Les interventions en séance

Budget
12/07/2011

«Discussion et adoption de dix projets de loi dans le texte de la commission»

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, en remplacement de M. Adrien Gouteyron, rapporteur

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons, cet après-midi, le privilège de débattre sur plusieurs conventions fiscales internationales. Alors même que nous aurions pu voter ces projets de loi dans le cadre d’une procédure implicite, nos collègues du groupe CRC-SPG, qui n’avaient pu participer aux travaux de la commission des finances en la matière, ont souhaité l’organisation d’un débat public. Visiblement, en effet, nos collègues sont soumis à de fortes contraintes de disponibilité… Monsieur le ministre, mes chers collègues, si la volonté politique donne naissance au droit, c’est son contrôle qui le nourrit et le fait vivre. Tel est l’enjeu de notre débat, demandé donc par le groupe CRC-SPG, sur l’adoption de huit projets de loi visant à ratifier les accords d’échange de renseignements signés avec Anguilla, les Antilles néerlandaises, le Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, les îles Cook et le Libéria, ainsi que sur deux projets de loi tendant à approuver deux conventions fiscales de suppression des doubles impositions, signées respectivement avec l’Île de Man et Hong Kong. Si l’on excepte la convention de suppression de double imposition en matière de navigation aérienne et maritime signée avec l’Île de Man, la démarche du Gouvernement est de mettre fin au dumping fiscal, ainsi qu’aux pratiques dommageables des territoires qui cultivent le secret bancaire comme un avantage financier compétitif. Notre tâche est donc de nous assurer de la pleine effectivité de ces accords. Le débat d’aujourd’hui nous permet, à titre liminaire, de faire le point sur l’état d’avancement de la mise en place du réseau conventionnel français dans le cadre de la politique de lutte contre les paradis fiscaux sur le plan tant multilatéral que bilatéral. Notre collègue Adrien Gouteyron, rapporteur sur ces textes, étant dans l’impossibilité de se trouver aujourd’hui parmi nous, c’est à moi qu’il revient de présenter les conclusions de ses différents rapports. Il a mené ces dernières années, à ma demande, appuyée par l’opposition en la personne de Nicole Bricq, un travail d’approfondissement des conventions fiscales, dont le nombre a considérablement augmenté. La commission des finances a, en effet, examiné, au cours des deux dernières années, trente-cinq projets de loi visant à ratifier soit des conventions relatives à la suppression des doubles impositions, soit des accords d’échange de renseignements en matière fiscale. Ces derniers illustrent la volonté politique française, clairement exprimée, de mettre fin à l’opacité fiscale qui s’est fait jour dès octobre 2008, lors de la réunion organisée, à Paris, sur la transparence fiscale, puis dans le cadre du G20 réuni à Washington le 15 novembre 2008. La démarche française a reçu un écho favorable au sein de l’OCDE puisque, en 2009, le sommet de Londres a donné un nouvel essor au cadre normatif mis en place par l’Organisation dès 2000 avec, d’une part, la création du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales et, d’autre part, l’élaboration de l’accord-cadre d’échange de renseignements en 2002. Quant à l’établissement des trois listes noire, grise et blanche de l’OCDE, le 2 avril 2009, cela peut, j’en conviens, apparaître formel, puisque, pour en être radié, l’État non coopératif doit conclure au moins douze accords, signe de son engagement officiel de suivre les standards internationaux de transparence fiscale. On a vu, ici et là, des accords signés entre deux espaces non coopératifs. C’est pourquoi il convenait d’instaurer un mécanisme de contrôle de la « sincérité » et de l’effectivité de ces engagements formels. Dans le cadre du Forum mondial, ce rôle a échu au groupe des Pairs, que la France préside en la personne de François d’Aubert. Où en sommes-nous ? Près de 650 accords ont été signés dans le monde, et 34 pays ont déjà fait l’objet d’un examen par le Forum mondial. Des recommandations ont été émises pour certains d’entre eux. La prochaine revue des Pairs se tiendra le 18 juillet prochain. À cette occasion, 14 pays supplémentaires seront contrôlés sur la qualité de leur réseau conventionnel, ainsi que sur la réalité de l’échange de renseignements. Quant au Forum mondial, il se réunira à la mi-octobre à Paris. Les États qui nous intéressent aujourd’hui figuraient sur la liste grise le 2 avril 2009, à l’exception de l’Île de Man, du Costa Rica et de Hong Kong. Ils sont, depuis, inscrits sur la liste blanche dans la mesure où ils ont conclu au moins douze accords. L’Île de Man figurait dès l’origine sur la liste blanche. En revanche, Hong Kong ne figurait sur aucune liste en tant que région administrative. Le Costa Rica, quant à lui, était inscrit le 2 avril 2009 sur la liste noire, puisqu’il n’avait pas exprimé sa volonté de coopérer fiscalement. S’il a formalisé cette volonté à partir du 7 avril 2009 afin d’intégrer la liste grise, il y est demeuré jusqu’en juin dernier, n’ayant conclu alors que cinq accords. Il a finalement rejoint la liste blanche au début du mois de juillet, après avoir intégré le réseau conventionnel nordique, ajoutant ainsi opportunément les sept accords manquants. Ce constat nous alerte sur le risque d’inertie de certains pays à vouloir coopérer fiscalement. Alors que le cadre multilatéral est en place et que le réseau conventionnel français se tisse, nous entrons désormais dans l’ère de l’épreuve des faits, c’est-à-dire de la mise en œuvre de ces accords. Il nous faudra donc demeurer extrêmement attentifs et particulièrement vigilants. Nous avons présumé la bonne foi des parties signataires ; nous allons maintenant vérifier la sincérité de leur engagement dans le cadre