Les interventions en séance

Institutions
Yves Détraigne 13/06/2013

«Projet de loi relatif à l՚élection des sénateurs-Demande de renvoi à la commission »

M. Yves Détraigne

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de débuter mon propos par une question adressée à M. le ministre : pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas inscrit le projet de loi dans le cadre de l’ordre du jour qui lui est réservé par priorité ? Ce texte, dont chacun mesure ici la portée éminemment politique, a connu des débuts difficiles. En effet, le 10 mai dernier, François Rebsamen a demandé – c’était tout à fait son droit – le report à aujourd’hui de l’examen du projet de loi relatif à l’élection des sénateurs. Si ce report était juridiquement possible, il n’en était pas moins inattendu, et je dirais même surprenant. Nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander la raison d’une telle décision. Quand on sait que la commission des lois n’a pas pu adopter de texte faute de majorité, cette question semble trouver réponse. À cela s’ajoute le fait, comme je l’évoquais précédemment, que ce texte d’origine gouvernementale est examiné dans le cadre d’une semaine sénatoriale de contrôle, au sein de l’ordre du jour réservé au groupe socialiste, et non pas, comme cela aurait dû être le cas, dans l’une des semaines réservées par priorité au Gouvernement. Chacun le sait, il n’est pas question de se prononcer sur ce texte dans un délai de quatre heures. L’ordre du jour réservé au groupe socialiste est donc insuffisant. C’est la raison pour laquelle la dernière conférence des présidents a fini par lever le suspense, en fixant la fin de son examen au mardi 18 juin. Quel est l’intérêt de commencer volontairement l’examen d’un projet de loi un jeudi, sur le temps sénatorial, pour le terminer un mardi après-midi, sur le temps gouvernemental, alors que nous avons des propositions de loi à examiner ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) Nous devons nous poser certaines questions importantes : quelle est la raison d’être de ce texte ? Est-il nécessaire de modifier le mode de scrutin applicable aux élections sénatoriales ? Désigner un délégué supplémentaire par tranche de 800 habitants dans les communes de plus de 30 000 habitants et abaisser le seuil au-delà duquel les sénateurs sont élus au scrutin proportionnel sont deux choix purement politiques, je serais même tenté de dire qu’il s’agit de choix politiciens. En réalité, l’objectif est très clair, même si on ne peut, naturellement, en trouver trace ni dans l’exposé des motifs du projet de loi ni dans son étude d’impact : il s’agit, monsieur le ministre, de conserver à tout prix la timide majorité que vous avez obtenue lors du dernier renouvellement sénatorial. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) Pour atteindre cet objectif en septembre 2014, vous avez plusieurs possibilités. Tout d’abord, il vous faut éviter à tout prix d’avoir à affronter des échéances électorales locales d’ici à septembre 2014. En effet, vous pouvez redouter l’attitude des électeurs après deux ans au pouvoir. En la matière, le calendrier de l’année 2014 laissait place à toutes les possibilités, puisque de très nombreux scrutins devaient avoir lieu : élections municipales, départementales, régionales et européennes. Pour ces dernières, le Gouvernement n’a pas de marges de manœuvre. Pouvait-il reporter les municipales, dont on connaît l’importance avant un scrutin sénatorial ? Cela semble avoir été envisagé un temps. Heureusement, cette idée a été abandonnée. Ne restaient plus que les élections cantonales et régionales. Leur sort a été réglé, puisque la loi du 17 mai 2013 les a reportées à mars 2015. Ensuite, il vous faut modifier le mode de scrutin sénatorial, en espérant en tirer profit. Ces arrangements électoraux ont déjà largement été engagés par le Gouvernement, puisque la fameuse loi du 17 mai 2013 que j’évoquais à l’instant a, elle aussi, modifié les règles applicables, en instaurant le non moins fameux « binôme paritaire » aux élections cantonales, ce que j’ai présenté dans mon département en utilisant l’expression de « double mixte ». (Sourires sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) Les élections municipales ont également donné lieu à des arrangements électoraux, en l’occurrence moins d’un an avant le scrutin, ce qui est contraire à l’usage républicain. Et que dire de