Les interventions en séance

Budget
Hervé Maurey 07/05/2014

«Proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence »

M. Hervé Maurey

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 avril 2010, à cette tribune, présentant ma proposition de loi relative aux contrats d’assurance sur la vie, je citais la célèbre maxime de Boileau : « Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage, « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : « Polissez-le sans cesse et le repolissez ; ». Elle illustrait, selon moi, la nécessité d’avancer dans ce domaine avec détermination pour garantir enfin une réelle protection des épargnants, mais de manière progressive, et par là même prudente, pour éviter d’être stoppés net par les lobbies. Ces propos étaient, hélas ! exacts puisqu’il a fallu plus de trois ans pour que cette proposition de loi, qui n’était qu’une étape, soit adoptée, et encore seulement partiellement. Aujourd’hui, nous devons examiner un nouveau texte, issu de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 19 février dernier et de celle déposée par mes soins le 28 novembre 2013. L’amélioration des droits des épargnants est un long cheminement engagé depuis près de dix ans. Dans le domaine de l’assurance vie, le législateur s’est à plusieurs reprises saisi du sujet. Il s’est penché sur la question, notamment en 2005, en obligeant les assureurs à informer les bénéficiaires s’ils étaient avisés du décès du souscripteur et en permettant à toute personne se croyant bénéficiaire d’un contrat d’interroger un organisme spécialisé ; c’était la naissance de l’AGIRA 1. Il s’est également saisi du sujet en 2007, en obligeant les assureurs à s’informer sur l’éventuel décès des souscripteurs, âgés de plus de quatre-vingt-dix ans et dont le contrat est supérieur à 2 000 euros, et à rechercher, le cas échéant, les bénéficiaires ; c’était la naissance de l’AGIRA 2. L’application de ces textes a cependant été tardive, limitée et de toute évidence insuffisante. Cette situation ne me semblait pas tolérable, ni d’un point de vue éthique, parce qu’il n’est pas normal que les sommes déposées ne profitent pas à leurs bénéficiaires, ni d’un point de vue économique et fiscal, puisqu’il serait beaucoup plus utile que cet argent soit réinjecté dans l’économie. Aussi ai-je déposé en 2009, peu après mon élection, une première proposition de loi, adoptée à l’unanimité par le Sénat le 29 avril 2010. Elle visait principalement à obliger les assureurs à s’informer chaque année du décès éventuel de tous les souscripteurs – ce sont les conditions qui étaient précédemment énoncées –, à améliorer la transparence sur l’état du « stock » des assurances vie et à renforcer la transparence sur les « flux » en obligeant les assureurs à rendre compte chaque année des recherches effectuées. À défaut d’examen par l’Assemblée nationale, cette proposition de loi a été une première fois reprise dans le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, qui n’a malheureusement jamais été adopté définitivement en raison des échéances de 2012. Elle a ensuite été partiellement intégrée dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires en juillet 2013, à l’exception notable, et j’y reviendrai, des dispositions relatives à la transparence sur les flux. Dans le même temps, il m’avait semblé utile de m’intéresser à la question de la déshérence des produits d’épargne, des comptes bancaires et du contenu des coffres-forts. C’était le sens de ma question orale du 22 février 2012, dans laquelle je dénonçais l’absence de cadre législatif définissant ce phénomène et permettant a fortiori d’évaluer son ampleur. Le Gouvernement de l’époque s’était déclaré prêt à examiner les moyens d’améliorer le dispositif existant ; malheureusement, aucune initiative n’est intervenue depuis lors. C’est donc avec intérêt et satisfaction que j’ai pris connaissance du rapport de la Cour des comptes sur le sujet en juillet 2013. La Cour des comptes estime au minimum à 1,2 milliard d’euros l’encours des avoirs bancaires non réclamés et celui des contrats d’assurance vie et de capitalisation à au moins 2,76 milliards d’euros. Une enquête plus récente de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution parle même de 4,6 milliards d’euros pour les seules assurances vie. Vous le voyez, on est très loin des chiffres annoncés par les assureurs en 2009, qui étaient, selon eux, bien inférieurs à 1 milliard d’euros ! Ce constat sans appel sur l’ampleur du phénomène, sur l’attitude des assureurs et des banquiers et sur les carences du cadre législatif m’a convaincu de la nécessité de déposer une nouvelle proposition de loi en novembre 2013. Celle-ci visait essentiellement à étendre aux avoirs bancaires la démarche engagée depuis 2005 pour les assurances vie et à compléter le cadre législatif relatif aux assurances vie en renforçant la transparence et en prévoyant la revalorisation post mortem. Elle reprenait également quelques mesures pratiques suggérées par la Cour des comptes, telles que l’obligation pour les notaires de consulter le FICOBA. Cette proposition de loi, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, est pour l’essentiel satisfaite par le texte que nous examinons aujourd’hui, et je me félicite que la présente proposition de loi apporte un certain nombre de solutions non seulement à la question des comptes inactifs, mais aussi, sur l’initiative de la commission des finances, aux assurances décès, au contenu des coffres-forts, des bons et des contrats de capitalisation. Je me félicite aussi qu’une définition précise du compte inactif soit enfin établie, que les frais de gestion soient plafonnés et qu’une revalorisation post mortem des contrats soit garantie dès le décès à un taux minimal fixé par décret. Je me réjouis également que des outils soient mis à la disposition des professionnels dans le cadre du règlement des successions, que soit mis un terme à la pratique scandaleuse