Les interventions en séance

Affaires sociales
Sylvie Goy-Chavent 07/12/2011

«Proposition de loi visant à étendre l’obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et à assurer le principe de laïcité»

Mme Sylvie Goy-Chavent

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous assistons depuis quelques années, au sein de la société française, à l’émergence d’un islamisme politique et revendicatif. Alors que la grande majorité des musulmans de France sont par nature pacifiques et respectueux des valeurs et des lois de la République, ce courant dur rompt avec la tradition française d’un islam serein, tolérant et parfaitement intégré. Les vagues d’immigration les plus récentes et le développement du communautarisme ont sans doute favorisé ce phénomène, qui bouscule aujourd’hui les lignes de partage entre la religion et la République. Force est de constater que le port du voile islamique s’est peu à peu répandu dans l’espace public. Considéré, par certains, comme un signe d’appartenance librement consenti, et, par d’autres, comme un instrument de soumission, il remet en cause notre système de valeurs ; la question de sa compatibilité avec l’idéal républicain se pose. Personnellement opposée à tout signe religieux ostentatoire, je suis particulièrement hostile à tout ce qui symbolise l’asservissement de la femme. Dans le même temps, je reste très réservée sur toutes les lois qui, sur fond de laïcité, pourraient faire naître un sentiment de défiance chez les musulmans de France. À cet égard, je souhaite souligner que la proposition de loi de nos collègues du RDSE ne doit pas être interprétée comme une marque d’hostilité envers l’islam : ce n’est pas la pratique de la religion musulmane qui est en cause ; ce qui pose problème, c’est une certaine conception de la religion. De par le monde, un certain nombre de nations sont fondées sur des critères ethniques ou religieux. Dans ces pays, la religion est un facteur de cohésion nationale, et la nation est avant tout une communauté de croyants. La France est, au contraire, porteuse d’un idéal de citoyenneté fondé sur la raison. Pour la République française, il n’y a ni juifs, ni chrétiens, ni musulmans : il n’y a que des citoyens, libres de croire ou non en un dieu et ayant tous en commun un idéal démocratique fondé sur l’égalité civile. Cela signifie que tous les individus qui composent la nation, sans distinction d’origine, de race ou de religion, forment une seule et même communauté. Cela sous-entend également l’existence d’un espace public commun à tous les membres de la collectivité. Dans cet espace, la neutralité est la règle et tous les individus doivent se soumettre à la loi commune, dans le souci du bien de tous. Tel est l’idéal républicain ! La France ne reconnaît que la loi des hommes, et aucune loi divine ne saurait être supérieure aux lois de la République. Cela ne remet nullement en cause la liberté de croyance, et ce n’est pas non plus incompatible avec la tradition d’accueil de la France, bien au contraire ! La République française ne reconnaît aucune religion ; c’est la raison pour laquelle elle les protège toutes. La nation française est ouverte à l’assimilation des étrangers, qui ont vocation à s’intégrer socialement et économiquement, dès lors qu’ils adhèrent aux valeurs de la République. Il est vain, dira-t-on, de tenter de protéger la société des complexités du multiculturalisme ; en quoi, objectera-t-on, le port du voile islamique est-il contraire aux principes républicains ? Je rappellerai avec force que les manifestations d’appartenance religieuse ne sont acceptables que dans la mesure où elles ne remettent pas en cause la cohésion de notre société. Si la reconnaissance des libertés publiques, telle la liberté de croyance, s’inscrit dans la tradition de la République, elle ne peut pas aboutir à la détruire. Mes chers collègues, il est de notre devoir de parlementaires de limiter les manifestations d’appartenance religieuse afin de préserver la cohésion et l’identité de notre pays – j’entends, par « identité », notre idéal de vie en société. Si nous ne fixons pas dès aujourd’hui des limites, nous risquons demain de nous retrouver face à des revendications multiples auxquelles nous ne serons plus en mesure de faire face. C’est la raison pour laquelle la proposition de loi de notre collègue Françoise Laborde doit retenir toute notre attention. Dans l’exposé des motifs de ce texte, il est explicitement fait référence à l’affaire de la crèche Baby Loup. En l’espèce, le jugement de la cour d’appel de Versailles s’inscrit dans la tradition républicaine. Cette juridiction a en effet considéré que les restrictions à l’expression de la liberté religieuse figurant dans le règlement intérieur d’une crèche associative étaient justifiées par la nature de la tâche à accomplir par les salariés et par le fait qu’en raison de leur jeune âge les enfants accueillis en son sein ne devaient pas être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse. S’agissant d’une structure privée d’accueil de la petite enfance, elle a donc reconnu à l’employeur le droit d’imposer un règlement intérieur édictant un principe de neutralité et interdisant implicitement le port de signes religieux tels que le voile islamique. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à étendre l’obligation de neutralité « religieuse » aux structures privées chargées de la petite enfance et à assurer le respect du principe de laïcité. Mes chers collègues, si ce texte est adopté, le principe de neutralité fera obstacle à l’expression des convictions religieuses des personnels dans toutes les structures d’accueil d’enfants âgés de moins de six ans, qu’elles soient publiques ou privées. À cet égard, il est intéressant d’analyser l’avis rendu par le Conseil d’État le 3 mai 2000, qui énonce clairement ce principe pour la fonction publique : si les agents des services publics « bénéficient […] de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination […] qui serait fondée sur la religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ». Dans la fonction publique, ce ne sont donc pas les opinions religieuses d’un agent qui sont incompatibles avec la neutralité du service, mais leur manifestation. L’administration, sous le contrôle du juge, apprécie au cas par cas si l’attitude d’un agent respecte ou non cet impératif de neutralité. Je suis pour ma part tout à fait favorable à ce que ce principe puisse s’appliquer dans l’ensemble des structures associatives et privées. Pour autant, ne soyons pas naïfs : avec ou sans loi, le débat ne sera pas clos. En effet, malgré le déni qui entoure cette délicate question, le problème de fond n’est pas tant celui du port du voile que celui de la place de l’islam dans notre pays. Face à la montée des extrémismes et du racisme, il nous faut rapidement retrouver un consensus sur la manière de vivre tous ensemble. Il est temps que les 6 millions de musulmans modérés vivant en France se fassent entendre : fidèles aux valeurs de la République, qu’ils enrichissent sans les pervertir, ils appartiennent à la communauté nationale. Monsieur le ministre, j’estime qu’il y a urgence à organiser un débat de fond sur la place de l’islam dans notre République. Mes chers collègues, il nous faut tous ensemble lutter contre un mal qui gangrène nos quartiers : celui des dérives sectaires d’une minorité qui, au nom de la religion, rejette toute valeur occidentale, en particulier la démocratie et la laïcité. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)