l’élection municipale à Paris, que le Conseil constitutionnel a rendue impossible sans l’adoption d’un nouveau texte ? Or ce vote ne pourra avoir lieu que quelques mois seulement avant l’élection. Bref, la matière électorale nous occupe déjà très largement depuis le début de cette législature, et cela semble bien parti pour durer. C’est sans doute une priorité pour nos concitoyens, victimes de la crise et du chômage. Aujourd’hui, les modes de scrutin pour l’ensemble des élections nationales – à l’exception de l’élection présidentielle – et territoriales ne sont fixés ni par la Constitution ni par la loi organique. En clair, avec la prééminence institutionnelle de l’Assemblée nationale, un parti qui dispose de la majorité absolue des députés peut, à lui seul, modifier tous les modes de scrutin qui structurent notre démocratie, contre l’avis du Sénat et des autres forces politiques du pays. Cette situation pose, me semble-t-il, un véritable problème démocratique : le parti qui obtient la majorité absolue à l’Assemblée nationale peut alors être tenté, comme c’est le cas en ce moment, de modifier l’ensemble des modes de scrutin nationaux et territoriaux pour asseoir son pouvoir à tous les niveaux de notre démocratie. Il n’est pas acceptable qu’une seule formation politique puisse modifier à elle seule les règles électorales à quelques mois des élections. C’est pour cette raison que le groupe UDI-UC a déposé, il y a quelques semaines, une proposition de loi constitutionnelle tendant à faire en sorte qu’un seul parti ne puisse plus imposer au pays une réforme des modes de scrutin contre l’avis de toutes les autres formations politiques, à moins qu’il ne dispose d’une majorité des trois cinquièmes des membres de chacune des chambres du Parlement. Revenons à ce projet de loi ; que se passerait-il s’il n’était pas adopté par le Sénat ? Constitutionnellement – et sauf erreur de ma part –, puisqu’il s’agit d’une loi ordinaire, l’Assemblée nationale pourrait parfaitement avoir le dernier mot, même sur une modification du mode de scrutin sénatorial. La question n’est donc pas juridique, elle est politique : que déciderait le Gouvernement si la Haute Assemblée rejetait ce texte ? Venons-en au fond. Je souhaite partager avec vous, mes chers collègues, l’expérience que j’ai pu avoir du scrutin de liste proportionnel dans un département élisant au moins trois sénateurs, que ce texte tend à réintroduire. En 2001, dans la Marne, la liste de trois candidats que je conduisais, à un moment où le scrutin était le même que celui proposé par le projet de loi, avait remporté tous les sièges. Nous avons récidivé en 2011, alors que le scrutin était redevenu majoritaire, preuve, s’il en est, que c’est d’abord l’implantation territoriale qui compte, avant tout calcul politicien. Le développement de la proportionnelle pousse au calcul politicien. Je ne suis donc pas certain – je le regrette presque pour vous – que cette nouvelle tentative de sauver une majorité (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.) en modifiant le mode de scrutin ait beaucoup de succès. J’ai même pitié de vous, mes chers collègues ! Enfin, nous sommes également opposés à la désignation d’un délégué supplémentaire par tranche de 800 habitants, au lieu de 1 000 habitants, dans les communes de plus de 30 000 habitants. Il est impensable d’adopter cette disposition sans en connaître les conséquences précises. L’étude d’impact prévoit environ 3 000 délégués en plus. Comment se répartiront-ils dans chaque département ? Mon collègue Michel Mercier, qui aurait dû intervenir à ma place, le rappelait en commission : les délégués supplémentaires du Rhône passeraient de 600 à plus de 800 et représenteraient un quart du collège. Constitutionnellement, c’est contestable. En 2000, le Conseil constitutionnel a rappelé que le corps électoral devait être essentiellement composé de membres d’assemblées délibérantes des collectivités. Or, désormais, les 800 délégués non élus locaux seraient en mesure d’élire deux sénateurs. Dans ces conditions, il faudrait arrêter de prétendre que les sénateurs représentent les collectivités territoriales. Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe ne peut soutenir cette réforme. Pour vous en convaincre un peu plus, Hervé Maurey vous présentera, au nom du groupe UDI-UC, la motion tendant à opposer la question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)