qui conduisait certains professionnels à réclamer toujours de nouvelles pièces ou des pièces identiques pour retarder le règlement des contrats et que le rôle de l’ACPR soit renforcé. Je suis donc satisfait pour l’essentiel, mais, je dois l’avouer, monsieur le rapporteur, pas totalement ! En effet, je trouve que si ce texte a l’immense mérite d’éviter que les banques et les sociétés d’assurance conservent des avoirs inactifs trente ans grâce à leur transfert à la Caisse des dépôts et consignations, il ne pose pas assez clairement l’obligation de recherche des titulaires ou ayants droit, qui n’est prévue que pour les assurances vie. Je souhaite donc, sans oublier la nécessité que j’évoquais tout à l’heure d’avancer progressivement dans ce domaine, que nous allions dès aujourd’hui un peu plus loin. C’est la raison pour laquelle je proposerai d’étendre l’obligation de recherche au titulaire des comptes et des coffres-forts inactifs dans la procédure de droit commun visée à l’article 1er – aujourd’hui uniquement prévue pour les contrats d’assurance vie – et dans le dispositif provisoire prévu à l’article 12. Je considère que, sans une réelle recherche préalable, le transfert des avoirs inactifs n’apporte pas de réelle protection supplémentaire aux épargnants. Le transfert ne peut être qu’un ultime recours, sinon il s’apparente à un « hold-up » des épargnants. En ce qui concerne l’article 12, je ne suis pas d’accord avec sa philosophie pour des raisons que j’ai déjà énoncées. Alors que l’ACPR a commencé, enfin, à prendre des sanctions contre les assureurs pour les négligences et les fautes intentionnelles dans la gestion des contrats en déshérence, le transfert général à la Caisse des dépôts et consignations et à l’État prévu à l’article 12 dans l’année qui suit l’entrée en vigueur, soit à partir du 1er janvier 2017, dédouanerait largement les assurances de leurs responsabilités dans la gestion de ce scandale. Il relèverait à bon compte les assureurs de leur responsabilité, il permettrait, pour reprendre les termes de M. le rapporteur, de « sortir par le haut d’une situation qu’ils ont certes contribué à créer ». Surtout, il leur permettrait d’échapper aux risques de sanctions pécuniaires par l’ACPR. Je rappelle que, récemment, une amende de 10 millions d’euros a été infligée à une société que j’aurai la charité de ne pas citer. Tout cela n’est évidemment pas acceptable ! Je souhaite donc qu’il y ait une obligation de recherche. Afin que celle-ci puisse s’effectuer dans de bonnes conditions, je proposerai de décaler légèrement la date de transfert. Je souhaite également que la transparence qui a été améliorée par ce texte sur les stocks le soit aussi en ce qui concerne les flux. Cette transparence sur les flux, qui figurait déjà dans ma proposition de loi de 2010, est indispensable, car elle permet de mesurer les efforts engagés par les assureurs et les banquiers année par année pour résorber ce phénomène. Pour celles et ceux de nos collègues qui n’auraient pas eu connaissance du rapport de la Cour des comptes, le constat qu’elle dresse est sans appel. Il y a eu une volonté claire de ne pas appliquer ou de n’appliquer que très partiellement la loi de 2007. Le président de la commission des finances, M. Marini, lors de l’examen de ce texte en commission, a d’ailleurs fait ce constat : « Il faut croire que nous avons été sciemment trompés ». Eh bien oui, nous avons été sciemment trompés ! Dans ces conditions, je ne doute pas de la volonté de notre assemblée de renforcer la transparence. Je souhaite enfin introduire dans le texte un dispositif permettant d’être informé sur ce que l’on nomme les NPAI, c’est-à-dire les courriers retournés à l’expéditeur avec la mention « N’habite pas à l’adresse indiquée ». Chaque année, les banquiers et les assureurs reçoivent de nombreux NPAI, parce que l’adresse du destinataire est mal renseignée, du fait d’un changement d’adresse ou, comme cela m’est arrivé à titre personnel, parce que l’adresse a été mal enregistrée à l’origine. Combien d’envois sont concernés ? Quelles actions sont menées pour retrouver les destinataires de ces courriers, c’est-à-dire les bénéficiaires des contrats ? Nous n’en savons rien alors que, de toute évidence, des recherches précises permettraient de retrouver le destinataire et de limiter par là même le risque de perdre tout contact avec le titulaire ou le bénéficiaire d’un compte, d’un coffre-fort ou d’un contrat. L’objet de ma démarche, mes chers collègues, c’est la protection des épargnants. L’ambition de notre ancien collègue député Eckert, et peut-être même du Gouvernement dont il fait aujourd’hui partie, est, me semble-t-il, de se montrer plus attentif aux effets sur les finances publiques du transfert des sommes conservées par les assureurs et les banquiers. À cet égard, l’absence d’étude d’impact prive les parlementaires d’une estimation des montants qui seraient transférés à la Caisse des dépôts et à l’État en application de l’article 12. J’espère, monsieur le ministre, que vous pourrez tout à l’heure nous fournir quelques éléments chiffrés sur ce point. En conclusion, je voudrais rappeler, comme le soulignait le Premier président de la Cour des comptes lors de son audition à l’Assemblée nationale, que « les personnes les plus susceptibles d’être touchées par la déshérence sont celles qui détiennent de petits dépôts bancaires ». C’est pour elles, et pour elles seules, que nous devons travailler aujourd’hui, car, si au terme de nos travaux, l’argent des avoirs inactifs ne fait que passer des livres de comptes des banques et des assurances à ceux du Trésor, l’intérêt, c’est le moins que l’on puisse dire, sera réduit pour l’épargnant. C’est pourquoi je souhaite que l’examen de ce texte permette de renforcer cette protection. À défaut, les nombreuses avancées qu’il contient auront un goût amer, et je ne suis pas certain de pouvoir l’accepter. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)