Les interventions en séance

Aménagement du territoire
Hervé Maurey 10/01/2012

«Proposition de loi relative à la simplification du droit et à l՚allégement des démarches administratives»

M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’appréciation que je peux porter sur cette proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des procédures administratives, en tant que rapporteur pour avis de la commission de l’économie, se trouve, bien entendu, influencée par la motion tendant à opposer la question préalable qui nous est présentée au nom de la commission des lois. Mon co-rapporteur, M. Martial Bourquin, nous a rappelé que la majorité de la commission de l’économie a approuvé le principe de cette question préalable. Pour ma part, si je partage les critiques qui peuvent être adressées aux lois de simplification du droit en général, je n’irai pas jusqu’à considérer que le rejet en bloc de ce texte soit la solution appropriée. (M. Bruno Sido s’exclame.) Si vous le voulez bien, je développerai ces deux points. Certes, l’an dernier, dans mon rapport pour avis sur la précédente loi de simplification du droit, j’avais déjà relevé un certain nombre de défauts de cette catégorie de textes législatifs, qualifiés par le professeur Delvolvé de « lois indignes du Parlement ». Le principal de ces défauts me semble être leur caractère hétéroclite : en effet, les lois de simplification ont pour but de rendre le droit plus intelligible, mais elles sont en elles-mêmes parfaitement illisibles. Ainsi, la loi de simplification du droit du 17 mai 2011 – la dernière en date – traite pêle-mêle des relations entre les opérateurs de services de communications électroniques et les consommateurs ; du dispositif de déclaration pour la redevance pour obstacle sur un cours d’eau ; de l’agrément par l’État des organismes de contrôle des espèces canines et félines ; des règles applicables aux diagnostics et aux contrôles relatifs au plomb ; de l’accès à l’activité de direction ou de gérance d’une auto-école ; des règles de révision des loyers de certaines catégories de logements locatifs conventionnés ; du régime des stations-services ; de l’affichage des coûts de collecte et de recyclage des déchets d’équipements électriques et électroniques… et j’en oublie certainement. Encore faut-il préciser que cet inventaire à la Prévert se limite aux dispositions entrant dans le seul champ de la saisine pour avis de la commission de l’économie et n’intègre pas les dispositions relevant de la commission des lois, de celle de la culture et de celle des affaires sociales. La présente proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des procédures administratives est également hétéroclite : il ne faut donc pas s’étonner qu’elle ait mobilisé pas moins de cinq des six commissions permanentes que compte le Sénat. Ainsi, les dispositions relevant de la compétence de la commission de l’économie – pour m’en tenir à celles que j’ai eu l’occasion examiner – tendent : à préciser le régime des installations géothermiques ; à simplifier les procédures d’élaboration des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux, les SDAGE ; à permettre aux chambres d’agriculture d’être maîtres d’ouvrage des projets de retenue d’eau servant à l’irrigation agricole ; à suspendre le délai de prescription des procédures contentieuses en matière de dégâts de gibier ; à permettre aux éleveurs d’accéder de plein droit aux marchés et foires aux bestiaux ; à harmoniser le régime de participation des employeurs agricoles à l’effort de construction ; à aménager les modalités de publicité des ventes de parcelles forestières soumises au droit de préférence ; ou encore à créer, pour le secteur viticole, une exception à l’obligation de contractualiser pour une durée minimale. Cette complexité pose problème aux parlementaires, mais aussi à l’exécutif, puisqu’un seul secrétaire d’État siège au banc du Gouvernement pour traiter d’une grande diversité de sujets. En dépit d’un travail interministériel intense et sans méconnaîtrele talent du secrétaire d’État ici présent, je ne suis pas certain qu’un seul membre du Gouvernement puisse répondre sur le fond à toutes ces questions et éclairer de manière pertinente tous les sujets évoqués. (Exclamations amusées.) Pour autant, la présente proposition de loi constitue un certain progrès par rapport aux précédents textes de simplification du droit. En effet, elle présente une plus grande, bien que relative unité, dans la mesure où elle ne regroupe que des