Les interventions en séance

Budget
08/09/2011

«Projet de loi de finances rectificative 2011»

M. Denis Badré

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2008, le Conseil d’analyse économique publiait un rapport sur les crises des dettes souveraines. Le phénomène ne semblait alors concerner que certains pays émergents que nous observions avec une certaine condescendance. À la veille encore du déclenchement de la plus grave crise économique que le monde ait traversée depuis les années trente, personne n’imaginait que des États développés comme les nôtres pouvaient être touchés. Personne n’imaginait qu’un État membre de l’Union européenne, a fortiori de la zone euro, pourrait être frappé. Notre continent traverse une crise d’une portée telle qu’elle déstabilise tous nos États et qu’elle remet en cause jusqu’aux fondements de la construction européenne. La crise des dettes souveraines qui frappe non seulement la Grèce, mais aussi l’Irlande et le Portugal menace de se diffuser à l’Italie et à l’Espagne. Si nous n’agissons pas vite et fort, elle frappera toute l’économie européenne, y compris la France. De fait, le problème des dettes grecques est le nôtre ; les dettes grecques sont les nôtres même si on peut aller au-delà d’une analyse financière qui considère que certaines banques françaises sont impliquées. Notre pays, notre économie sont directement concernés. La crise que nous traversons est une épreuve de vérité. L’Union européenne et tous nos États sont empoisonnés par les déficits et par la dette publique. Comme M. Arthuis se plaît à le répéter, comment parler encore de souveraineté lorsque l’on est complètement tenu par ses créanciers ? Le collectif budgétaire prend acte d’une double exigence : nous devons appuyer le Gouvernement dans l’assistance qu’il apporte la Grèce tout en garantissant la soutenabilité de nos finances publiques, et cela dans un contexte économique marqué par des incertitudes lourdes de conséquences à court terme. La Grèce a rejoint la communauté européenne en 1981 alors qu’elle venait de renouer quelques années auparavant avec les libertés démocratiques. Elle a rejoint aussi très vite, trop vite peut-être, l’union monétaire en tentant de se conformer vaille que vaille aux exigences de convergence établies à Maastricht. Elle n’a certes pas été vertueuse ! L’État grec peine à lever l’impôt de façon satisfaisante. Des pans entiers de son économie sont peu clairs – gris, selon certains – et ses comptes publics sont peu transparents. Pourtant, une Grèce européenne ne vaut-elle pas malgré tout mieux pour elle-même d’abord et pour notre continent ensuite qu’une Grèce des colonels ? Comme Européens et comme démocrates, nous devons accompagner la Grèce sur le chemin vertueux mais ô combien difficile sur lequel elle s’engage. Des économistes et des responsables politiques évoquent l’hypothèse où la Grèce ferait défaut, renierait sa dette et sortirait de l’euro. Ces idées sont à rejeter. La Grèce vit une lourde récession – de l’ordre de 5 % actuellement –, son Gouvernement a les mains liées par ses créanciers et par les taux prohibitifs qui lui sont proposés sur les marchés et qui s’apparentent davantage à de l’usure qu’à une simple couverture de risques. Pour 60 % de son montant, la dette grecque – 300 milliards d’euros, ordre de grandeur comparable au total de nos dépenses annuelles – couvre ou plutôt essaie de couvrir des contrats d’assurance, et un marché spéculatif s’est constitué autour d’elle. Telles sont les données du problème ! La Grèce a été accusée de laxisme : elle est certes condamnable, mais n’avons-nous pas tous peu ou prou péché ? Nous ne pouvons nous cacher derrière le voile pudique d’une vertu qui est au demeurant assez imparfaite pour oublier que nous savions tous, avant le déclenchement de la crise, et avant même la mise en circulation de l’euro, que la situation de certains de nos partenaires était fragile. Nous avons péché par excès d’angélisme. L’intégration de ces partenaires dans l’Union européenne, puis dans la zone monétaire devait naturellement contribuer au rattrapage par ces pays de nos niveaux de vie et d’activité. C’était bon non seulement pour eux, mais aussi pour nous, ne l’oublions pas ! Pourtant, jamais nous n’avons mis en place de système de contrôle ou de surveillance autres que ceux qui sont fondés sur des fictions statistiques : la responsabilité est donc assez largement partagée. Nous