Les interventions en séance

Affaires sociales
Jean-Marie Vanlerenberghe 12/11/2012

«Projet de loi, de financement de la sécurité sociale pour 2013 »

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, les soldes sociaux s’améliorent : voilà ce que le Gouvernement et les rapporteurs mettent en avant. Cela est vrai cette année, ce le sera l’année prochaine, mais c’était déjà le cas l’année précédente ! Le déficit du régime général est en effet passé de près de 24 milliards d’euros en 2010 à 17,4 milliards d’euros en 2011, pour s’établir à 13,1 milliards d’euros en solde rectifié cette année et, selon vos prévisions, à 11,4 milliards d’euros en 2013. L’ONDAM sera respecté pour la deuxième année consécutive. Pour nous, l’amélioration est donc continue, mais le Gouvernement évoque un « changement de cap ». (Mme la ministre des affaires sociales et de la santé quitte l’hémicycle.) Il est regrettable, madame la ministre, que vous nous quittiez en cet instant !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Je suis là, moi !
Quel est donc le nouveau cap suivi ? Le Gouvernement a-t-il fixé un calendrier de retour à l’équilibre des comptes sociaux ? Voilà la double question, essentielle, à laquelle il convient de répondre. En commission, vous nous avez annoncé, monsieur le rapporteur général, que, sur la période 2012-2017, les projections prévoyaient un déficit cumulé des branches famille et maladie de 34,6 milliards d’euros. Cela peut donner à croire que l’équilibre n’est pas, ou pas encore, programmé. Le Gouvernement commence d’ailleurs par porter le taux d’augmentation de l’ONDAM à 2,7 %, alors que la Cour des comptes recommandait de le fixer à 2,35 %. Il se glorifie de l’augmentation des dépenses, mais les recettes ne sont pas à la hauteur. Or cet équilibre est vital, cela a été rappelé, pour faire face au passif accumulé.
Les déficits cumulés, faut-il le rappeler, sont abyssaux : en 2010, nous avons transféré 130 milliards d’euros à la CADES et allongé sa durée de vie jusqu’en 2024, tandis que l’endettement financier a atteint, au 31 décembre 2011, 170 milliards d’euros. Pour des raisons d’opportunité financière, le présent texte ne prévoit aucune reprise du déficit pour 2012, mais il ne fait pas de doute que ce sera le cas l’année prochaine. Quant aux perspectives pour 2012-2017, elles imposeront une augmentation de 0,25 point du taux de la CRDS. M. Cahuzac et Mme Touraine ont raison de parler d’impôt sur les générations futures : c’est peut-être le plus inéquitable des prélèvements.
Il nous faudra donc, tôt ou tard, renouer avec l’excédent pour rembourser la dette sociale. En évoquant un calendrier de retour à l’équilibre, il ne s’agit donc pas de faire un procès d’intention au Gouvernement. Je le dis en toute franchise, nul, dans cet hémicycle, n’a d’ailleurs de leçons à donner à quiconque. Nos interrogations n’ont pas d’autre objet que de contribuer à faire émerger les solutions dont notre système de protection sociale a si urgemment besoin. Nous sommes au pied du mur des réformes structurelles. Le Premier ministre a défendu, mardi dernier, le principe d’une « discipline nouvelle » dans le pilotage de l’action publique : « Toute nouvelle dépense devra être financée par des économies en dépense ; le financement par une recette nouvelle ne sera plus possible. » Nous ne pouvons que nous en féliciter, mais, convenons-en, ce principe n’est pas encore appliqué dans le présent PLFSS, qui est donc, comme ses prédécesseurs, un PLFSS de gestion, comportant deux améliorations au dire du Gouvernement : en 2013, l’effort sera mieux réparti entre recettes nouvelles et économies ; il portera prioritairement sur le système, et non sur les assurés. Le premier objectif semble atteint : l’équilibre entre recettes et économies paraît presque acquis puisque, sur les 5 milliards d’euros de rééquilibrage projetés, 2,4 milliards d’euros proviendraient d’économies sur les dépenses de santé. En revanche, on nous permettra de nuancer l’affirmation du Gouvernement selon laquelle l’effort porte davantage sur le système que sur les assurés. Cela m’amène à l’analyse du contenu même des mesures qui nous sont présentées et qui se répartissent, selon nous, en deux catégories. La première regroupe certaines dispositions à nos yeux difficilement défendables, à tout le moins si elles ne sont pas amendées. Je pense par exemple à la remise en cause de la niche sociale dont bénéficient les particuliers employeurs, qui ne sert pas l’emploi. Par ailleurs, différer à 2018 l’entrée en vigueur de la facturation individuelle des prestations hospitalières publiques, alors que l’objectif aurait dû être atteint en 2012 et qu’il l’est dans le secteur privé depuis 2005, ralentit la modernisation du système. L’hôpital public a besoin de se mettre d’urgence à l’heure du numérique, comme d’ailleurs la médecine libérale. Mais l’une des mesures les plus problématiques à nos yeux est sans doute la création, au travers de l’article 16, de la contribution additionnelle de solidarité sur les pensions de retraite et d’invalidité, ou contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la fameuse CASA. Au départ, le Gouvernement refusait d’aligner le taux de CSG pour les retraités sur celui s’appliquant aux actifs ; aujourd’hui, il crée la CASA : n’est-ce pas un peu hypocrite ? De plus, le produit de la CASA devrait être affecté de manière pérenne à la compensation de l’APA pour les départements. C’est exactement ce que prévoyait la proposition de loi de notre collègue Gérard Roche, que la Haute Assemblée a adoptée il y a un peu plus de deux semaines. Autrement dit, avant de penser à financer des réformes futures, il faut assurer le financement des dispositifs existants.
