Les interventions en séance

Aménagement du territoire
Nathalie Goulet 13/12/2012

«Proposition de résolution relative au développement par l’Etat d’une politique d’égalité des territoires»

Mme Nathalie Goulet

Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que présentent nos collègues du groupe du RDSE sera sans doute soutenue par l’ensemble des sénateurs. C’est une vraie bonne idée, car elle répond à un besoin. Le Gouvernement a voulu marquer son intérêt à l’égard de l’égalité des territoires en retenant cet intitulé pour baptiser votre ministère, madame le ministre. Certes, c’est une bonne chose en termes d’image, mais cela ne suffit pas en termes d’actes ; je ne reviendrai pas sur la brillante démonstration faite par notre collègue Jacques Mézard. On dit que « sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie », mais sans argent, la politique des territoires n’est qu’un vœu pieu ! Madame le ministre, vous avez installé le 10 septembre dernier une commission chargée de réfléchir à la création d’un commissariat général à l’égalité des territoires. Le Sénat a auditionné la semaine dernière son président, après qu’il vous a remis un rapport d’étape rédigé par les douze hauts fonctionnaires qui la composent. La mission que vous lui avez confiée consiste à dresser un inventaire, à suggérer une orientation des politiques d’intervention territoriale, à préciser les contours de cet éventuel commissariat et à faire des recommandations. Je dois vous dire ma très profonde et très ancienne hostilité aux états généraux, aux Grenelle de tout poil, aux forums qui ne font plaisir qu’à ceux qui s’écoutent parler sur les estrades, aux formulaires et questionnaires multiples et variés auxquels les maires répondent depuis des années. D’ailleurs, en accord avec deux des trois députés, le département de l’Orne n’a pas organisé d’états généraux, redoutant de ne pas avoir de réponses à apporter aux questions posées. Nous connaissons ici l’ensemble des problématiques auxquels sont confrontés les territoires ; chacun d’entre nous a expérimenté des solutions et nul n’a besoin ici des conclusions de telle et telle commission. D’ailleurs, les principaux intéressés ne sont jamais entendus ou, s’ils le sont, ils ne le sont pas pour longtemps. Les inégalités sur notre territoire sont croissantes et concernent autant les secteurs régaliens que les secteurs économiques ou encore l’école. Cela étant, nous avons récupéré dans l’Orne six postes dans l’éducation nationale, dont un à Champsecret ; comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, le maintien de cette classe aura justifié à lui seul mon engagement aux côtés du candidat François Hollande. Les inégalités existantes concernent aussi la sécurité, les services publics, ainsi que, bien sûr, la santé. Le plan proposé par Marisol Touraine contre les déserts médicaux est intéressant. La carotte, c’est bien, mais je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut aussi manier le bâton en mettant en place des mesures coercitives pour faire venir les médecins dans les zones rurales. Les inégalités touchent également l’aménagement numérique du territoire. Sur ce sujet, je rappelle l’excellent travail de notre collègue Hervé Maurey. Les transports sont évidemment aussi visés. Notre collègue Jacques Mézard a dit que, dans sa région, les trains patinent sur les feuilles mortes. Il en est de même en Basse-Normandie, notamment sur la ligne Paris-Granville, une ligne historique. À cet égard, je vous invite, mes chers collègues, à consulter le blog des usagers, qui est édifiant. Madame le ministre, qu’est devenue l’ambition de réduire le millefeuille des compétences ? Le brillant mode de scrutin binominal ne réduira pas le nombre de conseillers généraux, dont nous savons tous ici qu’ils n’ont qu’une utilité réduite en raison des intercommunalités. L’Orne, avec 293 000 habitants, compte 40 cantons. Il n’en restera que 20 si le texte est adopté, mais toujours avec 40 conseillers généraux. En France, 674 cantons ont moins de 2 500 habitants. Nous attendons d’abord de la lucidité et du courage ! Supprimez les élus inutiles et rebasculez les indemnités économisées pour alimenter votre politique des territoires ! Quid du travail réalisé par notre ancien collègue membre du RDSE Gérard Delfau sur la péréquation ? Interrogeons-nous sur l’efficacité de nos politiques de péréquation. En effet, pour favoriser l’égalité territoriale, il vaut mieux équilibrer les ressources et les financements. Pour ce faire, le Gouvernement a souhaité renforcer la péréquation dite verticale entre les niveaux de collectivités. On observe notamment que la part relative de la péréquation verticale dans la dotation globale de fonctionnement est relativement forte au niveau communal, moyenne au niveau départemental et très limitée au niveau régional. Il faut aussi considérer la péréquation horizontale. À cet égard, si le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, créé par la loi de finances pour 2012, est un bon dispositif, les conditions de dépenses sont tout à fait limitées, comme le montre le rapport spécial du Sénat sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales » du projet de loi de finances pour 2013 – un rapport qui n’a pas été présenté en séance publique, compte tenu du fait que nous n’avons pas pu examiner la seconde partie du projet de loi de finances. En réalité, nous nous retrouvons dans la situation stupide, bien connue des spécialistes du droit social, de l’ « effet Matthieu » : à celui qui a, tu donneras et il aura tout en abondance ; à celui qui n’a pas, tu enlèveras même ce qu’il a. C’est la double, voire la triple peine pour les départements ruraux. Madame le ministre, au-delà de ses aspects juridiques, à quoi souhaitez-vous adosser la future loi de programmation ? Avec une réforme territoriale avortée, une « simplification » des schémas intercommunaux menée à la hache, une départementalisation des syndicats primaires, de prochaines élections cantonales concoctées par la commission Jospin dont le mode de scrutin ne semble pas forcément très simple, je ne vois pas comment vous allez pouvoir mener une politique d’égalité des territoires dans un tel fatras administratif. Nous devons donc éclaircir les règles de financement et les règles de compétences. La meilleure preuve en a été donnée par l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale à propos du financement des départements. Sur tous ces sujets, les moyens manquent et on ne voit pas comment vous pourrez faire mieux que vos prédécesseurs. Et quand ils ne manquent pas, les moyens se concentrent dans les mêmes lieux, accentuant les inégalités – ce constat vaut pour le milieu rural comme pour les banlieues et les milieux urbains ou périurbains défavorisés. Pensez-vous demander au Premier ministre de réunir un comité interministériel d’aménagement du territoire ? Le dernier comité, qui s’est tenu le 11 mai 2010 – c’est ancien –, a lancé la deuxième phase des pôles de compétitivité et pris de nombreuses mesures relatives à la petite enfance, aux aînés et au tourisme rural. Allez-vous poursuivre la politique des pôles d’excellence rurale ? Pensez-vous revoir la politique de zonage ? Avez-vous été associée à la rédaction du projet de loi de décentralisation que prépare votre collègue Marylise Lebranchu ? Nous attendons vos réponses à toutes ces questions, car, si elles ne sont pas résolues, il n’y a pas de programmation ni de politique d’égalité des territoires possibles : on construirait sur du sable ! Madame le ministre, vous n’aurez pas trop de cinq ans pour mettre bon ordre dans la maison et appliquer une véritable politique des territoires ; c’est pourquoi il faut commencer immédiatement ! (Mmes Esther Benbassa et Françoise Laborde applaudissent.)