre en place concerne d’abord le Gouvernement, qui va se voir imposer un article 40 sur toutes ses décisions touchant aux finances publiques. Je souhaite que le Parlement saisisse l’occasion qui lui est donnée de renforcer sa vigilance et son pouvoir de proposition ; la commission des finances vous y engage, mes chers collègues, et vous appelle à voter ce texte. Mais ne nous y trompons pas : il ne suffit pas d’inscrire dans la Constitution des règles prescrivant la lucidité pour réduire, de ce seul fait, les déficits et l’endettement rien sinon la nécessité, car le jour vient fatalement où le recours à l’emprunt est devenu impossible. Concilier notre pouvoir fiscal et notre devoir d’équilibre budgétaire : n’est-ce pas là que réside, mes chers collègues, toute la noblesse de notre mission de parlementaires ? (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)