Les interventions en séance

Economie et finances
08/07/2010

«Projet de Loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2009»

M. Jean-Jacques Jégou

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur le plan de nos comptes publics, l’année 2009 a été exceptionnelle : la récession de 2,25% et le plan de relance ont eu pour conséquence une dégradation historique de nos finances publiques. Ainsi, le déficit public s’est établi à la fin de 2009 à 144 milliards d’euros, soit une fois et demie le déficit en 2008. Il représente 7,5 % du PIB et est en augmentation de 4,2 points ; nous n’avons jamais connu, même en temps de guerre, un tel niveau de déficit !
S’il est lié en premier lieu à l’effondrement des recettes fiscales de l’État, notamment de l’impôt sur les sociétés, il est également dû aux mesures de relance prises par le Gouvernement. Mais il est aussi la conséquence de la progression de 3,7 % en volume des dépenses courantes, hors intérêts de la dette et hors mesures de relance, en raison d’un relâchement des efforts de maîtrise des dépenses publiques.
La Cour des comptes note par ailleurs que, si la baisse des recettes est majoritairement attribuable à la récession, elle est également la conséquence de baisses pérennes de prélèvements obligatoires décidées par l’État.
Comme l’expliquera tout à l’heure notre excellent collègue Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales, les comptes sociaux ont également connu des niveaux historiques. Les quatre branches du régime général sont dans le rouge, avec un déficit de plus de 20 milliards d’euros – l’assurance maladie avec un solde négatif de 10,2 milliards d’euros étant responsable de la moitié du déficit de l’ensemble des branches –, auxquels il faut ajouter les 3,2 milliards de déficit du Fonds de solidarité vieillesse.
La dette publique, quant à elle, s’est aggravée de plus de dix points de PIB – représentant plus de 200 milliards d’euros –, pour atteindre 78,1 % du PIB et frôler les 1 500 milliards d’euros. L’aggravation des déficits, notamment du déficit primaire, rend impossible à ce niveau la stabilisation de l’endettement en pourcentage du PIB, ce qui oblige notre pays à emprunter pour payer les intérêts de la dette et une partie des dépenses courantes.
Outre le risque d’emballement de la dette décrit en juin 2009 par le regretté Philippe Séguin, le recours à des prêts à court terme est particulièrement préoccupant, monsieur le ministre, puisque 36 % des dettes de l’État sont exigibles à moins de deux ans, ce qui expose notre pays à la remontée des taux et accroît donc notre vulnérabilité.
Un autre sujet d’inquiétude tient à ce que notre dette est détenue à 68 % par des non-résidents, ce qui rend notre pays dépendant à l’égard de créanciers extérieurs et pose, à terme, la question de l’exercice de notre souveraineté.
Si nos déficits publics ont connu un tel dérapage, c’est parce que nous n’avons pas suffisamment réduit le déficit structurel avant la crise. Il est à regretter que les périodes fastes – en gros, la décennie 1998-2008 – n’aient pas été utilisées pour assainir nos finances publiques, si bien qu’en 2009 les mesures pour faire face à la crise économique et financière ont conduit à une explosion des déficits budgétaires.
En effet, malgré une récession moins violente et un plan de relance d’une ampleur plus limitée, notre déficit et notre dette ont augmenté dans les mêmes proportions que ceux des autres pays européens. II ne faudrait pas que certains, avec les prémices d’un retour de la croissance, au demeurant certainement molle, retombent dans la facilité de l’endettement.
L’ampleur de la dégradation des finances publiques en 2009 a franchi, avec la crise économique, un nouveau stade. Les recettes de l’État sont retombées à un niveau proche de celui de 1996 en euros courants et au niveau de 1979 en euros constants. Mais cela ne doit pas masquer que le mal qui atteint nos finances est chronique. La crise économique n’a fait que confirmer les faiblesses structurelles de nos finances publiques.
En effet, la dégradation de la situation des finances publiques n’est pas uniquement attribuable à la crise économique et aux effets du plan de relance. Force est de constater, avec la Cour des comptes, que la crise n’explique qu’une partie de cette dégradation. D’après ses calculs, le déficit structurel atteint 5 % du PIB en 2009, contre 3,9 % en 2008, la crise et les mesures de relance expliquant seulement un tiers du déficit global.
Pour 2009, cette situation s’explique par l’insuffisante sécurisation des recettes de l’État : le Gouvernement a accumulé les dépenses fiscales qui ont provoqué une baisse des recettes de 1,4 milliard d’euros, liée en particulier à la baisse de la TVA dans la restauration. En réalité, ce sont plus de 3 milliards en année pleine. En outre, de nombreuses mesures prises avant la crise ont eu des effets sur 2009. Les allégements fiscaux liés à la loi TEPA consentis en 2007 et 2008 ont engendré ainsi un surcoût de 5,2 milliards d’euros en 2009.
