Les interventions en séance

Economie et finances
09/12/2013

«Projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises »

M. Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il n’est pas dans la tradition parlementaire de promouvoir les ordonnances, mais l’urgence à agir et la technicité de la matière peuvent vaincre certaines réticences. Ainsi, les socialistes se sont systématiquement et vigoureusement opposés à toutes les ordonnances entre 2002 et 2012, mais chacun peut évoluer. Autres temps, autres mœurs… Pour nous tous, le recours aux ordonnances pour simplifier et sécuriser la vie des entreprises a pour objectif d’allier le pragmatisme et la rapidité dans ce domaine essentiel. À cet égard, l’intitulé de ce projet de loi répond aux préoccupations des entreprises et aux alertes récurrentes des parlementaires de l’UDI. Si vous nous proposez une recherche commune de l’efficacité, nous serons partenaires ; dans le cas contraire, ce sera une occasion ratée, ce qui serait dommage pour notre pays. Si notre temps ne doit jamais être consacré à de vaines querelles doctrinales, il doit encore moins l’être aujourd’hui, car il y a urgence pour notre économie. L’enjeu est crucial pour développer notre potentiel de croissance. Cette simplification pourrait accroître, selon des estimations concordantes, de 1,4 % le PIB de l’Union européenne et, comme l’a rappelé Mme Benbassa, permettre 15 milliards d’euros d’économies annuelles à nos entreprises. Cela engendrerait un plan de relance enfin parfaitement neutre pour nos finances publiques, avec pour seul investissement le bon sens. Les gouvernements – toutes couleurs confondues – et les législateurs qui se succèdent empilent frénétiquement de nouvelles réglementations. La lutte contre l’inflation normative prônée par le couple Lambert-Boulard constitue une urgence, une mission d’intérêt public. Je fais mien leur constat lorsqu’ils déclarent qu’« il en est des normes comme du poivre et du sel. Leur absence comme leur excès rend le tout inconsommable ». Nous savons combien il est difficile de simplifier le droit, madame la ministre. Les « paquets Warsmann » ont occupé une part de nos travaux pour un bilan très mitigé. Si l’intention était bonne, le résultat n’a pas été à la hauteur de nos espérances ni de nos ambitions. Le droit applicable aux entreprises reste beaucoup trop complexe, terriblement complexe. Une vie de trappiste ne suffirait pas pour assimiler le code du travail et le code des impôts, dont l’illisible complexité décourage beaucoup de candidats entrepreneurs et obère la vie des entreprises, en consommant de longues heures qui devraient être utilisées à la créativité et à la gestion. Quelle est la problématique de base ? Fonder son entreprise est un défi à la patience et à la pugnacité ; la faire prospérer est une tâche encore plus exigeante. Les effets de seuils sont dévastateurs, la concurrence étrangère rude. Les cessions d’entreprises posent aussi problème puisque de nombreuses entreprises familiales sont obligées de se scinder pour contourner une fiscalité prohibitive. J’ajoute que plus du tiers des entreprises ne survivent pas aux cinq premières années d’activité. Cette question est récurrente, notamment si l’on compare notre tissu industriel à celui de l’Allemagne, riche et forte de ses entreprises de taille intermédiaire et devenues des références en matière d’exportation. Le Président de la République s’est engagé à provoquer un choc de simplification ; le Premier ministre a commandé un rapport sur la simplification de l’environnement réglementaire et fiscal des entreprises. Le rapport du député Thierry Mandon, qui est de qualité, a été élaboré dans une démarche collaborative, en concertation avec les entreprises pour identifier leurs difficultés et leurs besoins ; il s’est aussi inspiré d’expériences étrangères. Madame la ministre, vous aviez là une base précieuse pour mener un travail de fond sur la simplification de la vie des entreprises, des propositions claires, organisées, pragmatiques et pertinentes. Combien en avez-vous retenu ? L’objectif de ce projet de loi, relancer la compétitivité de nos entreprises pour qu’elles se consacrent au cœur de leur activité, est essentiel. Comment ne pas totalement souscrire à certains des objectifs fixés par l’article 1er – alléger les obligations comptables des PME et TPE, généraliser la facture électronique, simplifier les procédures par le projet « Dites-le nous une fois », ou encore favoriser le financement participatif ? Si votre projet de loi s’était concentré sur ces dispositions consacrées aux entreprises, PME et TPE en priorité, nous l’aurions totalement soutenu. Hélas, pourquoi ce texte regroupe-t-il un ensemble hétérogène de mesures qui correspond si peu à l’intitulé du projet de loi ? De plus, son manque d’ambition constitue un renoncement, car il ne peut se limiter à un inventaire de dispositions sectorielles partielles. Je prends quelques exemples : la création du statut d’avocat aux conseils salariés ou l’augmentation du nombre de notaires salariés sont-elles prioritaires pour la simplification ? Les dispositions de l’article 14 sur les éoliennes ou le biogaz ont-elles leur place dans ce projet de loi plutôt que dans le projet de loi attendu sur la transition énergétique ? L’article 16 prévoyait d’apposer le logo « Triman » sur tous les emballages recyclables. C’est une bonne idée, mais y inclure le verre, qui a son cycle propre, n’est-il pas contre-productif et coûteux ? Le groupe UDI-UC a déposé un amendement pour l’en exclure. Je pourrais citer encore bien d’autres exemples. D’une part, l’article 11 vise la transposition des directives FICOD, CRD IV et CRR par voie d’ordonnance. Cette transposition des normes prudentielles de Bâle III est très importante, car leur impact sur le système bancaire est majeur. Elle a été débattue lors de la discussion de la loi de séparation et de régulation bancaire. D’autre part, l’article 12 vise la mise en conformité de la législation avec le mécanisme de supervision unique du secteur bancaire par la Banque centrale européenne. Ces dispositions n’auraient-elles pas mérité un examen parlementaire plus approfondi ? J’y insiste : ces dispositions n’auraient-elles pas nécessité quelques heures de débat en séance publique, plutôt qu’une poignée de minutes volées au détour d’une prise de parole sur article ? Madame la ministre, vous demandez au Parlement de vous habiliter à légiférer, soit ! Nous vous demandons, en retour, de faire confiance au Parlement, et notamment au Sénat. Il est encore temps de préciser le contenu de vos habilitations ou du moins, de nous informer plus précisément sur vos intentions. Sans cette information, la ratification de ces ordonnances restera un exercice formel et il reviendra finalement au Conseil constitutionnel de contrôler la qualité de vos décisions. On cherche la cohérence du texte que vous nous proposez. C’est un texte hybride, qui mêle à la fois des habilitations à légiférer par ordonnances, des dispositions législatives, des transpositions de directives, des ratifications d’ordonnances... C’est trop ! Vous auriez pu, madame la ministre, organiser un cycle de consultations avec les parlementaires, afin de nous associer à la définition de l’objectif assigné à ces ordonnances. Il n’en a rien été. Les délais d’examen, très serrés à l’Assemblée nationale, nous ont à peine permis de prendre connaissance de vos intentions. La bonne pratique du gouvernement Jospin, consistant à accompagner la demande d’habilitation des projets d’ordonnances eux-mêmes, est aujourd’hui tombée en désuétude. Votre texte n’est donc pas adapté. Ce projet de loi sans cohérence dans la forme et discutable dans la méthode n’est pas au niveau de l’enjeu auquel il prétend répondre : il ne peut emporter l’adhésion des membres du groupe UDI-UC et je le regrette ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)