Les interventions en séance

Aménagement du territoire
Valérie Létard 14/01/2014

«Projet de loi, de programmation pour la ville et la cohésion urbaine»

Mme Valérie Létard

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en décembre 2012, nous avions débattu ici même des principes qui devaient guider une réforme efficace de la politique de la ville et tiré les premiers enseignements de la concertation que vous aviez lancée, monsieur le ministre. Nous voilà donc aujourd’hui, un an plus tard, devant le fruit de la réflexion engagée avec tous les acteurs de la politique de la ville. Nous ne pouvons que nous féliciter de la tenue de cette nécessaire concertation et des propositions qui en ont découlé. Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est certes, au vu des contraintes budgétaires, entouré d’incertitudes quant à son financement, mais il repose sur trois axes fondamentaux sur lesquels on peut s’accorder. Notre travail en commission a constitué une autre étape, intéressante, qui a permis d’enrichir le texte de nouvelles avancées. Je tiens à saluer la qualité du travail et l’investissement personnel du rapporteur, Claude Dilain, ainsi que son écoute, toujours attentive. Comme toujours, il reste encore des marges d’amélioration, qui feront l’objet de la dernière partie de mon propos.
Le projet de loi s’articule autour de trois axes fondamentaux auxquels nous souscrivons. Premier axe : un effort réel de simplification pour venir à bout d’un empilement de zonages qui a abouti, au fil du temps, au saupoudrage des crédits et a nui à l’efficacité de la politique de la ville dans son volet humain. Avec 751 zones urbaines sensibles et 2 493 quartiers ciblés par des contrats urbains de cohésion sociale, il fallait revoir notre géographie prioritaire ! Monsieur le ministre, vous avez fait le choix, à l’article 4, de retenir, pour la détermination des nouveaux « quartiers prioritaires », un seul critère, celui du revenu des habitants, qui permet de mesurer l’écart de développement économique et social du quartier par rapport au territoire national et à l’unité urbaine dans laquelle il se situe. Nous verrons dans les mois qui viennent les résultats concrets de ce choix. Pour ma part, comme je l’avais exprimé à cette tribune, j’étais plus réservée, estimant qu’une pondération de critères déterminés au niveau local permettait de mieux « coller » aux réalités des territoires, en tout cas d’intégrer des spécificités que l’on ne peut pas toujours distinguer à l’échelle nationale. Mais j’entends l’argument de l’objectif nécessaire de simplification. Deuxième axe : le projet de loi consacre l’intercommunalité comme chef de file de la politique de la ville. L’article 5 définit le rôle central des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation du contrat de ville, en lien et en collaboration avec les communes concernées. Il s’agit là d’une avancée très positive qui permettra d’améliorer notablement la cohérence d’action sur les territoires. J’ai bien entendu les inquiétudes des maires, exprimées en commission par certains de mes collègues, mais, élue locale moi-même et présidente d’une intercommunalité, je voudrais les rassurer. Pour mener une politique aussi sensible et complexe, le partenariat entre les deux niveaux de collectivités est incontournable. En revanche, l’échelle intercommunale, en particulier s’agissant de petites communes pauvres situées en géographie prioritaire, permet d’apporter une solidarité horizontale et une mutualisation de l’ingénierie dont le niveau communal, à lui seul, serait bien en peine de se doter. Nous l’avons appliqué dans ma circonscription : des territoires miniers de 5 000 habitants n’auraient jamais pu bénéficier d’une rénovation urbaine et d’une politique de la ville si l’agglomération ne l’avait pas accompagnée à ce stade. Le troisième axe, qui fait l’objet du titre Ier bis, est la poursuite du programme national de renouvellement urbain et de l’annonce d’un nouvel effort budgétaire destiné à poursuivre la requalification des quartiers dégradés. Un des reproches couramment faits à la politique de rénovation urbaine