Les interventions en séance

Collectivités territoriales
10/07/2012

«Proposition de loi visant à abroger la loi relative à la majoration des droits à construire-Article 1er»

M. Pierre Jarlier

L’article 1er est le cœur du présent dispositif puisqu’il vise à abroger l’ensemble des dispositions de la loi du 20 mars 2012 relative à la majoration des droits à construire. J’ai pris l’initiative de suggérer également une telle abrogation en déposant une proposition de loi cosignée par plusieurs de mes collègues de l’UCR.   Au moment du débat sur le texte de mars 2012, qui a suscité de multiples réticences au sein des associations d’élus, nous avons été nombreux, ici, sur toutes les travées, à regretter la précipitation avec laquelle nous avons été amenés à légiférer.   Quant aux professionnels du bâtiment, ils ont rapidement fait savoir qu’ils étaient tout aussi défavorables à ce dispositif, et ce pour une raison simple : la seule annonce de l’augmentation automatique des droits à construire a provoqué la suspension des transactions foncières en cours dans l’attente d’une augmentation du prix du foncier ! Voilà pourquoi nous pourrions connaître, comme cela a été évoqué tout à l’heure, une année blanche en termes d’efforts de construction de logements.   Cette loi remet surtout en cause le principe de libre administration des collectivités et la notion même d’urbanisme de projet dont le développement était paradoxalement encouragé par l’ancien ministre du logement.   Par ailleurs, l’insécurité juridique liée à des dispositions trop imprécises pourrait provoquer de nombreux contentieux, sans parler des dépenses supplémentaires imposées aux collectivités pour l’application des différentes mesures.   Il est donc aujourd’hui urgent d’abroger ce texte autant en raison de son imperfection que son inadaptation aux fondements même de l’urbanisme de projet.   Néanmoins, l’objectif de créer des logements rapidement est partagé par tous les acteurs de la construction, qu’il s’agisse des professionnels ou des collectivités ; l’augmentation des droits à construire pourrait répondre à cette ambition, sous certaines conditions.   Premièrement, elle doit être ciblée en cohérence avec le projet urbain défini par les élus.   Deuxièmement, elle doit reposer sur une base juridique solide pour éviter les contentieux déjà nombreux en matière de droit des sols.   Troisièmement, elle doit être concertée avec la population, dans le respect de la Constitution.   Quatrièmement, enfin, sa mise en œuvre doit respecter les compétences des collectivités territoriales en matière de droit des sols.   Force est de constater que ces conditions ne sont pas vraiment réunies dans la loi du 20 mars 2012, et ce pour plusieurs raisons.   En premier lieu, cette loi s’applique de façon arbitraire à l’ensemble du territoire, ignorant ainsi les spécificités locales. De ce fait, elle remet en cause les choix opérés par les assemblées délibérantes à l’issue d’une réflexion collective sur le développement de leur territoire, qu’il s’agisse de la forme urbaine, de la mixité sociale ou de l’habitat.   En deuxième lieu, elle impose, avant même que l’organe délibérant ne décide du champ d’application de la mesure, une consultation de la population sur la base d’une note d’information. Or il faudrait précisément prévoir la disposition inverse ! En tout état de cause, cette démarche peut s’avérer inutile dans les communes qui ne nécessitent pas une politique de densification plus importante que celle qu’elles ont déjà arrêtée. Quelle que soit la position du conseil municipal qui suivra, la note d’information soumise préalablement au public sera créatrice d’un droit qui ne manquera pas d’être contesté ou revendiqué. Le risque de recours contentieux est donc réel.   En troisième lieu, cette mesure ne contraint pas les collectivités qui, par principe, délibéreront contre, non pas parce qu’elles ont déjà intégré la densification sur leur territoire, comme le suggère d’ailleurs le droit existant, mais parce qu’elles sont fondamentalement opposées à toute contrainte de ce type malgré le manque patent de logements, notamment sociaux, sur leur territoire.   Ce sont pourtant ces communes que le texte devrait cibler. La mesure est donc inefficace dans les zones où elle devrait être appliquée en priorité alors que, paradoxalement, elle s’impose aux communes qui travaillent déjà à une meilleure densification dans le cadre de la révision de leurs documents d’urbanisme. N’oublions pas que la disposition s’applique aussi aux communes qui révisent leurs documents d’urbanisme.   Pour finir, je veux souligner que le dispositif applicable actuellement présente deux autres inconvénients majeurs.   D’une part, il entraînera des dépenses nouvelles pour toutes les communes et les EPCI compétents, même si la démarche obligatoire de consultation du public s’avère inutile au terme du débat du conseil municipal.   D’autre part, il existe un risque réel pour certaines collectivités qui n’anticipent pas la mise en œuvre de la loi. Ces dernières pourraient se voir imposer une majoration automatique des droits à construire sur l’ensemble de leurs zones urbanisées. Les délais imposés par la loi sont très contraints et toutes les collectivités ne seront peut-être pas en mesure techniquement de les respecter.   Enfin, les excellents rapports des deux commissions du Sénat montrent qu’à l’heure de ce débat moins de dix collectivités ont délibéré pour adopter cette majoration sur les dix-sept mille communes dotées d’un document d’urbanisme.   Dans ces conditions, mes chers collègues, loin de toutes considérations partisanes et pour répondre aux attentes pressantes des communes, je voterai la suppression de l’ensemble des dispositions de la loi du 20 mars 2012. Malgré une petite divergence par rapport au contenu du texte que j’ai moi-même proposé, je voterai l’abrogation de cette loi inefficace et juridiquement incertaine. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et sur certaines travées du RDSE.)