Les interventions en séance

Affaires sociales
Jean-Marie Vanlerenberghe 06/05/2014

«Proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale »

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été dit, le présent texte est, certes, extrêmement technique, mais il touche aussi au cœur d’une des questions les plus cruciales posées par la construction européenne : comment articuler le marché unique avec l’extraordinaire disparité des législations sociales en vigueur dans les pays membres ? La libre circulation des travailleurs est en effet inhérente au marché unique, avec la libre circulation des biens, des services et des capitaux. Il est donc essentiel de réaffirmer, comme l’a très bien fait notre rapporteur, que le détachement des travailleurs n’est pas synonyme de travail illégal. En revanche, en l’absence d’un cadre législatif européen et national à la fois adapté, cohérent et ferme, cette pratique devient effectivement source d’illégalités, et elle le restera tant que les législations sociales ne seront pas harmonisées. Aujourd’hui, ce cadre est, à l’évidence, insuffisant. Aussi difficiles à établir et approximatifs soient-ils, les chiffres demeurent éloquents : Jean Desessard l’a rappelé, entre 200 000 et 300 000 salariés détachés non déclarés se trouvaient sur le territoire français en 2009 et en 2010, ce qui n’est, bien sûr, pas acceptable. Pour faire face à cette situation, la législation européenne se durcit, mais la nôtre aussi. Nous ne pouvons que nous en féliciter, et le fait que les deux évoluent de conserve est aussi fort appréciable, tout comme il est fort appréciable que, pour une fois, monsieur le ministre, nous ne soyons pas en retard pour transcrire une directive. (M. le ministre opine.) C’est un point sur lequel le Sénat a souvent appelé l’attention du Gouvernement. Je me réjouis aussi de constater que, contre tous les stéréotypes, dans une matière par nature communautaire, la France conserve tout de même une marge de manœuvre juridique, certes étroite et soumise au contrôle de la Commission, mais néanmoins réelle. Ce constat m’amène à parler du fond, en commençant par la fin, c’est-à-dire les dispositions relatives au cabotage, qui vont dans le bon sens. L’article 10, qui tend à supprimer l’obligation faite aux transporteurs de marchandises par route d’avoir une licence communautaire pour faire du cabotage, était attendu des transporteurs routiers français, qui subissaient une concurrence déloyale des véhicules commerciaux de moins de 3,5 tonnes étrangers. De même, on ne peut que soutenir l’article 9, qui a pour objet d’apporter des garanties élémentaires en matière de repos hebdomadaire et de pratiques de rémunération sources de danger. Le texte renforce par ailleurs le droit français contre le travail illégal. Nous ne pouvons que soutenir les dispositions qui obligent maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordre à vérifier que tous les sous-traitants respectent les droits du « noyau dur » garantis par la législation européenne aux travailleurs détachés. Ce texte les contraint aussi à prendre en charge l’hébergement collectif des salariés en cas d’hébergement indigne. Voilà d’excellentes mesures ! Quant à l’extension de la solidarité financière à tous les cocontractants du maître d’ouvrage et du donneur d’ordre, elle est de nature à dissuader un peu plus le travail dissimulé. Mais le cœur du texte est constitué des articles 1er et 2, lesquels transposent les articles 9 et 12 de la directive d’exécution. Sur ces articles, je tiens à saluer le travail de simplification effectué par notre rapporteur, qui a très opportunément découplé la déclaration préalable de détachement et la question de la solidarité financière. En vertu de cette nouvelle rédaction, l’article 1er tend à obliger le prestataire à déclarer préalablement le détachement auprès de l’inspection du travail et le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage, à vérifier que la déclaration a bien été faite. Le non-respect de ces obligations expose à des sanctions administratives. De surcroît, dorénavant, la solidarité financière en cas de non-paiement des salariés, renvoyée à l’article 2, ne distingue plus s’ils sont détachés ou non. Ce dispositif, qui nous apparaît clair, appelle donc l’approbation pleine et entière du groupe UDI-UC. Toutefois, monsieur le ministre, une fois ces règles établies, le problème du détachement est-il réellement traité à sa racine ? Certainement pas, car il trouve sa source dans le fait que le travailleur détaché reste affilié au régime de sécurité sociale de son pays d’origine si le détachement dure moins de deux ans. C’est bien cela qui explique l’explosion du nombre de travailleurs détachés dans notre pays. Les chiffres donnés par notre rapporteur l’attestent : il y avait 22 fois plus de salariés détachés en France en 2012 qu’en 2000 ; c’était l’équivalent de 25 000 équivalents temps plein sur une année. À l’heure où l’objectif du Gouvernement est d’inverser la courbe du chômage, il faut se poser la question suivante : qu’est-ce qui peut bien motiver ces détachements si ce n’est principalement un différentiel de charges sociales, susceptible de faire économiser 20 % à 30 % du montant consacré au versement des salaires ? Compte tenu de cette distorsion, les entreprises françaises sont bien sûr incitées financièrement à sous-traiter un certain nombre de tâches à des travailleurs étrangers détachés. Or le problème n’est absolument pas abordé par ce texte ni par la directive, ce qui nuit à leur efficacité : un peu comme s’ils ne s’attaquaient qu’aux symptômes pour combattre la maladie. À terme, monsieur le ministre, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, il faudra bien harmoniser les droits sociaux des pays membres de l’Union, en particulier les droits liés à la sécurité sociale. C’est d’ailleurs le pari fait par les vrais Européens : enclencher un cercle vertueux qui, via le marché unique, conduira au rattrapage des pays les moins développés, puis à une égalisation par le haut des niveaux de vie et de protection sociale. Ce pari est jugé impossible par certains. Pourtant, il a déjà été gagné avec les pays du sud de l’Europe qui nous ont rejoints dans les années quatre-vingt. Le processus de rattrapage est aujourd’hui à l’œuvre dans presque tous les pays, dirons-nous, de l’est de l’Europe, même si, nous le savons, il sera encore long. Alors, en attendant, une solution de transition est envisageable, et elle figure d’ailleurs dans le programme de l’UDI et du Modem pour les élections européennes. Il s’agit tout simplement de soumettre les travailleurs détachés aux cotisations sociales du pays d’accueil et d’organiser les transferts de droits afférents dans les pays d’origine. Monsieur le ministre, cette solution est-elle à l’étude à l’échelon européen ? La France ne peut-elle pas peser de tout son poids au sein de l’Union pour aboutir le plus rapidement possible à sa mise en œuvre ? Telles sont les deux questions clefs sur lesquelles le groupe UDI-UC attend des réponses. Pour conclure, il ne me reste plus qu’à féliciter Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur, de l’excellence de son travail, et en particulier de son effort de pédagogie sur un texte particulièrement ardu techniquement. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, de l’UMP, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)