dispositions concernant les acteurs économiques : il s’agit là d’une amélioration, qui fait écho au souhait que j’avais émis que les lois de simplification soient plus sectorielles. Par ailleurs, il ne faut pas se leurrer : l’objectif de simplification du droit se heurte à la nécessité d’adapter les normes à une société de plus en plus complexe. La simplification du droit est parfois un slogan qui recouvre des dispositions particulièrement denses. J’en prends pour exemple l’article 56 de la présente proposition de loi, qui, pour simplifier l’articulation entre les règles imposées aux installations hydrauliques par le droit de l’environnement et celles prévues par le droit de l’énergie, s’étend sur trois pages et tend à modifier douze articles de trois codes différents. Un autre point sur lequel j’avais déjà insisté dans mon rapport l’année dernière est le fait que l’accroissement du volume des lois de simplification du droit au cours de la navette parlementaire ne rencontre guère de limites, dans la mesure où ces bornes ne sont pas matériellement définies. Ainsi, la précédente proposition de loi Warsmann, qui comportait 150 articles dans son texte initial, en comptait 227 à l’issue de la première lecture par le Sénat. De ce fait, certaines dispositions additionnelles constituant des cavaliers législatifs peuvent se multiplier dans chacune des deux chambres. Le principe de la jurisprudence du Conseil constitutionnel tendant à encadrer le droit d’amendement est pourtant bien établi : en théorie, les amendements dépourvus de tout lien avec les dispositions figurant dans le texte initial doivent être censurés. En pratique, le Conseil constitutionnel n’est pas systématiquement saisi des lois de simplification et, lorsqu’il l’est, comme ce fut le cas pour le dernier texte de cette nature, il n’exerce parfois qu’un contrôle minimal, qui, en définitive paraît assez aléatoire. Ainsi, comme l’écrivait le professeur Rivero il y a déjà plus de vingt ans, bien souvent, le Conseil constitutionnel filtre le moustique et laisse passer le chameau ! (Sourires.) Pour l’ensemble de ces raisons, je suis enclin à être assez critique sur le principe même des lois de simplification du droit. Pour autant, faut-il aller jusqu’à rejeter ce texte dans son ensemble ? Je ne le crois pas. Pour ce qui concerne la question préalable votée par nos collègues de la commission des lois, je n’ai pu qu’en prendre acte. C’est pourquoi je n’ai pas présenté devant la commission de l’économie les amendements que j’avais préparés sur les articles relevant de ma compétence. Au demeurant, j’estime que cette question préalable est regrettable. En effet, son adoption va mettre fin à nos débats et nous conduira ainsi à renoncer à toute possibilité de modifier et d’améliorer ce texte. Ce faisant, nous allons laisser totalement la main à nos collègues députés et accepter ipso facto leur copie. Ainsi, pour ne citer qu’un seul exemple, j’aurais préféré que l’on transmette à l’Assemblée nationale un article 55 sensiblement modifié. Je rappelle que, dans le texte initial de la proposition de loi, cet article comportait une simplification des modalités d’élaboration des SDAGE et des autorisations d’exploitation de carrière. Toutefois, l’Assemblée nationale y a adjoint des dispositions qui portent de deux à six ans le délai de mise en conformité des dispositifs publicitaires avec les exigences de la loi portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle II ». Mes chers collègues, je tiens à attirer votre attention sur ce sujet : cet ajout a suscité de vives protestations de la part des associations d’élus locaux et de protection de l’environnement. Nous avons tous d’ailleurs reçu un volumineux courrier à ce sujet. J’aurais souhaité proposer au Sénat de modifier le dispositif adopté par l’Assemblée nationale : nous ne le ferons pas et donnerons ainsi pleinement satisfaction aux annonceurs publicitaires. Or je ne suis pas certain que tous nos collègues, notamment au sein de la majorité, se réjouissent de voir adopter, en définitive, une disposition qui est souhaité par les seuls annonceurs publicitaires ! De même, en votant la question préalable, nous nous priverons de la possibilité d’introduire des dispositions utiles comme nous avions pu le faire dans le cadre de la dernière loi de simplification du droit. À titre d’exemple, je rappelle qu’à mon initiative et à celle de M. Gélard, le Sénat avait opportunément inséré, dans la dernière proposition de loi de simplification du droit, des dispositions permettant aux maires de procéder à l’élagage d’office des plantations privées en bordure des voies communales, aux frais des propriétaires négligents, mesure qui est extrêmement appréciée des élus locaux. De la même manière, cette année, nous aurions pu profiter de l’examen de ce texte pour améliorer notre droit sur un certain nombre de sujets et, notamment, pour répondre aux préoccupations des élus. Ainsi, j’aurais aimé pouvoir vous présenter une solution pour résoudre certaines difficultés soulevées par les services de déneigement rendus aux communes par les agriculteurs. