Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
Hervé Marseille 09/10/2013

«Proposition de loi visant à l’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages»

M. Hervé Marseille

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, le présent débat me touche particulièrement, parce que j’ai le triste privilège d’être le maire d’une commune des Hauts-de-Seine, Meudon, qui a compté jusqu’à deux otages parmi ses habitants.   Je veux parler du journaliste Hervé Ghesquière, enlevé il y a quelques années en Afghanistan et qui a depuis lors été libéré, et de Thierry Dol, habitant de Meudon-la-Forêt et dont la famille réside dans le département de mon collègue Maurice Antiste, en Martinique. Il est toujours otage, quelque part près du Niger, où lui et ses compagnons d’infortune ont été enlevés il y a plus de trois ans.   Cette situation appelle d’emblée deux observations. Premièrement, être otage peut arriver à n’importe qui, n’importe quand. (M. le président de la commission des lois acquiesce.) Cela peut concerner un ami, un parent, un voisin. Deuxièmement, Hervé Ghesquière, comme d’autres, a pu être libéré ; il faut donc garder espoir et rester optimiste sur les actions qui sont menées, même si, parfois, certaines situations connaissent des issues tragiques.   Aussi, vous comprendrez que je sois attentif à l’initiative de notre collègue Claudine Lepage, qui a déposé cette proposition de loi visant à l’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages.   Notre rapporteur, dont je salue le travail, n’a pas manqué de souligner la complexité actuelle des dispositifs d’indemnisation des victimes. Les régimes juridiques sont au moins au nombre de deux. Dans le cas d’une prise d’otages qualifiée d’acte terroriste, il convient d’avoir recours à la procédure instituée par la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme. Dans les autres cas, l’accès à l’indemnisation dépend de l’étendue du dommage subi.   Aussi, pour les cas « hors terrorisme », la proposition de loi permettra à toutes les victimes de prises d’otages d’obtenir la réparation intégrale de leur préjudice auprès des commissions d’indemnisation des victimes. Cette proposition de loi insère au dernier alinéa du 2° de l’article 706-3 du code de procédure pénale la référence « 224-4 ». Le code pénal vise à cet article la personne arrêtée, enlevée, détenue ou séquestrée, qui l’a été comme otage, soit pour préparer ou faciliter la commission d’un crime ou d’un délit, soit pour favoriser la fuite ou assurer l’impunité de l’auteur ou du complice d’un crime ou d’un délit, soit pour obtenir l’exécution d’un ordre ou d’une condition, notamment le versement d’une rançon.   Les experts auditionnés par notre rapporteur s’accordent à dire qu’une telle extension ne devrait concerner en réalité qu’un nombre limité de personnes. En effet, il est particulièrement rare que quelqu’un qui a été pris en otage ne se voie pas reconnaître une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail, ou ITT, supérieure ou égale à un mois, ce qui lui permet, de fait, d’être éligible à l’article 706-3 du code de procédure pénale. S’il s’agit ici d’une modification de cohérence dans le dispositif de l’indemnisation des victimes, la précédente remarque sur l’ITT fait sens. Être pris en otage est un traumatisme qui marque lourdement une vie, et a fortiori dans les cas de terrorisme.   Le ministère des affaires étrangères évalue à une cinquantaine le nombre de Français retenus en otages à l’étranger entre 2009 et 2013, dont trente-cinq dans le cadre d’un acte de terrorisme, comme l’a rappelé notre rapporteur. Ces dernières années, le simple fait d’être Français constitue, dans certaines parties du monde, un risque important, voire un facteur motivant pour les preneurs d’otages.   Une cinquantaine d’otages ces quatre dernières années : le bilan est bien trop lourd et il est particulièrement inquiétant de constater son aggravation. En 2004, le ministère des affaires étrangères dénombrait onze personnes prises en otage ; en 2011, elles étaient cinquante-neuf, multipliant ainsi par trois la liste des pays – désormais au nombre de quinze – dans lesquels certains de nos compatriotes sont retenus. L’augmentation est donc très forte !   