Les interventions en séance

Défense
Jean-Marie Bockel 13/12/2011

«Projet de loi visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants»

M. Jean-Marie Bockel

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, on peut considérer que le recours à la procédure accélérée marque l’intérêt du Gouvernement pour la lutte contre la délinquance juvénile, à l’instar de la décision prise par le Premier ministre le 22 septembre dernier, lors d’une réunion interministérielle, de créer 166 places supplémentaires au sein des centres relevant de l’EPIDe, même si ce chiffre est modeste. Bien sûr, les budgets doivent suivre ; je crois que vous avez pris des dispositions pour qu’il en soit ainsi, monsieur le ministre. Les temps sont certes difficiles, mais il s’agit ici d’une priorité. S’adressant à la majorité sénatoriale lors de la première lecture, le président de notre groupe, M. Zocchetto, avait déjà déploré des abus dans l’utilisation de la procédure, compliquant le travail parlementaire et le rendant peu positif. En effet, il s’agit de clore le débat avant qu’il ait pu commencer. Cela est dommage car, sur un tel sujet, nous aurions pu avoir un vrai dialogue, rude le cas échéant, mais qui aurait sans doute permis de faire converger nos positions sur un texte que nous ne jugeons pas, nous non plus, au-dessus de toute critique. Hélas, le débat n’aura pas lieu et nous ne pourrons pas présenter d’amendements, visant par exemple à la création de sections spécialisées au sein des EPIDe ou à l’intégration d’un certain nombre de mineurs délinquants dans chaque promotion, afin qu’ils soient à la fois confrontés et associés aux jeunes majeurs volontaires, sans pour autant que les uns et les autres soient traités de la même manière. Le personnel d’encadrement des centres relevant de l’EPIDe étant habitué aux situations difficiles, l’idée d’accueillir des mineurs délinquants dans ces structures n’est pas mauvaise en soi, mais sa mise en application doit être préparée et ne saurait être improvisée, d’autant que le nombre de places disponibles est très faible. Or on risque de remettre en cause, par manque d’organisation et de préparation, la réussite que connaît aujourd’hui, de l’avis général, ce bel outil de partage et d’apprentissage qu’est l’EPIDe. Je regrette donc à mon tour que nous ne puissions avoir une discussion de fond sur cette proposition de loi. En tant qu’auteur d’un des nombreux rapports parlementaires sur la prévention de la délinquance des mineurs, je n’ignore pas qu’il s’agit d’une question complexe, comportant notamment des dimensions familiale, scolaire, judiciaire. À cet égard, j’observe qu’une proposition de loi n’apportant qu’un élément de réponse n’est peut-être pas suffisante pour la traiter, même si je ne suis pas partisan de l’inflation législative et réglementaire en la matière. Les pistes sont nombreuses, mais, en tout état de cause, pour avancer, il faut mettre en place des moyens adaptés et pérennes. Quoi qu’il en soit, ce texte a au moins le mérite d’amorcer la discussion avec les pouvoirs publics, les institutions judiciaires et éducatives, ainsi qu’avec les collectivités territoriales, qui, dans le domaine de la prévention de la délinquance des mineurs, sont depuis longtemps en première ligne – je le sais d’expérience – et sont des forces de proposition, mais ont parfois du mal à coordonner leurs actions. Au travers de cette proposition de loi, on entend s’appuyer sur la réussite des EPIDe pour essayer de leur faire assumer de nouvelles missions. Pour ma part, j’ai été favorable dès l’origine à ce dispositif, mis en place en 2005. À l’époque, j’avais même souhaité l’implantation d’un tel centre dans la ville dont j’étais maire. Toutefois, alors que l’objectif annoncé au départ était d’accueillir 20 000 jeunes dans des EPIDe présents dans la totalité des régions, on constate qu’en 2010 le dispositif concernait 2 250 jeunes seulement, répartis dans vingt centres. S’il s’agit d’une expérience formidable, son ampleur reste donc encore beaucoup trop limitée et n’est pas à la mesure des espérances initiales. Il faut éviter l’affaiblissement à terme du dispositif et au contraire le développer, si l’on veut qu’il puisse accueillir, à l’avenir, des mineurs primo-délinquants, même non volontaires. Il faut donc dépasser le stade simplement expérimental. Le dispositif est certes coûteux, mais beaucoup moins que les conséquences de la délinquance que nous connaissons aujourd’hui. On peut d’’ailleurs imaginer des mesures incitatives, y compris pour les mineurs délinquants, en termes de peine encourue ou d’implication personnelle dans le processus de réinsertion. En effet, si la réussite des EPIDe tient bien entendu à la qualité de l’encadrement, qui compte d’anciens officiers et sous-officiers, et au sens pédagogique du personnel, la motivation des jeunes et le soutien des familles jouent également beaucoup. Pour conclure, je suis très favorable, sur le principe, à l’accueil de mineurs délinquants dans les EPIDe. Toutefois, en attendant que nous puissions avancer dans cette voie, je souhaiterais que nous nous penchions sur un certain nombre de mesures simples, concrètes et peu coûteuses : je pense par exemple à la mise en place de « trinômes judiciaires » associant juges des enfants, parquet des mineurs et protection judiciaire de la jeunesse – quelque cinquante protocoles ont déjà été signés à cette fin – ou à l’inscription du juge des enfants comme membre à part entière du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Monsieur le garde des sceaux, j’espère que, au-delà du débat malheureusement tronqué d’aujourd’hui, vous tracerez des perspectives et ouvrirez des pistes de réflexion sur ce très important sujet. (Applaudissements sur les travées de l’UCR.)