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.) En effet, pour des motifs de responsabilité, le droit actuel impose aux communes d’être propriétaire de la lame de déneigement, ce qui pose des problèmes de financement aux plus petites d’entre elles. J’aurais également souhaité que nous travaillions à alléger les contraintes parfois excessives qui pèsent sur les communes en manière de police de l’eau et, plus généralement, en termes de normes environnementales, qui se cumulent de manière trop souvent déraisonnable. Au-delà, j’aurais aimé que nous profitions de ce débat pour tenter de réfléchir à une approche réaliste de l’obligation de rendre accessible aux personnes handicapées tous les établissements recevant du public avant le 1er janvier 2015, ce qui, nous le savons tous dans cet hémicycle, est totalement irréaliste. À mes yeux, il est éminemment regrettable que le Sénat s’apprête, pour des raisons essentiellement politiques – pour ne pas dire politiciennes – à se priver de son droit, et même de son devoir d’améliorer ce texte. Nous aurions fait, me semble-t-il, œuvre beaucoup plus utile et beaucoup plus conforme à la vocation de la Haute Assemblée en choisissant d’amender ce texte pour le rendre plus cohérent et plus intelligible. Mes chers collègues, si nous rejetons en bloc cette proposition de loi, la commission mixte paritaire se prononcera sur la seule base du texte adopté en première lecture par les députés. L’expérience a pourtant montré que, même lorsque la commission mixte paritaire ne parvient pas à aboutir à un accord, l’Assemblée nationale adopte, en dernière lecture, un certain nombre des modifications apportées par le Sénat. Chers collègues de la majorité, pour conclure, je souhaite vous mettre en garde. (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.) L’attitude très politicienne qui est celle du Sénat depuis trois mois ne me semble pas conforme à sa tradition de sagesse et à sa réputation de sérieux. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE – Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.) Le Sénat est, au sein des institutions, une chambre de réflexion, un lieu où l’on prend le temps de travailler au fond, une assemblée où l’on sait s’extraire de la polémique et de la politique politicienne, où l’on préfère, normalement, à l’agitation politico-médiatique à laquelle vous vous livrez, la recherche de l’intérêt général. Or l’image que donne le Sénat depuis trois mois va, à mon sens, très exactement à l’inverse de cela. Notre Haute Assemblée est devenue un lieu de politique politicienne. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) On cherche non plus à légiférer mais à faire des coups politiques et médiatiques dans le cadre d’une campagne présidentielle (Mme Catherine Procaccia s’exclame.) qui mobilise toute l’énergie de la majorité sénatoriale Le détricotage systématique et outrancier des projets de loi, l’adoption de propositions de loi dans l’urgence dans le seul but d’attirer l’attention sur des sujets clivants le prouvent. Mes chers collègues, le Sénat n’a pas vocation à être l’instrument de communication ou d’expérimentation d’un candidat à l’élection présidentielle, quel qu’il soit. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)  La Haute Assemblée doit représenter les territoires et non pas un parti politique ou une écurie présidentielle. (Oh ! sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Je vous le dis très solennellement, mes chers collègues, faites attention, car en agissant ainsi, en portant atteinte à l’image et au rôle du Sénat, c’est sa légitimité institutionnelle, et par là même son existence que vous risquez de mettre en cause. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.) Pour ces raisons, vous l’aurez compris, à titre personnel, je ne suis pas favorable à l’adoption de la question préalable qui nous est présentée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)