en avons pris nous-mêmes un peu à notre aise avec le pacte de stabilité. La lecture que nous pouvons faire de ce que nous avons vécu depuis Maastricht peut nous faire réfléchir, elle doit en tout cas nous amener à relativiser certains « mâles discours », d’hier ou d’aujourd’hui. Soyons lucides et responsables : abandonner la Grèce reviendrait à distiller la défiance entre les États membres de l’Union. Le principe de solidarité est au cœur de la démarche communautaire. Sans ce principe, le demi-siècle de fondations institutionnelles qui a assuré la paix et garanti la prospérité à des centaines de millions d’habitants n’aurait plus de sens. Sans ce principe, c’est l’héritage de Robert Schuman et de Jean Monnet que nous passerions par pertes et profits. Enfin, et c’est l’essentiel, sur le plan moral comme sur le plan financier, abandonner la Grèce reviendrait à faire un magnifique cadeau aux spéculateurs. Ce serait aussi offrir à leurs jeux douteux un champ beaucoup plus vaste encore que celui dont ils disposent aujourd’hui, à savoir notre continent en miettes. Ne leur faisons surtout pas ce cadeau ! Mes chers collègues, nous sommes à la croisée des chemins. L’immobilisme nous condamnerait à l’austérité et à la faiblesse économique pour cinquante ans. Nous n’avons plus le choix, nous devons progresser sur le chemin de l’intégration européenne, quelque difficile qu’il soit ! Les propositions formulées par le Président de la République et la Chancelière allemande au mois d’août vont dans ce sens. Il nous faut ouvrir de nouvelles voies, renouer avec l’esprit communautaire : quoi qu’il nous en coûte, nous n’avons pas d’autre solution. L’article 2 du collectif vise à permettre à la France de prendre sa part dans le sauvetage de la Grèce selon les modalités décidées par les chefs d’État et de Gouvernement de la zone euro les 11 mars et 21 juillet derniers. Cet article est le pilier et le motif principal de la tenue en urgence de cette session extraordinaire, qui était nécessaire. Il s’agit d’abord de renforcer les garanties que le Fonds européen de stabilité financière peut apporter à la Grèce. Il s’agit ensuite d’assouplir les instruments qui permettront d’endiguer la crise. Il s’agit également de permettre aux banques des États membres de mobiliser le Fonds européen de stabilité financière afin de prévenir les risques d’une nouvelle crise interbancaire dont nous aurions du mal à nous relever. Cette disposition doit être votée le plus rapidement possible. La constitution de mécanismes de transfert budgétaire à travers le Fonds européen de stabilité financière et le Mécanisme européen de stabilité doit servir d’aiguillon pour doter l’Union européenne d’un vrai budget. Permettez un instant au rapporteur spécial de la commission des finances pour le budget européen de le souligner. L’enjeu est bien connu : une zone monétaire n’est optimale que si un choc subi par l’un de ses membres peut être absorbé soit par la circulation des facteurs de production que sont le travail et le capital, soit par l’ajustement des prix et des salaires, soit par l’intervention budgétaire. Le renforcement des prérogatives de la BCE dans le cadre de l’action du Fonds européen de stabilité financière doit également conduire nos gouvernements à militer pour le développement d’un contrôle mutuel renforcé des évolutions macroéconomiques des États membres. Le récent pacte pour l’euro va dans ce sens comme la mise en œuvre du semestre européen. Nous avons déjà souvent évoqué cette question ici même. Nous devons progresser sur la voie d’un vrai dialogue structuré entre parlements nationaux dans un premier temps, puis, dans un second temps, entre l’ensemble des parlements nationaux et le Parlement européen. La crise grecque fait office de révélateur des failles que nous avons laissé se creuser depuis l’engagement de l’euro. Il est encore possible de les réduire en faisant nous-mêmes preuve de responsabilité concernant notre propre situation budgétaire. J’en viens au second objet du projet de loi dont nous débattons. Le cadre économique de la prévision budgétaire voté en décembre dernier et confirmé au mois de juillet doit être infléchi. C’est ce que prévoit le présent texte. La dernière note de conjoncture de l’INSEE a révélé un important retournement économique au sein des pays de l’OCDE et aux États-Unis ainsi que dans l’ensemble de la zone euro, en Allemagne comme en France. La croissance