Les interventions en séance

Affaires sociales
08/11/2010

«Projet de loi, de financement de la sécurité sociale pour 2011»

M. Nicolas About.

Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’année dernière fut l’année de tous les records négatifs en termes de comptes sociaux : le déficit a doublé par rapport à ce qui était initialement prévu, pour atteindre 20,3 milliards d’euros ; pour la première fois depuis la guerre a été enregistrée une baisse de la masse salariale deux années consécutivement ; pour la première fois, il n’a même plus été question d’un hypothétique retour à l’équilibre... Et pourtant, les membres de mon groupe et moi-même avions abordé l’examen du PLFSS d’attente qui nous fut alors soumis avec tout l’optimisme dont nous étions capables : j’ai déclaré à cette tribune que si la situation semblait catastrophique, elle n’était peut-être pas désespérée. Un an après, nous ne pouvons que nous réjouir de constater que nos espoirs n’étaient pas totalement infondés. Certes, avec une prévision de déficit de 21,3 milliards d’euros pour le régime général en 2011 et la programmation du plus gros transfert de dette de l’histoire à la CADES – près de 130 milliards d’euros –, il n’y a pas de quoi pavoiser. Cependant, le tableau n’est pas entièrement noir. Contre toute attente, les comptes se sont stabilisés. Pour la première fois, nous allons revoir à la baisse le déficit du régime général prévu d’une année sur l’autre. Il devrait s’élever en 2010 à 23,1 milliards d’euros, au lieu des 30,6 milliards d’euros initialement prévus. Fait plus notable encore, pour la première fois depuis sa création, l’ONDAM va être respecté. On le sait, l’emballement des déficits est une conséquence directe de la dégradation de la conjoncture. Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce que son retournement, même timide, conduise à une légère embellie. C’est ce que l’on observe avec la reprise actuelle de la progression de la masse salariale, à hauteur de 2 %. Si la part de la conjoncture prend une telle importance dans les déficits – elle explique 65 % de leur volume –, c’est parce que de gros efforts ont été entrepris, et continuent de l’être, pour réduire la part structurelle de ces derniers. Cela est fondamental. C’est en effet à l’aune de ces efforts qu’il convient d’apprécier le présent PLFSS. On ne peut utilement en débattre qu’en le replaçant au sein du cadre beaucoup plus large du train de réformes, en cours ou à venir, dans lequel il s’inscrit. Premièrement, ce texte ne constitue, avec la loi organique relative à la gestion de la dette sociale, le projet de loi de finances pour 2011 et même le projet de loi de programmation des finances publiques, que l’un des éléments du plan de redressement des comptes sociaux. Deuxièmement, ce texte nous est soumis alors que nous venons de voter une importante réforme des retraites. Troisièmement, le présent PLFSS consacre la montée en charge de la loi « hôpital, patients, santé, territoires ». Quatrièmement, c’est sans doute le dernier PLFSS avant la réforme de la prise en charge de la dépendance que le chef de l’État avait annoncée dès 2007. Notre texte étant ainsi mis en perspective, il apparaît que nous pourrions être au milieu du gué des réformes. Le principal enjeu urgent est évidemment la gestion de la dette sociale. Le Gouvernement en a bien pris la mesure. L’année dernière, devant l’emballement des déficits, une question cornélienne se posait à nous : devait-on tenter de les endiguer immédiatement, au prix d’un accroissement contra-cyclique de la pression fiscale, donc au risque d’enrayer une reprise déjà fragile, ou laisser à nos enfants le soin de régler la facture de notre incurie ? Refusant absolument de se résoudre à cette dernière solution, les commissions des finances et des affaires sociales de la Haute Assemblée proposèrent un relèvement de 0,15 % de la CRDS pour transférer à la CADES un tiers de la dette pesant sur la trésorerie de l’ACOSS, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Le groupe de l’Union centriste, de son côté, a évoqué une reprise par l’État de la dette de crise de la sécurité sociale, ce qui aurait eu l’avantage de ne pas impliquer de relèvement mécanique des impôts sociaux. Pour l’heure, madame, messieurs les ministres, vous avez choisi de ne retenir aucune de ces deux solutions. Le plan qui nous est proposé s’articule en quatre volets. Le premier volet consiste en l’article 9 du présent PLFSS, qui organise la reprise de près de 130 milliards d’euros de dettes par la CADES, correspondant aux déficits du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse pour 2009 et 2010, aux déficits des branches maladie et famille pour 2011 et aux déficits de la branche vieillesse et du FSV de 2011 à 2018. Cela a été dit, c’est un quasi-doublement de la dette reprise par la CADES depuis sa création, alors même que, jusqu’ici, elle n’a remboursé qu’un tiers des 134,6 milliards d’euros qu’elle a repris entre 1996 et 2009. Le deuxième volet consiste en un allongement de quatre années de la durée de vie de la CADES pour reprendre la