Les interventions en séance

Collectivités territoriales
07/06/2011

«Projet de loi fixant le nombre de conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région»

M. Pierre Jarlier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions du texte qui nous est présenté répondent aux critères définis par le Conseil constitutionnel et peuvent apparaître purement techniques. Pour autant, elles ne doivent pas masquer l’enjeu important que revêt ce projet de loi. Monsieur le ministre, vous avez participé aux discussions sur la réforme des collectivités territoriales, et vous savez combien notre Haute Assemblée s’est vivement mobilisée en faveur d’un débat plus approfondi sur la création du conseiller territorial, sur son mode d’élection et sur les compétences qui lui seront attribuées. Ce projet devait, il faut le rappeler, initialement faire l’objet d’un texte de loi séparé. Au final, force est de reconnaître que le conseiller territorial a pollué un débat plutôt consensuel qui s’était engagé sur la nécessaire évolution de l’intercommunalité, de ses liens avec les communes et avec la population. À l’inverse, nombreux sont les élus qui sont réservés sur les modalités de la mise en place du conseiller territorial, et ce pour plusieurs raisons. La première de ces raisons tient au calendrier qui a été retenu. En effet, s’il est nécessaire de développer la coordination entre les politiques publiques menées par le conseil régional, d’une part, et le conseil général, d’autre part, le moment n’est peut-être pas opportun. L’achèvement de la carte intercommunale, la mise en place du schéma départemental de coopération intercommunale, l’évolution des périmètres des intercommunalités devraient plutôt être des préalables à la création de ces nouveaux élus. Comment assurer la cohérence d’un nouveau mandat sans définir de circonscription en amont, sans connaître le paysage local qui résultera de la réforme ? On aurait pu imaginer un conseiller territorial qui représente un territoire intercommunal pertinent, un territoire de projet, un territoire de solidarité, ce ne sera sans doute pas toujours le cas, et c’est bien regrettable. La deuxième raison tient au nombre de conseillers et aux conséquences qui en résultent pour notre démocratie locale. La création des conseillers territoriaux signera la disparition de nombreux conseillers généraux dans les territoires ruraux, posant ainsi un double problème de représentation et de lien de proximité avec les populations rurales, notamment en zones de montagne. Alors que la population demande toujours plus de proximité avec les élus, cette évolution ira malheureusement à l’encontre de cette légitime attente dans plusieurs départements. À titre d’exemple, le Cantal perdra 7 cantons sur 27, soit un de plus que dans le texte initial, et une douzaine d’autres départements ruraux devront se contenter de moins de 20 élus pour siéger au sein du conseil général. A contrario, les conseils régionaux vont connaître une inflation considérable du nombre de leurs élus. En Auvergne par exemple, ils seront 145 contre 47 initialement et, en Midi-Pyrénées, 251 pour 91 aujourd’hui. Les économies annoncées ne seront donc pas au rendez-vous et la plupart des régions devront investir massivement pour construire de nouveaux hémicycles avant d’assumer de nouvelles charges de fonctionnement. Une troisième raison est liée au redécoupage des cantons. Beaucoup d’élus s’interrogent sur la méthode qui conduira à la préparation du décret fixant la nouvelle carte cantonale. Comment s’organisera la concertation avec les élus sur le territoire pour assurer une légitime transparence dans ces décisions importantes pour l’avenir ? Les parlementaires seront-ils consultés ? Comment s’exercera le contrôle de l’impartialité des découpages ? Autant de questions qui appellent des réponses que le présent débat devrait nous apporter. Enfin, je regrette pour ma part que cette réforme ne tende pas à affirmer le bloc « région-département », comme cela a été fait pour le bloc « commune-communauté ». Si la clarification des liens entre département et région était en effet nécessaire, le fait que les mêmes élus siègent dans deux assemblées qui exercent des compétences différentes risque bien à terme d’aboutir à la disparition de l’une ou de l’autre de ces assemblées. Peut-être aurait-il mieux valu l’afficher clairement ! J’aurais préféré, comme de nombreux élus ici, que l’on retrouve dans la réforme l’esprit de la mission sénatoriale présidée par Claude Belot, qui préconisait l’établissement de nouveaux liens entre la région et le département, tout en maintenant les prérogatives de chaque assemblée. Ces propositions n’étaient pas incompatibles avec la notion de conseiller territorial, à laquelle je suis plutôt favorable, dès lors qu’une partie seulement des conseillers généraux aurait aussi siégé au conseil régional, ce qui n’était pas forcément anticonstitutionnel. C’est une autre voie qui a été retenue. Aussi, pour les raisons que je viens d’évoquer rapidement et en cohérence avec la position que j’ai déjà défendue dans cette enceinte, je ne pourrai pas, comme plusieurs de mes collègues du groupe de l’Union centriste, approuver le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)