lancée par Jean-Louis Borloo porte non pas sur l’échec de celle-ci – bien au contraire, chacun convient que l’ANRU a permis de réaliser ce qu’aucun autre dispositif n’avait rendu possible ! –, mais sur sa mauvaise articulation avec les politiques d’accompagnement des populations et les contrats urbains de cohésion sociale. La mise en place d’un contrat unique a vocation à remédier à cette difficulté. Il faut le rappeler, l’un ne va pas sans l’autre. La rénovation des immeubles et la meilleure inscription de ces quartiers dans leur environnement sont le préalable nécessaire à un changement de perception, dont les premiers bénéficiaires sont les habitants du quartier eux-mêmes, comme en témoignent les enquêtes de satisfaction mentionnées dans le rapport de la Cour des comptes de juillet 2012. À ce titre, il faut se féliciter de l’annonce d’un nouveau PNRU pour la période 2014-2024, même si l’effort qu’y consacrera l’État, soit 5 milliards d’euros, sera somme toute bien modeste par rapport à celui qui aura été consenti dans le premier programme, doté de plus de 12 milliards d’euros de subventions publiques, pour un total de près de 45 milliards d’investissements. Nous reconnaissons qu’il s’agit là d’une politique nouvelle, et la validons. Mais il ne faut pas en rester là, car le travail à réaliser est encore énorme. Comme l’ont dit certains de nos collègues, il n’eût pas fallu maintenir le suspense jusqu’à l’été quant à la future géographie prioritaire de la rénovation urbaine. Ce n’est d’ailleurs un secret pour personne, monsieur le ministre, car ce débat a déjà eu lieu à l’Assemblée nationale. Il se poursuivra ici, mais il est vrai qu’il est difficile de débattre de ce sujet sans savoir, et c’est l’une des difficultés que nous rencontrons, comment il va se traduire concrètement. Notre travail en commission a permis d’apporter d’utiles précisions au texte issu de l’Assemblée nationale. C’est le cas, notamment, à l’article 1er, de l’introduction de la notion de « coconstruction » avec les habitants et les acteurs du quartier. Je sais que notre rapporteur y est très attaché. Je partage son objectif, car il y a longtemps que, dans ma communauté d’agglomération, comme dans nombre de territoires, nous cherchons à favoriser les initiatives des habitants ainsi que leur participation et leur formation au travers des ateliers d’urbanisme et des fonds de participation des habitants. Je suis en revanche plus dubitative sur la rédaction de l’article 5 bis, mais j’y reviendrai. Je me félicite également que la commission ait accepté mon amendement visant à promouvoir les politiques de prévention et d’éducation à la santé. Les actions dans ce domaine sont essentielles, notamment dans une région comme la mienne, le Nord - Pas-de-Calais, où la situation sanitaire reste très préoccupante ; vous le savez, monsieur Delebarre. De même, à l’article 2, il était important de préciser la portée des opérations d’aménagement urbain mises en œuvre au titre du PNRU, en y mentionnant la création et la réhabilitation des espaces publics et la possibilité de créations d’espaces d’activité économique. En effet, bien souvent, il s’agit non pas seulement de réhabiliter des activités économiques, mais bien aussi d’en favoriser la création. On ne pouvait donc se contenter de vouloir améliorer la situation existante.
L’article 1er bis A nouveau ouvre également un chantier essentiel, puisqu’il prévoit la remise d’un rapport explicitant les conditions du remplacement de la dotation de développement urbain à compter du 1er janvier 2015 par une nouvelle dotation budgétaire intitulée « dotation politique de la ville ».
Il faut noter qu’une fois de plus le Parlement est appelé à se prononcer sur une politique sans que les contours financiers de celle-ci soient clairement déterminés. Monsieur le ministre, peut-être accepterez-vous de lever un coin du voile sur les moyens qui seront affectés à cette nouvelle politique de la ville, à tout le moins de nous assurer qu’ils resteront à même hauteur...
Enfin, vous me permettez d’aborder maintenant les points du texte sur lesquels je porte un regard plus interrogateur.