dette de crise, soit 34 milliards d’euros. Le troisième volet consiste en l’affectation à la CADES de nouvelles recettes, à hauteur de 3,2 milliards d’euros par an. Enfin, la mobilisation de la ressource et des actifs du Fonds de réserve pour les retraites constitue le quatrième volet. Ce plan est ambitieux. Il a le mérite de répondre dans l’urgence à une situation d’urgence, mais il pourrait s’avérer insuffisant. Primo, toute la dette à traiter a-t-elle été prise en compte ? On peut en douter : quid de la dette des branches maladie et famille après 2011, sachant que les projections pluriannuelles soulignent l’importance des déficits de ces branches au moins jusqu’en 2013 ? De plus, les concessions d’équité, par ailleurs pleinement justifiées, que le Gouvernement a faites en matière de retraites ont-elles été intégrées aux simulations ? Et quid du risque de taux ? Même si ce risque ne se réalise pas tout de suite, quelle sera l’incidence de l’inévitable remontée des taux sur le calendrier de l’amortissement de la dette sociale ? Secundo, le plan a surtout été critiqué pour le caractère insuffisamment stable et dynamique des ressources nouvelles qu’il dégageait. Évidemment, cette critique n’est plus directement valable compte tenu de l’échange auquel a dernièrement procédé le Gouvernement. Finalement, les ressources nouvelles prélevées sur les sociétés d’assurances qui devaient être dévolues à la CADES seront affectées à la branche famille, en compensation de la fraction de CSG qui sera retirée à celle-ci au profit de la CADES. L’image du jeu de bonneteau vient immédiatement à l’esprit. Cette solution en trompe-l’œil ne fait que reporter le problème plus loin : la taxation des réserves de capitalisation des sociétés d’assurances est une mesure à un coup, qui n’aura pas de portée au-delà de 2012. Le rendement de l’anticipation des prélèvements sociaux sur les compartiments « euros » des contrats d’assurance-vie multisupports devrait aussi s’effriter dès 2012, tout comme celui de la taxation des contrats complémentaires solidaires et responsables, du fait des arbitrages que feront les assurés. La gestion de la dette sera en partie assurée, mais la branche famille, autrefois structurellement excédentaire, deviendra structurellement déficitaire, ce qui engendrera une nouvelle dette. C’est pourquoi nous pensons qu’il est temps de relever la CRDS pour restituer à la branche famille sa fraction de CSG. La reprise de la croissance de la masse salariale le permet, et ce relèvement, salutaire pour les comptes sociaux, serait infime à l’échelle du contribuable. À l’instar de la commission des finances, nous avons déposé un amendement en ce sens. Par-delà ce nécessaire ajustement, la crise actuelle de la dette pose avec une acuité nouvelle la question fondamentale des modalités de financement de la protection sociale. Le mode de financement actuel, aux huit dixièmes assurantiel, issu de l’après-guerre, est-il toujours le mieux adapté ? Sans doute pas. Bien sûr, à court terme, la rénovation de l’assiette des prélèvements sociaux est nécessaire, et nous ne pouvons que nous réjouir de constater que, avec le renforcement des prélèvements sur les retraites chapeaux ou la majoration du taux des contributions sur les stock-options et actions gratuites, le présent PLFSS ne déroge pas à l’effort entrepris depuis maintenant plusieurs années pour supprimer les niches sociales les moins justifiables. L’annualisation du calcul des allégements généraux de cotisations sociales témoigne même d’une volonté encore approfondie de rationaliser les choses. La commission des affaires sociales le réclamait dès l’année dernière ; nous ne pouvons qu’être satisfaits, monsieur le rapporteur général, de constater qu’elle a été entendue. Mais, à moyen terme, nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion de fond sur la fiscalisation d’une partie du système. Est-il normal que les risques santé et famille, qui obéissent à une logique de solidarité nationale, continuent d’être financés par des cotisations sociales ? Cela est aujourd’hui difficilement défendable, surtout dans un contexte de chômage durable et de perte de compétitivité de nos industries. Dans ces conditions, quelle fiscalité devons-nous mettre en place en vue d’une réforme structurelle du financement de la protection sociale ? C’est à cette question qu’il nous faudra répondre. Il n’y a évidemment pas de remède miracle, mais, quelle que soit la solution finalement retenue, elle devra réunir le plus large consensus possible. J’ai le sentiment que c’est l’un des plus grands chantiers qui nous attendent pour l’année ou les années à venir. Allons plus loin encore : ce qui est vrai des ressources de la sécurité sociale l’est également des dépenses. Autrement dit, dans tous les domaines, il semblerait que nous arrivions aujourd’hui au bout de la logique des réformes paramétriques, pour entrer de plain-pied dans le temps des réformes structurelles ou systémiques : réforme structurelle du financement de la sécurité sociale, avec la question de la fiscalisation de celui-ci, que je viens