Les interventions en séance

Agriculture et pêche
13/07/2010

«Projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche – CMP»

M. Jean Boyer

Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, monsieur le président de la commission de l’économie, avocats de notre agriculture (Sourires), mes chers collègues, nous nous prononçons aujourd’hui sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Le texte présenté par le Gouvernement tend à répondre à l’urgence de la crise que traverse l’agriculture française.
Certes, depuis l’après-guerre – ce temps où vous n’étiez pas encore né, monsieur le ministre ; je peux en parler, moi qui suis un ancien agriculteur (Sourires) –, l’agriculture a subi des péripéties : elle a connu des mutations successives et des inquiétudes fondées. En 1955, la France comptait 2 300 000 exploitations, aujourd’hui il en reste 580 000. On dénombrait 8 500 000 actifs, aujourd’hui, ils ne sont plus que 1 300 000. Le poids de l’agriculture dans le PIB était de 12 %, il atteint aujourd’hui 2 %.
En revanche – il nous faut être objectifs – la part des subventions dans le revenu brut d’exploitation était de 2 %, elle est aujourd’hui de 80 %. À cette époque, la mission principale de l’agriculture était de nourrir les hommes. Aujourd’hui, son rôle s’est ouvert et diversifié.
Nous référer à une situation immédiate, c’est rappeler par exemple que le volume de nos exportations a diminué de 20 % entre 2008 et 2009 et que les revenus des agriculteurs, en particulier dans certaines filières comme celle du lait, ont plongé de près de 50 %.
Bref, l’agriculture française est morose, elle est inquiète parce qu’aucun arc-en-ciel n’est visible à l’horizon.
Dans le contexte européen et mondial de cette jungle économique, sociale, et parfois démagogique, il y a le vouloir mais aussi le manque de vérité entre le rapport prix et qualité.
Dans sa version finale, ce texte ne répond pas tout à fait aux défis que le monde agricole français doit relever. Le peut-il ? Non. En effet, la politique agricole n’est pas une politique franco-française. Elle est en fait l’une des rares politiques où les décisions, le cadre et les subventions se décident à l’échelon européen.
Or le texte intervient à un moment où le bilan de santé de la PAC vient de prendre fin, où les contours de la PAC de 2013 ne sont pas encore dessinés et où de fortes incohérences subsistent.
Dans cette période transitoire, ne fallait-il pas innover ? Je sais, monsieur le ministre, qu’il est facile de dire et de critiquer et plus difficile de faire et de construire. Aussi, comme je ne pense pas être un « critiqueur » par nature, je ne me prononcerai pas sur cette question. La crise agricole était peut-être l’occasion de soulever le paradoxe, que l’on entend évoquer dans nos communes, nos pays, selon lequel il est absurde de vouloir conjuguer la « défense du pouvoir d’achat », donc, la pression à la baisse des prix à la consommation, avec la garantie de revenus décents pour les producteurs de base, c’est-à-dire les agriculteurs.
La loi répond par un ensemble de mesures diverses, dont beaucoup témoignent d’une nouvelle administration, voire – je le dis sans aucune démagogie, sans esprit de polémique, monsieur le ministre – d’une sur-administration de notre agriculture, qui fait que les complexités administratives sont décourageantes et, parfois, contradictoires. Toutefois, dans ce projet de loi de modernisation de l’agriculture, plusieurs points nous semblent importants, voire déterminants.
À ce titre, j’évoquerai les circuits courts.
Très sincèrement, nous pensons que cette conception devrait être positive, car elle est fondée sur le bon sens, la transparence, la sécurité alimentaire, mais aussi la valorisation locale.
Il faudra que, avec tout le respect de la légalité souhaité, car il ne s’agit pas de commettre des infractions, l’accès au marché des producteurs locaux puisse se réaliser afin de donner satisfaction à tout le monde.
Monsieur le ministre, on a le sentiment dans la France d’en bas – elle a peut-être tort de penser ainsi –, que dans notre pays, on veut souvent « laver plus blanc que blanc ». Dans l’alimentation, il faut certes avoir une rigidité, mais cette dernière ne doit pas aboutir à une disparité à la fois sanitaire et réglementaire.
Un produit qui a parcouru plus de deux mille kilomètres avant d’arriver dans l’assiette du consommateur peut-il présenter de meilleures garanties qu’un produit transparent, fabriqué à quelques dizaines de kilomètres ? Dans le débat, j’avais souligné que le souci de transparence était très noble, mais que celle-ci était parfois très difficile à réaliser.
Comparons, par exemple, les conditions de production de porcs en Bretagne, où il n’y a aucun surcoût de bâtiment d’élevage, de transport d’aliments puisque ces derniers arrivent à Brest et où les abattoirs sont compétitifs, et celles de la Haute-Loire, département de la France rurale, à mille deux cents kilomètres, où le volume d’abattage est de seulement 3 500 tonnes par an !