Les touristes et a fortiori les salariés expatriés représentent des cibles privilégiées. Aussi, l’autorité judiciaire n’a pas cessé de faire évoluer sa jurisprudence. Par l’arrêt du 7 décembre 2011 opposant la société Sanofi Pasteur à Peyret, la Cour de cassation n’a fait que consacrer une tendance développée notamment par les juges du fond. Dès lors, l’obligation de sécurité imposée à l’employeur est devenue particulièrement large.   À ce stade, je tiens à dire qu’il faudrait également, puisqu’on parle des États, impliquer davantage les grandes entreprises qui sont concernées par l’envoi de salariés à l’étranger et qui sont étrangement muettes, notamment ces derniers temps. Il faut que ces entreprises assurent leurs obligations, sur place, mais également en s’occupant des familles, et je reviendrai sur ce point. Un employé expatrié pourra maintenant invoquer un manquement de l’employeur à certaines de ses obligations, parmi lesquelles l’obligation de sécurité mentionnée à l’article L. 4121-1 du code du travail.   La cour d’appel avait retenu que la salariée avait été victime d’une agression alors qu’elle se trouvait, « du fait de son contrat de travail », dans un lieu particulièrement exposé au risque. Par cette formulation, les juges ont pris soin de ne pas faire mention d’un espace défini, si bien que l’analyse se fera au cas par cas, y compris pour des pays non référencés à risque par le ministère des affaires étrangères. Aussi, nous pouvons nous réjouir de l’évolution de cette jurisprudence. À l’occasion de l’examen de ce texte, il convient de réaffirmer que nous n’oublions pas les otages qui ont péri et la douleur de leur famille, les drames traversés par les anciens otages.   Nous n’oublions pas les otages actuellement retenus dans le monde, que ce soient Daniel Larribe, Thierry Dol, Pierre Legrand, Marc Féret, détenus au Sahel par AQMI, Al-Qaïda au Maghreb islamique, depuis plus de trois ans, Serge Lazarevic enlevé le 24 novembre 2011 au Mali, le maestro franco-mexicain Rodolfo Cazares, Jules Berto Rodriguez Léal enlevé au Mali, Francis Collomp, enlevé au Nigéria le 19 décembre 2012, les deux journalistes Didier François et Édouard Elias, et, comme on l’a appris ce matin, Nicolas Hénin et Pierre Torres, qui seraient détenus en Syrie.   Pour chacune de ces situations, nous ne doutons pas de la mobilisation du Gouvernement, qui met en œuvre tous les efforts nécessaires pour obtenir la libération de nos ressortissants. Ces efforts sont souvent silencieux, dans l’intérêt même des otages, afin de ne pas compromettre leur libération. Toutefois, ce silence laisse malheureusement les familles, qui attendent, jour après jour, un appel téléphonique pouvant survenir à n’importe quel moment, dans une incertitude douloureuse, on peut le comprendre. Aussi, nos pensées sont également tournées vers elles, et il convient de les soutenir d’une attention sans failles.   Je voudrais, madame la garde des sceaux, profitant de votre présence, vous demander d’appuyer la demande que j’ai formulée pour l’épouse de Thierry Dol. Alors que son mari est détenu en otage depuis trois ans, elle est sans emploi.   J’ai saisi à ce sujet l’entreprise pour laquelle son mari travaillait : celle-ci doit connaître des difficultés financières puisqu’elle n’a pas trouvé un timbre pour me répondre… J’ai écrit à M. le ministre des affaires étrangères – j’attends sa réponse –, ainsi qu’à M. le Président de la République qui, lui, m’a répondu qu’il transmettrait la demande à Pôle Emploi. Je pense que l’on peut aller plus loin et que, dans de telles circonstances, pour des gens qui attendent depuis trois ans, on doit pouvoir faire quelque chose.   En tout état de cause, cette proposition de loi, qui simplifiera l’indemnisation de certaines personnes victimes de prises d’otage, va dans le bon sens. Aussi, avec l’ensemble des membres de mon groupe, je la soutiendrai, madame Lepage, et je vous en remercie. (Applaudissements.)