Les interventions en séance

Défense
08/12/2011

«Proposition de loi, relative à l՚établissement d՚un contrôle des armes moderne»

M. Joël Guerriau

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous assistons chaque jour à l’inquiétant développement de l’usage d’armes de guerre au cœur même de nos centres-villes. La semaine dernière, pas moins de trois fusillades à la kalachnikov, qui ont fait trois morts et trois blessés graves, ont défrayé la chronique. À plusieurs reprises, les malfaiteurs n’ont pas hésité à faire usage de leurs armes, notamment à l’encontre des forces de l’ordre ; un policier a d’ailleurs été grièvement blessé. Ces événements violents et tragiques nous interpellent. Il est évident que la présente proposition de loi ne résoudra pas tous les problèmes. Cependant, une chose est sûre : la législation sur les armes doit permettre la répression la plus efficace possible du trafic d’armes et, en particulier, de la mise en circulation illicite d’armes de guerre. Le criminologue Alain Bauer indiquait récemment au journal Le Monde que la France connaissait aujourd’hui sa troisième vague d’importation illégale d’armes de guerre, avec le pillage des arsenaux libyens depuis la chute de Mouammar Kadhafi. Actuellement, un fusil d’assaut neuf de type kalachnikov se négocie dans les cités aux alentours de 1 000 euros ; le prix est nettement inférieur pour une arme d’occasion... La prolifération d’armes de guerre dans les cités ne risque-t-elle pas de s’accentuer du fait de réflexes d’auto-défense ? Certaines personnes pourraient en effet juger nécessaire de se procurer des armes si le sentiment d’insécurité grandissait. Je souhaite attirer votre attention sur un fait : des personnes fragiles ou déséquilibrées peuvent nous sembler parfaitement normales. Nous vivons dans un monde de plus en plus « virtualisé ». Nos écrans cinématographiques et télévisuels propagent des scènes violentes et font la publicité de jeux vidéo qui sèment la mort. Pis, le scénario de ces jeux banalise l’acte de tuer. Dans cet univers, la frontière entre le virtuel et le réel est mince, voire, dans certains cas, inexistante. Les films ultra-violents – Tueurs nés, Reservoir dogs, Kill Bill ou encore les récentes productions japonaises, par exemple – et les jeux vidéos qui mettent en scène une escalade de la violence risquent d’influencer des enfants et des adolescents, qui finissent par confondre le vrai et le faux, le virtuel et le réel. J’en ai malheureusement été le témoin dans ma commune de Saint-Sébastien-sur-Loire : le 3 juin 2002, un garçon de dix-sept ans vivant dans une famille aisée, fasciné par le film Scream, a assassiné de quarante-deux coups de couteaux Alice Beaupère, une adorable jeune fille de quinze ans. Interrogé en prison le lendemain matin, il nous a froidement répondu : « pourquoi vous ne rembobinez pas le film ? ». Il ne manifestait aucun remords, et il était clair qu’il n’avait pas pleinement conscience de la terrible gravité de son acte. J’éprouve encore, à l’instant où je vous parle, une très forte émotion en pensant à ce drame, en pensant à Alice qui est décédée pour rien, laissant ses parents et ses amis à une douleur irréparable et à une incompréhension totale. Imaginez un seul instant que mon jeune meurtrier de Saint-Sébastien-sur-Loire, au lieu d’utiliser une arme blanche, se soit inspiré d’un jeu vidéo et ait massacré à l’arme de guerre des dizaines d’innocents dans un collège… Aux États-Unis, ce sont en moyenne quatre-vingt-trois personnes qui sont tuées chaque jour par arme à feu. Toutes les armes posent évidemment problème. Cependant, les fusillades de ces derniers jours impliquaient des délinquants en possession d’armes de guerre de gros calibre, dont la dangerosité est particulièrement préoccupante. Il n’existe pas de statistiques officielles sur la circulation de kalachnikovs sur notre territoire. Toutefois, les saisies constituent un indicateur. Depuis le début de l’année 2011, 3 355 armes à feu ont été saisies, dont près de 380 armes de guerre. Dans les Bouches-du-Rhône, la préfecture de police a évalué à un quart la proportion des kalachnikovs parmi les armes saisies depuis le début de l’année. Ces constats nous invitent à réfléchir à l’adéquation de notre arsenal juridique à ces évolutions de la criminalité, qui créent de nouveaux risques. Dans un contexte de crise économique, nous pouvons craindre que le nombre de bandes armées n’augmente et que celles-ci ne se livrent à des actes criminels de plus en plus violents. Le fond du problème tient à l’utilisation des armes à feu, et notamment de celles qui sont possédées illégalement. Cependant, si l’on veut résoudre ce problème, il faut bien commencer par poser la question générale de la possession de des armes à feu. Notre intention n’est pas d’en restreindre l’accès à ceux qui ont le droit d’en posséder, ces milliers de Français qui détiennent légalement, et de la manière la plus pacifique, des armes à leur domicile, parce qu’ils sont collectionneurs, chasseurs ou encore tireurs sportifs. Il s’agit de nous doter d’outils législatifs simples permettant de mener, aussi efficacement que possible, le combat contre ceux qui utilisent les armes à feu dans un cadre qui n’est ni approprié, ni légal, ni républicain. La présente proposition de loi, s’inspirant en cela de la réglementation européenne, et notamment de la directive du 18 juin 1991, prévoit de substituer quatre catégories d’armes à feu aux huit qui existent aujourd’hui. En effet, non seulement la classification actuelle pose un problème de lisibilité, mais en outre les critères retenus ne sont pas pertinents ; le bon critère est bien celui que retient la proposition de loi : la « dangerosité » de l’arme. À notre sens, la nouvelle classification est plus simple et plus lisible, et donc plus facilement applicable, mais aussi beaucoup plus pertinente. L’introduction de cette notion de dangerosité comme principe de classement des armes constitue une importante innovation juridique. Celle-ci traduit la volonté de mettre fin au classement actuel, selon lequel des armes d’une dangerosité comparable peuvent se trouver dans des catégories différentes. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait qualifié la législation actuelle, largement héritée du décret-loi du 18 avril 1939, d’ « inefficace car trop tatillonne pour les honnêtes gens et impuissante face aux trafiquants ». Cet avis est très largement partagé. Je suis persuadé que la présente proposition de loi va dans le bon sens et permettra d’éviter les deux écueils que je viens de rappeler. Nous approuvons l’élargissement de la faculté donnée au préfet de saisir toutes les armes, qu’elles soient soumises à autorisation ou à déclaration : cette mesure préventive est judicieuse, comme vous l’avez parfaitement mis en lumière lors de votre intervention, monsieur le ministre. Le groupe UCR tient à saluer le travail effectué par M. le rapporteur et par la commission des lois. Ce travail a permis d’aboutir à un texte qui assure un juste équilibre entre, d’une part, les contraintes qui doivent encadrer l’acquisition et la détention d’armes, et, d’autre part, la lutte contre le trafic d’armes. Nous disposerons ainsi d’un arsenal législatif renforcé, qu’il conviendra d’appliquer le plus efficacement possible sur l’ensemble de notre territoire. Le groupe UCR votera donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UCR et de l’UMP. –M. le président de la commission des lois applaudit également.)