française avait repris entre le dernier trimestre de l’année 2010 et le mois d’avril de cette année. Notre économie a progressé de près d’un point de PIB en moins d’un semestre, puis elle est retombée dès le deuxième trimestre de 2011. Ce retournement conjoncturel s’explique par différentes causes difficilement prévisibles en décembre : la catastrophe japonaise du 11 mars a freiné l’approvisionnement de nombreux pays industrialisés en produits stratégiques de haute technologie ; l’envolée du prix du baril a eu un effet négatif sur les coûts fixes de nos entreprises, donc sur l’emploi ; la forte appréciation de l’euro par rapport au dollar a freiné nos exportations. Dans un contexte qui reste donc structurellement très difficile, nous devons impérativement respecter l’engagement que nous avons pris d’assainir nos finances publiques. Il en va de notre crédibilité et de la restauration de la confiance des marchés financiers. En effet, les marchés nous observent. Nos déficits alimentent chaque année une dette qui ne cesse de croître et dont les intérêts pèsent sur notre budget. Nous devons poursuivre sans faiblesse notre politique de redressement et maintenir, quoi qu’il arrive, le cap des 5,7 % de déficit pour 2011, de 4,6 % pour 2012 et de 3 % pour 2013. Cette exigence justifie l’introduction d’un volet fiscal dans ce collectif originairement dédié à la cause grecque. Il nous est proposé de revenir sur les modalités d’abattement appliquées aux plus-values immobilières selon leur durée de détention. Il nous est également proposé de modifier le régime de report de déficits des entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ainsi que celui des taux appliqués aux contrats d’assurance solidaires, de reporter l’entrée en vigueur des abattements applicables aux plus-values mobilières et enfin d’augmenter le taux de prélèvement social sur les revenus du capital. Nous reviendrons sur chacun de ces points tout au long de notre débat. Les sénateurs du groupe de l’Union centriste sont bien conscients des contraintes qui pèsent sur les arbitrages budgétaires du Gouvernement. C’est pourquoi nous vous assurons, madame la ministre, monsieur le ministre, de notre soutien, et même de notre forte attente, dans votre lutte contre les déficits publics. Mais nous ne pouvons vous donner de blanc-seing. On commence à appeler un chat, un chat et une crise, une vraie crise. Le mot « rigueur » n’est plus tabou. On commence à regarder les choses en face, et nous savons tous ici qu’il faudra aller plus loin même si nous devrons faire preuve de beaucoup de courage. La dépense fiscale représenterait entre 65 milliards d’euros – chiffre de la Cour des comptes – et 104 milliards d’euros – estimation de l’Inspection générale des finances. Les quelque 500 niches répertoriées représentent, elles, près de 60 % de notre déficit public, un peu moins du quart de nos recettes fiscales nettes et plus que le produit de l’impôt sur le revenu. Il y a là une mine, mais elle doit être exploitée avec discernement dans le contexte d’une réforme de l’ensemble de notre système fiscal, réforme qui, je le rappelle, doit d’abord être fondée sur un objectif de justice.
Au-delà du travail sur les recettes, il nous faut nous poser la lancinante question de la dépense publique.
Nous vivons depuis trop longtemps au-dessus de nos moyens. Même la suppression de l’intégralité de la dépense fiscale ne garantirait pas un retour à l’équilibre budgétaire. Il manquerait encore annuellement 25 milliards à 30 milliards d’euros. Nous sommes loin du compte ! Cela fait maintenant quatre ans que notre groupe, à la suite de M. le président de la commission des finances, propose unanimement une réforme de grande ampleur de notre fiscalité comportant notamment la création d’une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu et l’instauration d’une TVA plus respectueuse de la compétitivité de nos entreprises et de nos comptes sociaux. Pour conclure, je redirai ici qu’il nous faudra inscrire dans le texte même de notre Constitution le principe d’équilibre des finances publiques, la règle d’or. C’est vers une approche pluriannuelle et paneuropéenne de nos finances publiques que nous devons par ailleurs poursuivre notre effort afin d’offrir à nos enfants d’autres perspectives que celle d’éponger nos dettes, afin, tout simplement, de leur offrir un avenir ! (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)