Monsieur le ministre, de crainte de dépasser mon temps de parole, je ne m’étendrai pas davantage sur cette question, même si la sérénité qui caractérise votre forte personnalité est reconnue nationalement ! (Sourires.) L’observatoire des prix est un autre point positif.
C’est là un apport essentiel au texte, proposé par notre collègue du groupe Union centriste Daniel Dubois.
L’utilité de cet observatoire se mesurera à sa capacité de rendre publique la liste des transformateurs et des distributeurs qui ne jouent pas le jeu de la transparence des prix et des marges. Espérons que l’efficacité de son action ne sera pas écornée par le fort encadrement de certaines procédures !
En dehors de sa capacité de sanction, l’utilité de cet observatoire dépendra de la portée auprès des politiques, des professionnels et du public, de ses analyses et recommandations.
C’est ainsi qu’il aura sa raison d’être. Vous entendez ce message depuis des mois, et vous l’avez fait vôtre, parce que vous avez la volonté de l’appliquer. Autre mesure que l’on peut souligner dans ce texte, parce qu’elle est une réponse pratique à une distorsion de compétitivité : l’assouplissement des seuils déclenchant les procédures d’autorisation des bâtiments d’élevage.
Notre groupe a proposé en vain une telle mesure, tout en la subordonnant à la mise en place d’un méthaniseur collectif, afin de limiter l’augmentation des effluents.
Le Gouvernement – vous le savez mieux que moi, monsieur le ministre, car je ne l’ai appris, pour ma part, que la semaine dernière –, a finalement accepté cette mesure à l’Assemblée nationale, et nous nous en réjouissons.
Alors que l’abattage des porcs français a stagné pendant de nombreuses années, l’Allemagne a connu une croissance de 35 % en dix ans. Espérons que cette mesure permettra de rattraper notre compétitivité dans ce secteur ! Quant au volet « contractualisation », on ne peut l’aborder qu’en disant que celle-ci constituera un point fort, même si les durées de contrats ne répondent pas à une efficacité pérenne.
Enfin, s’agissant du secteur de la pêche, qui n’est pas ma spécialité, car – Adrien Gouteyron le dirait – en Haute-Loire, les rivières sont tellement petites qu’il n’y a même plus de saumons (Sourires.), je serai fidèle à l’argumentation de Jean-Claude Merceron, qui a longtemps défendu ce dossier.
Ce projet de loi permet de mieux appréhender et partager le diagnostic sur le plan de la ressource halieutique, pour rendre plus acceptables les décisions de restriction de la pêche.
Mais de nombreux sujets, comme les outils financiers et fiscaux favorisant le renouvellement des flottes de pêche, devraient faire l’objet d’une attention accrue du Gouvernement, car le développement de l’agriculture et de la pêche dépend de ses innovations et de ses investissements. Finalement, comme nous l’avions déjà souligné en première lecture, ce projet de loi manque un peu d’ambition, mais, nous le savons, votre tâche n’est pas aisée, monsieur le ministre. En tout état de cause, il apporte des avancées que nous souhaitons encourager.
Aussi, tous les membres du groupe Union centriste voteront ce texte, parce qu’au lieu d’être responsable et désespéré, il faut se montrer responsable et actif !
Pour l’heure, le sort de l’agriculture française, de sa compétitivité, de sa régulation est entre les mains de la Commission européenne. Permettez-moi, monsieur le ministre, de m’interroger sur l’efficacité de notre politique européenne en faveur de l’agriculture française. Notre agriculture, dans le cadre des Vingt-sept, n’a-t-elle pas mangé son pain blanc depuis quelques années ?
Mais, je viens de le dire, nous n’avons pas le droit d’être responsables et désespérés. Alors, travaillons !
La France possède plusieurs agricultures, y compris celle de montagne. Dans cet hémicycle, Jean-Paul Amoudry, Jacques Blanc, Adrien Gouteyron et, dans les tribunes, Jean Digonnet, trésorier de l’Association nationale des élus de montagne, l’ANEM, tous sont présents pour témoigner du fait que l’agriculture de montagne demande non pas des privilèges, mais une parité.
Je terminerai, monsieur le ministre, en vous parlant ouvertement et sans démagogie. Dans l’armée, où j’étais sous-lieutenant, on avait noté sur mon dossier la remarque suivante : « franchise parfois trop cinglante ». Aujourd’hui, ma franchise s’est peut-être adoucie avec l’âge, mais mes propos restent vrais. Je vous dirai donc que les agriculteurs apprécient beaucoup votre langage de vérité, votre regard objectif et, dans certains domaines, votre regard social, sur une profession qui, bien qu’ébranlée, n’a pas perdu l’essentiel : son idéal, son envie d’entreprendre, l’amour de son activité. Pour cela, elle doit garder quelque chose de très fort : l’espérance. Merci, monsieur le ministre, de nous aider à la garder ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)