C’est tout le contraire de ce qu’organise le dispositif gouvernemental : en 2013, les départements perdront en ressources issues de la CSG ce qu’ils gagneront au titre de la CASA ; après quoi la contribution financera la future réforme de la dépendance, dont on ne sait rien aujourd’hui. Il y a là, on l’avouera, quelque chose qui ne va pas…
Ma collègue Muguette Dini reviendra plus en détail sur tous ces points, en présentant les amendements que nous avons déposés. J’en viens à la seconde catégorie de mesures, qui regroupe des dispositions nous semblant aller dans le bon sens. Ainsi, nous sommes de ceux qui soutiennent l’élargissement de la couverture sociale des élus locaux. De même, le développement de la fiscalité comportementale s’impose, même si, jusqu’ici, il s’opère de manière quelque peu anarchique. Il faudra sans doute remettre le système à plat pour y voir plus clair, mais nous sommes favorables à l’introduction d’une contribution sur les boissons énergisantes et sur l’huile de palme, monsieur le rapporteur général. Dans la même veine, nous souhaitons un relèvement de la part spécifique de la taxe sur les tabacs pour pénaliser les marques pratiquant les prix les plus bas, parce que c’est ainsi que les objectifs de santé publique pourront être atteints. Au chapitre des bonnes nouvelles, j’évoquerai la branche AT-MP. Je ne peux que me féliciter, avec Jean-Pierre Godefroy, de la décision prise par Mme la ministre de ne pas demander aux victimes de l’amiante le remboursement de leur indemnisation à la suite de la décision de la cour d’appel de Douai du 27 octobre 2011. Je salue également la réouverture de la liste des bénéficiaires du Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante à tous les salariés exposés à ce risque. Concernant le volet relatif à la santé, un certain nombre de mesures préfigurent la réforme d’ensemble dont la branche maladie a besoin. C’est le cas des expérimentations relatives à la permanence des soins, aux appels d’offres pour le transport des patients ou à un parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie. On le sait, il y a là d’importantes sources de maîtrise médicalisée de la dépense. Les gains d’efficience potentiels dans ces domaines ont été soulignés dans le dernier rapport de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. Nous ne pouvons que nous féliciter de voir ces propositions trouver une traduction concrète. Cependant, il ne s’agit encore que d’expérimentations, tout cela reste donc bien timide, et parfois peu compréhensible : pourquoi expérimenter durant trois ans un système aussi connu que celui des appels d’offres pour le transport de patients ? La suppression de la convergence tarifaire entre hôpitaux publics et cliniques privées est une autre bonne initiative, qui concrétise, elle aussi, une proposition que nous avions formulée dans le dernier rapport de la MECSS. Cela ne remet pas le moins du monde en cause la T2A, dont ce rapport soulignait d’ailleurs très explicitement qu’elle représentait un progrès incontestable mais devait néanmoins être améliorée, notamment en ce qui concerne la fixation des tarifs, ni la convergence intrasectorielle, que nous appelons de nos vœux. Lorsque l’on sait que des écarts de coûts de 30 % subsistent au sein même de chacun des deux secteurs, on mesure à quel point le chemin est encore long ! Je pense aussi aux articles encadrant l’exercice libéral à l’hôpital et abrogeant le secteur optionnel, qui doivent être mis en relation avec l’adoption de l’avenant 8 visant à un meilleur encadrement des dépassements d’honoraires, que nous soutenons naturellement. Mais, en réalité, toutes ces mesures, aussi positives semblent-elles, se heurtent au mur des réformes structurelles. Ces réformes s’imposent depuis quelques années déjà, chacun en a bien conscience, et ce tant en recettes qu’en dépenses. En matière de recettes, il s’agit, bien entendu, de la nécessité de réformer le financement de la protection sociale. C’est une réforme que le Gouvernement a annoncée, et qui ne pourra passer, selon nous, que par un transfert partiel des cotisations famille et santé vers l’impôt, et cela à somme nulle, pour respecter les principes posés par le Premier ministre. En matière de dépenses, trois immenses chantiers au moins sont devant nous. En ce qui concerne tout d’abord le médicament, Mme la ministre a dit attendre 1 milliard d’euros d’économies grâce aux dispositions du présent PLFSS. Cela est bien, mais, en réalité, c’est l’ensemble du système qu’il faut remettre à plat. Est-il normal que, à niveau de santé équivalent, la France compte plus de médicaments homologués ou agréés que la Grande-Bretagne et que le poids de l’industrie pharmaceutique dans le PIB soit moins élevé chez nous ? Ensuite, l’autre grand chantier à ouvrir d’urgence est celui des actes inutiles ou superflus. Selon la MECSS, ils représenteraient 28 % de l’activité, soit entre 12 milliards et 15 milliards d’euros d’économies potentielles, ce qui équivaut au montant du déficit annuel, et même un peu plus ! C’est colossal, avouons-le ! La problématique porte sur l’articulation entre secteur ambulatoire et hôpital, sur le transfert d’actes, sur l’assurance médico-légale des praticiens et sur le dossier médical personnel, qui est le dispositif clef mais que l’on semble enterrer avant qu’il ne soit né ! Enfin, le dernier chantier est celui des retraites. Le Gouvernement a chargé les comptes de la branche vieillesse avec le retour partiel à la retraite à 60 ans et décidé d’augmenter les cotisations retraite pour compenser cette dépense, mais à quand la révision du système ? À quand le régime par points ? La réforme de 2010 en a programmé l’étude : où en est le rapport sur ce sujet prévu et souhaité par la MECSS du Sénat ? En conclusion, même s’il y a des raisons d’espérer, ici comme ailleurs, tout reste à faire ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)