Les interventions en séance

Energie
09/02/2012

«Proposition de résolution relative à la filière industrielle nucléaire française»

M. Aymeri de Montesquiou

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « énergie de l’apocalypse » pour François Heisbourg, « atomes de la paix » pour l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’énergie nucléaire est devenue un sujet idéologique. Faisons abstraction de toute idéologie et tenons-nous-en aux faits. Les perspectives à l’horizon 2050 sont préoccupantes, avec une démographie en hausse, une multiplication par quatre à six de la production annuelle mondiale, une demande énergétique plus que doublée… Comment faire face à ces enjeux ? Les pays émergents en pleine croissance, comme la Chine et l’Inde, ne renonceront jamais au nucléaire, car cette source d’énergie performante et peu coûteuse est indispensable à leur industrie. Tous les pays en développement aspirent à l’amélioration du niveau de vie de leur population, ce qui implique une hausse de la consommation d’énergie. Aujourd’hui, 1,4 milliard de personnes n’ont pas accès à l’électricité. L’énergie nucléaire, au stade actuel de la recherche, demeure un moyen essentiel de la leur fournir. Au regard de cette demande énergétique croissante, l’industrie française, très compétitive dans le domaine des technologies du nucléaire, constitue un atout essentiel pour notre économie. Il en va de même, d’ailleurs, de notre maîtrise des techniques de liquéfaction du gaz naturel, techniques qui permettent de donner à cette source d’énergie une dimension mondiale, et non plus uniquement régionale. Une action diplomatique visant à faire renoncer l’Iran au nucléaire militaire aurait peut-être plus de chances de succès si l’on ouvrait le marché mondial du gaz à ce pays… Notre compétitivité est liée au coût de l’énergie que nous consommons. Le coût du mégawattheure d’électricité produit par les réacteurs de nouvelle génération, qui prend en compte la mise en œuvre des mesures de sécurité renforcées et le démantèlement, est de l’ordre de 79 euros, contre 42 euros pour les centrales nucléaires classiques, 73 euros pour les centrales thermiques – mais 142 euros si l’on tient compte des dépenses liées au captage du CO2 –, 65 euros pour le gaz, 82 euros pour l’éolien onshore, 206 euros pour l’éolien offshore et 277 euros pour le photovoltaïque. Au nom de quoi devrions-nous renoncer à un tel avantage dans la compétition internationale ? Le socle nucléaire est indispensable pour amortir les à-coups climatiques ou ceux du marché pétrolier. Hier, le prix instantané de l’électricité est monté en flèche, à 1 938 euros par mégawattheure, contre 100 à 200 euros pour une journée d’hiver normale ! L’engagement européen des « 3 x 20 » – une baisse de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, une hausse de 20 % de la part des énergies renouvelables et une amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique – est très contraignant, mais l’environnement étant un bien universel, nous devons taxer les produits ne respectant pas les normes environnementales en matière de production et de transport. Le bouquet énergétique mondial actuel – 80 % d’énergies fossiles, 14 % d’énergies renouvelables et 6 % d’énergie nucléaire – ne peut rester en l’état. La part des énergies fossiles doit diminuer : le charbon pollue trop, le pétrole coûte cher. Le développement des énergies renouvelables est une priorité, mais elles sont chères et pas encore compétitives, en raison du problème majeur de l’intermittence. Leur part ne pourra que très difficilement atteindre le tiers du mix énergétique. L’amélioration de l’efficacité énergétique, par l’obtention d’économies d’énergie dans les transports, l’habitat et l’industrie, est incontournable, mais elle ne compensera pas l’accroissement des besoins en énergie, son incidence étant limitée à 30 %. La dangerosité des déchets nucléaires, dont le problème du confinement est résolu, est une réalité, mais on peut déplorer l’absurde décision de démanteler Superphénix. Fukushima, Tchernobyl et Three Mile Island sont devenus des symboles. EDF veille à tirer les enseignements de chaque incident nucléaire survenant dans le monde, pour améliorer continuellement la sécurité de ses centrales. Comment concilier l’application du principe de précaution avec le progrès technologique et la croissance économique ? Le nucléaire est aujourd’hui l’un des principaux facteurs de notre indépendance énergétique. C’est aussi l’un de nos principaux atouts industriels, car les plus grands groupes multinationaux français – EDF, Areva, GDF Suez – sont des énergéticiens nucléaires. Quel choix faire aujourd’hui dans l’intérêt des générations à venir ? Sortir du nucléaire, comme l’Allemagne, qui met maintenant en œuvre une décision annoncée dès 2002, sachant qu’elle peut s’appuyer sur le charbon pour les 350 ans à venir, car son sous-sol regorge de lignite, et sur le gaz russe que le nouveau gazoduc Nord Stream lui livre depuis quelques mois, autre élément majeur de son bouquet énergétique ? Toutefois, malgré ses investissements dans les énergies nouvelles, l’Allemagne ne pourra respecter l’accord européen sur la diminution de la production de CO2, ce qui n’est pas acceptable. Pour la France, un certain nombre de questions demeurent. Nos centrales atteindront bientôt quarante ans de fonctionnement, fin programmée de leur vie. Que ferons-nous alors ? Les démanteler ne semble pas être l’option retenue par le Président de la République, d’après ce qu’il a dit aujourd’hui à Fessenheim. Quels seraient les risques de prolonger leur activité, comme aux États-Unis, de vingt, trente ou quarante ans ? Construirons-nous des EPR ? Quels enseignements tirez-vous du récent rapport de la Cour des comptes, monsieur le ministre ? Quant au rapport Percebois sur l’énergie, il vous sera remis la semaine prochaine : avez-vous déjà des pistes ? Notre industrie nucléaire doit aujourd’hui faire face à de nouveaux défis : prévoir les risques, en se préparant à des surprises ; oser élaborer les scénarios les plus invraisemblables, car l’expérience nous a montré, hélas ! que la réalité dépassait la fiction ; mettre en place une « force de réflexion rapide », qui proposerait de nouvelles dynamiques opérationnelles pour anticiper les « mégacrises » et l’hypercomplexité afin d’être en mesure d’y réagir ; investir dans la recherche sur le devenir des déchets, dans des projets d’avenir comme l’EPR et ITER. L’innovation et la créativité seront les moyens de répondre aux angoisses de certains, aux doutes des autres et de conforter les certitudes. Nul ne pourrait mieux répondre à ces défis que nos organismes de sécurité et de contrôle – CEA, Autorité de sûreté nucléaire, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire – et nos entreprises du domaine de l’énergie. Les termes de la proposition de résolution de M. Jean-Claude Gaudin sont justes et équilibrés ; ils ne peuvent que susciter l’adhésion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. –M. Gilbert Barbier applaudit également.)