Les conditions de mise en œuvre du contrat de ville, ses signataires, l’articulation entre l’échelon intercommunal et les communes, toutes ces questions mériteraient d’être précisées. Tout d’abord, de même que le texte pose le principe louable de la coconstruction du contrat avec les habitants, il me semble tout aussi essentiel, voire plus encore, d’appliquer également ce principe aux signataires du contrat. En effet, le contrat de ville doit être coconstruit sur le fondement d’un projet de territoire partagé et conduit dans le cadre d’une gouvernance collégiale. C’est le facteur clé du succès de la mise en cohérence de toutes les politiques publiques sur ces quartiers. De la même façon, sur la mise en œuvre des actions du contrat de ville, l’article 5 mériterait, à mon sens, d’être plus clair. En effet, si la commune reste le territoire d’action privilégié dans la proximité, il n’en est pas moins nécessaire que l’intercommunalité puisse agir « conjointement » pour des actions concernant les quartiers prioritaires, mais aussi sur des publics prioritaires. On peut ainsi citer la prévention des violences intrafamiliales ou des dispositifs de réussite éducative : ces problématiques dépassent la stricte géographie prioritaire et doivent donc pouvoir être traitées dans le cadre du contrat de ville. Les communes nous l’ont demandé dans le passé. Si, demain, nous changeons nos groupements d’intérêt public à l’échelle des communautés d’agglomération, par exemple, afin d’accompagner la réussite éducative, les communes seront-elles en mesure de les porter seules ? Je n’en suis pas sûre du tout. Il faut faire attention à cet aspect. Les crédits de droit commun renforcés et les crédits spécifiques « politique de la ville » doivent donc pouvoir, sur certains objectifs clairement identifiés, accompagner ces populations prioritaires en s’affranchissant du strict périmètre des quartiers. Cette dimension relative aux « populations prioritaires » étant absente du texte, monsieur le ministre, nous proposerons de l’y introduire. Toujours à l’article 5, qui traite du contrat de ville, la commission des affaires économiques a été sensible à mes arguments en faveur de la suppression du mécanisme de sanction introduit au paragraphe V de l’article par le rapporteur de l’Assemblée nationale. Vous nous avez rassurés, monsieur le ministre, en déclarant que vous nous suivriez et ne reviendriez pas sur cette suppression. Certes, l’article 40 a été invoqué sur un autre de mes amendements tendant à proposer un mécanisme de bonification, tant il est vrai que nous préférons l’incitation à la sanction. Cela étant, c’était surtout pour nous l’occasion de réaffirmer, monsieur le ministre, que les départements et les régions doivent absolument être des partenaires cosignataires et des soutiens financiers des politiques qui seront déployées par les collectivités territoriales. D’ailleurs, un amendement de nos collègues socialistes va dans ce sens. Sur l’articulation entre l’intercommunalité et les communes, la rédaction actuelle de l’article 8 n’est pas satisfaisante, car elle ne prend pas suffisamment en compte certaines situations dans la répartition des rôles et des actions entre communes et intercommunalités. Cet article va en effet bien au-delà de la notion de « soutien à la mise en œuvre des actions des communes ». Le texte devrait donc privilégier les programmes d’actions tels qu’ils sont définis dans le contrat de ville, qui offrent une plus grande ouverture et permettent le soutien à des actions de portée intercommunale. C’est cette proposition que je vous soumettrai en vous présentant l’amendement n° 33.
Permettez-moi d’évoquer rapidement la mise en place des coordinations citoyennes, lesquelles se trouvent au cœur de nos préoccupations, car nous agissons bien pour nos concitoyens habitant les quartiers sensibles. Là encore, il me semble que nous devrions faire preuve de davantage de souplesse et surtout laisser à chaque territoire la possibilité, dans le cadre du contrat de ville, d’organiser à l’échelle jugée pertinente, et selon des modalités à définir dans le contrat, l’association nécessaire des habitants, des représentants des associations et des acteurs économiques à la démarche des contrats de ville, et ce afin de bien prendre en compte la réalité de chaque territoire, dans sa spécificité. En cette période de vœux, permettez-moi, monsieur le ministre, de terminer par quelques souhaits. (Sourires.) D’abord, que votre volonté de simplification ne soit pas affaiblie par une concertation, certes indispensable, mais qui, si elle est trop « formatée », risque de se révéler inadaptée à la diversité des situations. Ensuite, que les moyens du droit commun et des dispositifs en sifflet permettent aux quartiers qui ne seront plus éligibles une transition en douceur vers la sortie de la géographie prioritaire. Il s’agit là d’une demande récurrente de nos élus locaux. Enfin, que les politiques de peuplement et la mixité sociale soient solidement inscrites au cœur de la nouvelle politique de la ville et de la rénovation urbaine. C’est bien cette volonté qui nous anime collectivement sur toutes les travées depuis des années et qui doit perdurer ; elle seule permettra à ces quartiers de redevenir des quartiers de ville à part entière. Monsieur le ministre, notre groupe aborde ce débat dans un esprit très constructif. Sans surprise, son vote final dépendra des avancées qu’il aura pu obtenir sur les questions que je viens de soulever. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)