Les interventions en séance

Affaires sociales
13/02/2012

«Proposition de résolution relative aux violences faites aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants»

Mme Muguette Dini

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie notre collègue Roland Courteau de nous obliger une fois de plus à nous intéresser aux violences faites aux femmes. Le 1er décembre dernier, j’ai demandé au Gouvernement de faire le point sur l’application de la loi du 9 juillet 2010. J’ai bien noté qu’une circulaire très complète avait été adressée aux différents acteurs de sa mise en œuvre. Toutefois, les résultats obtenus ne m’ont pas convaincue et ce que nous entendons, ici ou là, n’est toujours pas rassurant. Aujourd’hui, en effet, ces violences faites aux femmes sont reconnues comme un enjeu de santé publique et considérées comme graves et inacceptables. Mais cela ne suffit pas pour en limiter la réalité. Il n’existe pas de réponse unique, simple et complète qui permette de réduire ces violences. Les réponses sont multiples et s’appuient sur plusieurs niveaux. Le premier type de réponse porte sur la législation, car, sans lois réprimant les violences spécifiques faites aux femmes, il est peu probable que celles-ci diminuent. Le deuxième type de réponse s’appuie sur la mobilisation des professionnels. Le troisième type de réponse consiste à faire avancer cette cause au sein de l’opinion publique. Il s’agit d’aider à une évolution des mentalités, mais aussi des comportements, en traitant le problème à la source et en agissant sur ce qui l’a provoqué. (Mme Michelle Meunier et M. Roland Courteau acquiescent.) C’est pourquoi la prévention par l’éducation est essentielle. Mais il y a fort à faire face aux modèles dominants, notamment ceux qui sont véhiculés par les médias s’adressant aux jeunes. Ce sont sur les deuxième et troisième types de réponse que je souhaite insister. Nos lois sont essentielles, mais encore faut-il qu’elles soient correctement appliquées, et cela sur l’ensemble du territoire, comme les collègues qui m’ont précédée l’ont souligné. En effet, elles resteront lettres mortes si les professionnels de la police, de la justice, de la santé, mais aussi le monde de l’éducation ne s’en emparent pas. Il faut avouer que, sur ce sujet, bien des progrès restent à faire. Concernant la police et la gendarmerie, on sait que l’accueil et l’écoute peuvent être encore considérablement améliorés. Pour mieux comprendre ce qui se passe chez les magistrats, j’ai consulté des articles de doctrine commentant le vote de la loi du 9 juillet 2010. J’ai été surprise de constater que les juges aux affaires familiales, les JAF, sont encore fort critiques. Je reprendrai la position d’un JAF du tribunal d’Évry, publiée dans la Gazette du Palais du 19 août 2010 : « La loi du 9 juillet 2010 crée un arsenal juridique important permettant de lutter efficacement contre les violences conjugales. Si le vote d’une loi et le renforcement des pouvoirs judiciaires apparaissent indispensables au regard du constat alarmant du nombre de violences conjugales en France, certaines dispositions laissent perplexes... » Autre commentaire paru dans la Gazette du Palais du 11 novembre 2010 : « Sur le versant strictement pénal de la loi, certaines mesures sont sans doute excessives, telles le bracelet électronique ou la garde à vue “d’office”, qui ont déjà ému les milieux judiciaires. Le risque n’est pas mineur de voir les allégations infondées de violences se développer, noyant et affaiblissant le traitement des vrais drames du quotidien ». Ces commentaires, face aux statistiques dramatiques que nous connaissons et qui ont été rappelées par nos collègues montrent que l’implication des magistrats est loin d’être convaincante. Les services de santé ont aussi leur rôle à jouer. Les médecins sont aujourd’hui conscients de l’ampleur du problème et du fait que la violence peut s’exercer dans n’importe quel milieu, sans relation avec l’âge, les origines, l’éducation, la religion, le statut marital, le niveau socio-économique. Toutefois, ils pensent encore trop souvent que toute question de leur part est une intrusion dans la vie privée du patient et craignent d’offenser celui-ci. Ils expriment souvent un sentiment de