des demandes de renseignements, car nous en avons les moyens. La rédaction des stipulations conventionnelles constitue la première garantie d’efficacité de cette politique nouvelle. Pourront être sollicités tous renseignements vraisemblablement pertinents pour l’établissement et la perception des impôts visés dans l’accord, pour le recouvrement des créances fiscales ou encore pour les enquêtes en matière fiscale pénale. Les demandes pourront concerner toute personne ou entité, y compris les trusts et les fondations. Non seulement l’ensemble de ces clauses sont conformes au modèle de l’OCDE, mais elles répondent aux exigences de la pratique conventionnelle française, beaucoup plus rigoureuse en la matière que l’OCDE. En effet, ces accords contiennent des clauses anti-abus, une définition des impôts visés plus large, des clauses de suppression des doubles exonérations, ainsi qu’une obligation beaucoup plus stricte de mise en œuvre de la législation nécessaire à l’échange. En outre, la France a souhaité se doter de sa propre liste d’États non coopératifs dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2009. La première édition date du 12 février 2010. Elle comptait 18 pays, dont Anguilla, le Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, les îles Cook et le Libéria. Cette liste a été mise à jour le 14 avril 2011. Ainsi, Saint-Christophe-et-Niévès et Sainte-Lucie en ont été retirés, alors que les îles Turques et Caïques ainsi qu’Oman y ont été ajoutés. Cette actualisation est le fruit de la propre évaluation de la France quant à l’effectivité des échanges. L’enjeu est d’importance, car l’inscription sur la liste entraîne, au bout d’un an, l’application automatique des sanctions fiscales prévues par la loi de finances rectificative pour 2009. Je rappelle, pour mémoire, que ces mesures visent, en premier lieu, les résidents de France qui réalisent des transactions avec de tels pays. Elles se traduisent, notamment, par un durcissement du régime d’imposition des plus-values mobilières et immobilières, ou encore par le refus du bénéfice du régime mère-fille aux sociétés françaises. Ces dispositions frappent, en second lieu, les résidents de ces paradis qui bénéficient de flux provenant de France. Elles entraînent l’application de taux majorés de retenue à la source sur les revenus immobiliers et les plus-values, ainsi que sur les intérêts, dividendes, redevances. Craignant toutefois un éventuel effet négatif de la liste sur le commerce extérieur français, notre collègue Adrien Gouteyron a préconisé que la publication de celle-ci soit accompagnée de précisions données par l’administration sur l’état d’avancement des mesures prises par l’État concerné, c’est-à-dire la signature ou la ratification d’un accord, le changement de sa législation, ou encore d’autres dispositions allant dans la même direction. Monsieur le ministre, pensez-vous pouvoir demander aux services de votre ministère d’élaborer une telle instruction fiscale ? Cela répondrait totalement au vœu d’Adrien Gouteyron, auquel je souscris absolument. L’année 2012 constituera une année « test », une étape supplémentaire dans la suppression des systèmes fiscaux opaques, à condition que ces paradis adoptent le cadre normatif nécessaire à la coopération et que leur interprétation des accords, notamment la « pertinence » des renseignements, soit conforme à l’esprit des accords ; j’insiste sur tous ces points. Veillons à ce que tous ces engagements ne forment pas un simple écran de fumée. Le chemin à parcourir est encore long. Certains territoires sont dépourvus d’administration fiscale et de droit des sociétés permettant, en particulier, d’identifier des propriétaires de parts, les bénéficiaires de trusts... Le Premier ministre de Jersey, Terry Le Sueur, a, pour sa part, déclaré devant notre commission disposer d’une réglementation des trusts de nature à répondre à toute demande. Nous verrons ce qu’il en est. C’est pourquoi j’exhorte des pays tels que la Suisse ou le Luxembourg à donner l’exemple. Ces partenaires économiques privilégiés de la France, soucieux de l’avenir financier européen, doivent participer pleinement à ce nouvel élan de la coopération administrative fiscale. Le Premier ministre du Luxembourg ne nous rappelle-t-il pas, sans cesse, nos obligations en matière d’équilibre budgétaire ? J’ai eu l’opportunité de rencontrer le ministre luxembourgeois des finances, Luc Frieden, et de m’entretenir avec lui à propos des différents enjeux financiers européens. La transparence fiscale constitue l’un des axes prioritaires de l’action politique visant à lutter contre les effets systémiques et spéculatifs qui gangrènent nos économies, en l’absence d’une gouvernance européenne. Je n’oublie pas non plus que le Premier ministre du Grand-Duché de Luxembourg est le président de l’Eurogroupe. Il est bon, certes, qu’il nous rappelle nos obligations, mais il doit aussi veiller à ce que les facilités accordées par son pays en matière fiscale ne contribuent pas à vider nos poches. Enfin, un rapport sera remis au Parlement à l’automne prochain, afin de contrôler l’efficacité du dispositif conventionnel français de lutte contre les paradis fiscaux. De surcroît, la commission des finances poursuivra la tâche de son rapporteur, Adrien Gouteyron, tout spécialement à l’issue de la prochaine réunion du Forum mondial. En conclusion, je vous propose donc, mes chers collègues, d’adopter, sans réserve, les présents projets de loi visant à approuver les accords d’échange de renseignements conclus avec Anguilla, les Antilles néerlandaises, le Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, les îles Cook, et le Libéria, ainsi que les deux conventions de suppression des doubles impositions signées respectivement avec l’Île de Man et Hong Kong. Et permettez-moi de saluer l’arrivée de nos collègues du groupe CRC-SPG. (Applaudissements sur plusieurs travées.)