Si l’on observe l’évolution des comptes publics sur une période plus longue, il apparaît que l’aggravation du déficit structurel est due au décalage permanent et ancien entre les dépenses et les recettes publiques : les dépenses ne sont couvertes qu’à hauteur de 86 % en 2009 et les recettes de l’État couvrent à peine plus de la moitié de ses dépenses nettes. Or, depuis 2000, ce sont plus de 100 milliards d’euros de recettes fiscales dont a été privé le budget de l’État, pour deux tiers en raison de mesures de baisses d’impôts, le tiers restant étant lié à des transferts de recettes aux autres administrations publiques.
Le rapporteur général de l’Assemblée nationale, mon collègue val-de-marnais Gilles Carrez, a montré que la décennie 2000 s’est caractérisée par un mouvement d’ampleur de diminution des ressources de l’État, à la fois par des baisses d’impôt sur le revenu et par la multiplication des dépenses fiscales. Depuis 2000, la France a accumulé les baisses d’impôts sans les gager par des réductions de dépenses, au point que le déficit structurel s’est progressivement accru pour atteindre 5 % du PIB en 2009.
Pour ne prendre que l’exemple des dépenses fiscales, qui sont un moyen facile pour les gouvernements de déroger à la norme budgétaire du « zéro volume », elles coûtaient 56 milliards d’euros en 2000, contre 73 milliards en 2009. Depuis dix ans, l’évolution de la dépense fiscale a été en moyenne de 5,2 % d’une année sur l’autre. Depuis 2004, cette évolution atteint chaque année 8,5 %. La dépense fiscale, dont le coût est difficilement maîtrisable, a deux effets : elle mine progressivement les recettes de l’État et elle est un facteur d’injustice fiscale en grignotant l’impôt sur le revenu.
Si, au cours de la période 2000-2009, les gouvernements successifs avaient gagé et compensé systématiquement les nouvelles mesures en matière fiscale par des économies sur la dépense ou par l’augmentation d’autres prélèvements, le déficit public et la dette publique se seraient établis respectivement à 3,7 % et 54,6 % du PIB en 2009, au lieu de 7,5 % et 78 %. Pendant trois années consécutives, de 2006 à 2008, le budget aurait même été excédentaire. La dette publique brute serait passée sous la barre des 50 % du PIB en 2007 et 2008. Mais ne rêvons pas !
Nous devons avoir conscience que nous ne pouvons plus accorder des baisses d’impôts non gagées : leur compensation systématique par des économies sur la dépense ou par des hausses d’autres prélèvements est une condition indispensable de la soutenabilité de l’endettement public. Mieux encore, il faudrait aussi revenir sur une partie des exonérations de charges patronales pour certains secteurs d’activité comme la grande distribution, car nous savons tous qu’elles ne servent à rien. Si les gouvernements s’étaient contraints à cette discipline, nous n’en serions pas là.
L’hémorragie doit être stoppée, l’État ne disposant pas de capacités financières illimitées. Comme le proposait le rapport Pébereau en 2005, les ressources des administrations publiques doivent rester à un niveau stable pour pouvoir désendetter le pays.
Le redressement de nos finances publiques est désormais un impératif, car la crédibilité financière de la France vis-à-vis de ses créanciers est en jeu, comme l’a montré la crise récente de la dette dans la zone euro. Il faut un traitement immédiat, dès 2011, continu et massif de nos déséquilibres financiers, car le seul retour de la croissance ne suffira pas. Voilà quelques jours, Didier Migaud expliquait devant la commission des finances qu’en 2013, dans l’hypothèse d’une croissance de 2,25 % et avec la seule évolution tendancielle des dépenses de ces dernières années, le déficit public et la dette publique dépasseraient respectivement 6 % du PIB et 93 % de la richesse nationale, soit plus de 2 000 milliards d’euros.
Les tensions sur le marché de la dette souveraine sont venues nous rappeler que les États ne peuvent s’endetter à l’infini et qu’ils peuvent aussi faire faillite. À chaque chose, malheur est bon ! Les marchés nous imposent désormais d’abandonner les facilités qui ont prévalu depuis dix ans. Nous prenons enfin conscience que la dépense publique ne peut plus être financée indéfiniment par l’emprunt, reportant son poids sur les générations futures.
La marche à suivre dans les prochaines années est simple : nous devons nous guérir de l’addiction aux dépenses publiques comme de la tentation de baisser les impôts.
Sans vouloir anticiper sur le débat d’orientation sur les finances publiques de cet après-midi, je ferai quelques remarques relatives aux perspectives de redressement des finances publiques.