d’évoquer, mais aussi nécessaire réforme systémique des retraites, avec sans doute le remplacement des annuités par les points ou les comptes notionnels. Encore une fois, je me réjouis que la réforme que nous venons d’adopter programme une réflexion nationale sur cette question clef pour l’avenir et la pérennité de la retraite par répartition, dès le premier semestre de 2013. Enfin, une autre réforme systémique a trait, évidemment, à la création d’un cinquième risque « dépendance » ou « autonomie ». En matière de santé et de famille, n’est-on pas également au pied du mur des réformes structurelles ? On peut le croire. Compte tenu de l’évolution tendancielle des comptes et des besoins sociaux, vient un moment où certains des principes de base sur lesquels le système a été érigé méritent d’être remis en question. Je pense au principe d’universalité. Est-il aujourd’hui normal et légitime que la branche santé offre exactement la même couverture à tous, indépendamment des revenus de chacun ? Oui. Est-il aujourd’hui normal et légitime que la branche famille octroie les mêmes allocations à tous, indépendamment des ressources du foyer ? Je le crois encore, mais cela amène certainement à des conclusions différentes de celles qui sont retenues aujourd’hui. Le principe « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » doit être maintenu, mais il convient certainement de rendre tout son sens au premier membre de cette formule. Peut-être faudrait-il préciser : « de chacun selon tous ses moyens, selon tous ses revenus ». Telles sont les questions que nous entendons poser au travers de deux amendements qui auront au moins le mérite de susciter le débat, voire plus si affinités, madame la ministre... (Mme la ministre sourit.) Le premier d’entre eux vise à rendre la franchise médicale annuelle proportionnelle au revenu net global. Aujourd’hui, cette franchise est plafonnée à 50 euros par an, que l’on touche le SMIC ou que l’on soit millionnaire. Elle est donc proportionnellement infiniment plus lourde dans le premier cas que dans le second, ce qui est injuste. Fixée par exemple à 0,4 % du revenu imposable, cette franchise serait allégée de près de 20 % pour les plus modestes de nos concitoyens et croîtrait ensuite à proportion de l’aisance, ce qui serait tout de même plus juste. Le second amendement du même ordre que nous vous soumettrons portera sur le projet de loi de finances. Il tend à intégrer les allocations familiales, voire toutes les allocations et aides diverses, dans le revenu imposable. Chaque foyer serait ainsi imposé sur l’ensemble de ses ressources. En matière de santé, un dernier dogme pourrait prochainement être ébranlé : celui de l’exercice libéral de la médecine tel que nous le connaissons. Les réformes de la gouvernance et de l’hôpital sont faites, qu’il s’agisse de l’instauration de la T2A, des plans « hôpital » ou de la loi HPST, et leur mise en œuvre monte actuellement en puissance. En revanche, la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie peine à porter pleinement ses fruits dans le champ des soins ambulatoires. En réalité, dans ce domaine, beaucoup reste à faire, notamment pour lutter contre la désertification médicale. Les axes prioritaires sont connus : développement des maisons médicales pluridisciplinaires, revalorisation de la formation de médecine générale, création de professions médicales intermédiaires, mise en place de procédures de délégation d’actes, développement du troisième secteur. L’expérimentation des maisons de naissance et le développement de la dialyse à domicile portés par le présent texte participent d’ailleurs pleinement de cette logique de modernisation de l’ambulatoire, sous réserve bien sûr du respect de la sécurité des patients et de la responsabilité des professionnels. Ce sont autant d’évolutions susceptibles de remettre en cause certains aspects actuels de l’exercice de la médecine. Madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, il nous faut prendre nos responsabilités et avoir le courage de mener les réformes structurelles qui semblent maintenant s’imposer à nous. Seules de telles réformes garantiront la pérennité et l’équité du système de protection sociale auquel nous sommes tous viscéralement attachés. À défaut, nous pourrions en être réduits à ne plus proposer que des mesures comptables, autant de rustines qui, inévitablement, mettront à mal le caractère redistributif et l’équité du système. Dans une certaine mesure, c’est le cas des articles 16 bis et 20, portant sur le régime fiscal de choses aussi différentes que les chambres d’hôtes et les médicaments orphelins. Nous présenterons d’ailleurs des amendements visant à en aménager les dispositifs. Pour me résumer, je dirai que, en attendant de passer à une étape plus substantielle de la réforme en cours, nous souhaitons que l’examen de ce PLFSS soit l’occasion d’accomplir dès aujourd’hui un progrès en matière de gestion de la dette sociale et pensons que ce texte peut encore être modifié dans le sens d’une plus grande équité. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP et du RDSE.)