Les interventions en séance

Environnement et développement durable
Françoise Férat, Henri Tandonnet 07/02/2012

«Question orale avec débat sur la lutte contre la prolifération du frelon asiatique»

Mme Françoise Férat

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ne pouvant être présent aujourd’hui parmi nous, notre collègue Henri Tandonnet m’a chargée d’intervenir à sa place et de vous faire part de ses réflexions. Espèce nouvelle pour la faune européenne, vespa velutina nigrithorax, plus communément appelé « frelon asiatique » a été officiellement signalé pour la première fois dans le Lot-et-Garonne en 2005. Il me tient à cœur d’intervenir aujourd’hui sur ce sujet, qui demeure l’objet de vives inquiétudes. Largement répandue dans le sud-ouest de la France dès la fin de l’année 2006, la présence de cette espèce est rapidement devenue problématique dans mon département, puisque ce frelon est une menace. Il est une menace pour l’homme, car sa piqûre peut se révéler extrêmement grave en cas d’allergie, mais il est également une menace pour les ruchers et les abeilles, qui jouent un rôle majeur dans l’écosystème, sans parler, bien sûr, de l’importance économique de l’apiculture. La crainte est d’autant plus présente que le frelon asiatique est une espèce invasive, se multipliant très rapidement. Depuis quelques années, le débat est devenu passionné, ce qui est rarement bon. Il échappe aux scientifiques et prend une tournure irrationnelle. Certains faits, scientifiquement avérés, devraient désormais faire autorité. Malheureusement, les rumeurs les plus folles circulent et la presse se fait l’écho de fantasmes. Le ministère travaille depuis plusieurs semaines à l’inscription de l’insecte au code rural et de la pêche maritime en tant qu’organisme nuisible, ce qui permettra d’engager un plan de lutte collective. Henri Tandonnet tient à souligner qu’il est peu favorable à un tel classement. Pour lui, cette mesure est au mieux inutile, au pire elle risque d’être néfaste. En effet, ce classement pourrait déclencher des campagnes inconsidérées de piégeages et de destructions de nids, campagnes dont on connaît désormais l’impact sur la biodiversité. Les études de l’association Hornet, basée dans le Lot-et-Garonne, mais aussi celles de la Société linnéenne de Bordeaux, effectuées sur plus de soixante pièges posés durant deux mois et relevés chaque semaine, ont montré une absence totale de sélectivité et un rendement inquiétant : moins de 1 % des insectes piégés étaient des frelons asiatiques. Je pense également à la Charente-Maritime, qui a financé cette année les destructions de nids sans contrôle de l’espèce : 1 300 nids ont été détruits dans le département alors qu’on ne compte jamais plus de 400 nids de vespa velutina dans un département très envahi. Il y a donc eu de forts dégâts collatéraux. Cela signifie que d’autres hyménoptères ont souffert de cette campagne, en particulier des dolichovespula, dont on connaît l’utilité dans les écosystèmes, notamment pour la régulation des chenilles. Il est illusoire de laisser croire que l’on parviendra un jour à réguler une population d’insectes, car cela ne serait possible que si l’on était capable de traiter l’ensemble du territoire, zones protégées incluses. La lutte d’apparence, par piégeage ou par destruction de nids, n’a pour seul bénéfice que de donner au public l’impression que l’on fait quelque chose. Au mieux, elle ne sert à rien, au pire elle est nocive, surtout pour le reste de l’entomofaune. Cette opinion est celle de l’ensemble des entomologistes français, mais aussi étrangers puisque la communauté des chercheurs ne connaît pas de frontières. Comme ont pu l’écrire Spradbery en 1973 ou Beggs en 2001, le piégeage des fondatrices n’a aucune influence sur le devenir de leurs populations. Dans tous les pays où l’on a tenté de réguler par piégeage une population d’hyménoptères, par exemple en Nouvelle-Zélande avec la guêpe vespula germanica, c’est l’effet inverse qui a été obtenu. Il est donc probable que toute tentative de réduction d’une population s’accompagne d’une augmentation de la virulence et de la reproductivité des survivants. Par ailleurs, de telles campagnes retarderaient l’installation de la période de stabilisation au cours de laquelle l’invasif atteint son effectif d’équilibre. Dès que cet équilibre est atteint, une régulation naturelle a des chances de se mettre en place, ce qui ne se produit pas tant que l’on combat l’insecte par des moyens toujours dérisoires. Un apiculteur de Gironde qui a pratiqué une année durant le piégeage à grande échelle et qui a capturé des centaines de fondatrices entre février et mai a connu l’année suivante une plus forte pression de prédation devant ses ruches. Henri Tandonnet est convaincu que seuls les scientifiques qui étudient l’insecte trouveront une parade contre lui et un système de protection des ruchers ; au demeurant, ils ne feront jamais disparaître le frelon ni ne parviendront à infléchir son niveau de peuplement. Des études sont en cours au Muséum national d’histoire naturelle et à l’Institut national de la recherche agronomique. Effectuer de simples sondages ou distribuer des questionnaires n’est pas suffisant. Laissons les chercheurs travailler sereinement afin de connaître l’impact réel de ce frelon sur les ruchers grâce à une expérimentation scientifique rigoureuse. C’est un préalable indispensable. Pour conclure, je salue le travail de notre collègue député Philippe Folliot, auteur d’une proposition de loi relative à la lutte contre le frelon asiatique, qui souhaite instituer un vrai cadre juridique autour de cette question. Nous sommes cependant convaincus que le classement de cet insecte en espèce nuisible ne sera efficace que s’il permet aux pouvoirs publics de travailler de concert avec les scientifiques. Le décret prévu dans la proposition de loi afin de préciser les moyens de lutte efficaces pour détruire ces insectes serait d’une très grande importance afin de trouver des dispositifs adaptés à la réalité, les techniques d’extermination étant vaines. Tels sont, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les éléments de réflexion que notre collègue Henri Tandonnet et moi souhaitions porter à votre connaissance.