frustration, estimant n’avoir aucune solution efficace à proposer. Les médecins avouent être désemparés face à cette réalité, car ils ont généralement peu de temps à consacrer à une écoute qui peut aussi les déranger. Là encore, l’urgence de la formation des généralistes et des spécialistes est d’actualité. Enfin, pour ce qui est de l’école, sachant que c’est durant l’enfance et en particulier au cours de l’adolescence que les représentations sexistes se constituent, il est urgent de développer dans les établissements scolaires des actions de sensibilisation et de formation à l’égalité entre les sexes. Comme dans d’autres secteurs de la vie sociale, les établissements scolaires sont confrontés à la violence, notamment sexiste, et ne sont pas à l’abri du déni de ces phénomènes. Les tensions actuelles entre filles et garçons dans les établissements scolaires sont le produit de phénomènes que l’on n’a pas su ou voulu prévenir. Les représentations de la femme soumise et de la femme objet, y compris chez des adolescents apparemment libérés des schémas traditionnels, persiste, voire se renforce. On a minimisé les mouvements idéologiques ou religieux qui justifient le partage des rôles sociaux, une image dégradée et méprisante des femmes et on a fait comme si la mixité à l’école allait de soi. Comment lutter contre le déni de la violence sexiste ? Pour certains responsables d’établissements, le choix du silence reste l’attitude privilégiée, de peur d’une médiatisation des faits, fortement redoutés pour l’image du lycée ou du collège. (Mme Michelle Meunier et M. Roland Courteau acquiescent.) Diverses recherches ont analysé la violence à l’école. J’ai retenu une enquête menée à Rennes au sein de deux collèges, l’un en milieu urbain et l’autre en milieu périurbain. Il est apparu au cours de cette étude que la construction de la virilité joue comme instigatrice de violences entre élèves. C’est avant tout l’exclusion des filles qui se fait au travers de violences verbales, d’insultes à caractère sexuel, souvent liées à l’apparence physique. Dans l’espace scolaire, les jeunes filles sont souvent ramenées à leurs corps et déconsidérées. Elles subissent aussi des violences physiques, qui semblent parfois le seul moyen trouvé par les garçons pour communiquer avec elles. Dans la cour de récréation, on assiste à une représentation très caricaturale de la sexualité, qui est liée bien sûr à la pornographie, mais aussi à la représentation des femmes dans la société. Les filles affirment généralement leur appartenance au genre féminin en surinvestissant les relations amoureuses et leur apparence physique, au risque de ne pas se construire pour elles-mêmes. Les relations avec les garçons tournent donc autour du regard posé sur elles et de multiples violences naissent de cet échange inégalitaire. La sous-estimation des violences par les victimes elles-mêmes est liée à l’intégration du rapport de domination par les filles, qui manquent de confiance en elles. Elles ne savent pas, ou plus, distinguer les violences d’un comportement normal entre personnes égales. Elles ont tendance à minimiser ces violences, qu’elles voient comme une fatalité à accepter. La cécité ou la complicité des adultes qui tolèrent ces violences amènent les filles à les considérer comme « normales ». Depuis plusieurs années, le système éducatif s’est engagé, au travers d’actions de sensibilisation auprès des jeunes, dans une politique volontariste de promotion de l’égalité entre les sexes. La multiplication de ces initiatives et leur inscription dans la durée sont essentielles ; elles sont un gage de leur réussite. La mise en œuvre d’un plan de formation des personnels ou d’une formation locale se révèle indispensable pour que les communautés éducatives soient en mesure de trouver, ensemble, des réponses. Les violences faites aux femmes sont une plaie de notre société, d’autant plus douloureuse qu’elle est souvent tue ou cachée. Mettons tout en œuvre pour éradiquer ce fléau et les dégâts qu’il entraîne sur les femmes elles-mêmes et sur leurs enfants. Toute résolution, mais surtout toute action permettant d’avancer dans cette voie sont les bienvenues. C’est pourquoi le groupe UCR soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)