Le programme de stabilité du Gouvernement, qui prévoit de ramener le déficit public de 8 % du PIB en 2010 à 3 % en 2013 est fondé sur une hypothèse de croissance de 2,5 % en moyenne sur trois années. Certains qualifient poliment ces prévisions d’optimistes ou d’ambitieuses, estimant que la croissance potentielle se situerait plutôt autour de 1,8 %. Je voudrais rappeler que plus le taux de croissance sera faible et inférieur à la prévision gouvernementale, plus l’effort à fournir pour maîtriser la dépense devra être important. Autrement dit, un taux de croissance prévisionnelle trop élevé conduirait à sous-estimer les efforts de redressement à fournir.
De même, afin de ne pas sous-estimer l’effort à accomplir en matière de réduction de la dépense, qui est de l’ordre de 20 milliards chaque année, ce qui est déjà très ambitieux, il ne faut pas surestimer l’évolution spontanée des recettes liées au retour de la croissance. Je parle sous le contrôle du président de la commission des finances, l’audition de certains ministres dans le cadre de l’examen en commission du projet de loi de règlement nous a laissés sceptiques quant à leur volonté de réduire réellement leurs dépenses de fonctionnement.
Le Gouvernement fait le pari que la reprise économique permettra de rattraper, sur trois ans, les pertes conjoncturelles de recettes dues à la crise, voire de faire entrer dans les caisses de l’État des recettes d’un niveau jusque-là jamais atteint. Est-ce bien raisonnable ?
Que retrouvera-t-on des quelque 500 000 emplois que nous avons perdus ? L’exemple de l’effondrement de la masse salariale, qui, après avoir crû de 4 %, a baissé de 1,3 %, plombe durablement le niveau des cotisations et accentue les déficits sociaux.
Par ailleurs, du fait de la forte dynamique des charges de pensions et des intérêts de la dette dans les prochaines années, il faudra que les autres dépenses de l’État fassent l’objet d’une maîtrise beaucoup plus drastique et de réformes structurelles.
Au passage, je note qu’en 2009, les dépenses de personnel ont augmenté de 800 millions d’euros par rapport à 2008, alors même qu’on aurait pu espérer les voir baisser dans la mesure où la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, sur laquelle le Gouvernement s’est montré cette fois rigoureux, a été à peu près respectée.
Comme le suggère depuis plusieurs années la Cour des comptes, il faut réexaminer l’ensemble des dépenses publiques, et notamment les plus coûteuses. Cela veut dire, concrètement, s’attaquer aux prestations sociales, qui représentent le tiers des dépenses publiques, aux rémunérations qui en constituent le quart, mais également aux dépenses d’assurance maladie, dont le déséquilibre reste très important.
Au-delà de la poursuite des efforts sur les dépenses de fonctionnement de l’État, notamment celles des opérateurs de l’État, qui échappent encore aujourd’hui à la norme d’évolution des dépenses, il faut dès à présent mettre l’accent sur les dépenses d’intervention. En effet, la diminution des dépenses publiques ne pourra s’appuyer sur la seule réduction du train de vie de l’État. Les dépenses d’intervention constituent un gisement d’économies et sont un secteur dans lequel il est possible d’améliorer l’efficacité de l’action publique tout en réduisant les coûts. L’insuffisante sélectivité des dépenses d’intervention conduit à un saupoudrage. Nous avons pris la mauvaise habitude dans notre pays de tenir un guichet ouvert pour des publics sans cesse plus nombreux.
Ce réexamen de l’ensemble des dépenses publiques ne peut se faire sans avoir au préalable réfléchi au bien-fondé et à l’efficacité de l’intervention publique. La rigueur, ou la « ri–lance » chère à Mme Lagarde, ne sera acceptée par les Français que si les efforts sont justement répartis. Et je ne vois pas, monsieur le ministre, comment cela sera possible en maintenant le bouclier fiscal ! (M. Guy Fischer applaudit.)
S’agissant des recettes, nous devons nous atteler à consolider les ressources publiques. Vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à réduire dès 2011 de 8,5 milliards les niches fiscales et sociales. Nous devons aller plus loin et tendre vers les 10 milliards d’euros, notamment en relevant certains taux de TVA.
Au-delà du nécessaire « coup de rabot » des niches fiscales, il faudra en parallèle examiner chaque niche pour supprimer les moins efficaces, les moins justes et les plus coûteuses. (M. Adrien Gouteyron applaudit.)
Vous savez, monsieur le ministre, que vous pourrez compter sur nous, la commission des finances et le groupe centriste du Sénat, que je représente ici, pour vous aider à manier les rabots, passer la tondeuse et tenir les cisailles, pour reprendre les outils de notre rapporteur général, quand il s’agira à l’automne prochain de tailler dans les niches fiscales et sociales !
Je ne reviens pas sur les débats qui nous ont amenés à approuver les dispositifs de garantie de la dette grecque et, plus généralement, des dettes souveraines des États de l’Eurogroupe. Je rappelle simplement que les efforts qu’exige l’état de notre déficit et de notre dette doivent être menés en étroite liaison avec notre partenaire allemand et dans le cadre de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur le banc de la commission, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP et du RDSE.)