Les interventions en séance

Affaires sociales
05/10/2010

«Projet de loi portant réforme des retraites»

M. Nicolas About

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans l’ordre du jour du Parlement, il est peu de sujets qui touchent autant que celui des retraites à l’idée que chacun se fait du travail et du temps libre, à la confiance que les citoyens placent dans l’État, à ce que doivent être la solidarité entre les générations et l’équité entre jeunes et vieux, malades et bien portants, cadres et ouvriers, femmes et hommes. Traiter des retraites, c’est évoquer, bien au-delà des millions d’euros, des annuités et des trimestres, le travail, la vie et la mort. Face à un tel enjeu (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.), la réponse des parlementaires et du Gouvernement doit être à la hauteur. Nul dans cet hémicycle, ni même dans les cortèges de manifestants, ne conteste la nécessité d’une réforme, même ceux qui réclament le retrait de celle-ci. A savoir assurer la pérennité de notre système de retraites par répartition, dont la finalité lors de sa création était – on l’oublie souvent – de permettre au niveau de vie des plus âgés de rejoindre celui des actifs. Or, nous le savons tous, et M. le rapporteur l’a rappelé, notre système de retraite par répartition accuse un déficit important et croissant. Mes chers collègues, vous connaissez les deux données du problème : le déséquilibre des caisses de retraite et les évolutions démographiques. J’aborderai dans un premier temps la question du déficit. Dans un système par répartition, les dépenses du présent doivent être financées par les recettes du présent. Notre système de retraite connaît depuis quelques années un déséquilibre financier, considérablement creusé, depuis 2008, par la crise, qui a accéléré l’augmentation des pertes de nos régimes de retraite et nous a en quelque sorte projetés vingt ans en avant. Le déficit atteint aujourd’hui plus de 30 milliards d’euros, ce qui représente près de 1,6 % du PIB. Le Conseil d’orientation des retraites prévoit même que, si nous ne faisons rien, les montants assez surréalistes de 45 milliards d’euros à l’horizon 2030 et de 100 milliards d’euros en 2050 seront atteints. J’en viens aux évolutions démographiques, le second élément que je souhaite aborder. L’arrivée à la retraite des baby-boomers, qui a déjà commencé et va se poursuivre jusqu’en 2030, dégradera structurellement l’équilibre démographique sur lequel se trouve fondé tout système par répartition. Évidemment, si la nécessité d’assurer la pérennité du régime par répartition fait consensus, les mesures proposées divergent. Il faut distinguer deux temps : l’immédiat et le long terme. Pour ce qui est du court terme, les dispositions de ce projet de loi nous paraissent insuffisantes en matière de financement, ainsi que, pour certains d’entre nous, en termes d’équité. Le Gouvernement a proclamé son ambition de ramener le système à l’équilibre. Les mesures proposées répondent-elles pleinement à cet objectif ? Je l’ignore. Toutefois, ne nous leurrons pas : des demi-mesures ne feraient que ralentir la dégradation des finances sociales, sans la combattre, et nous reporterions sur nos enfants la charge de notre incurie actuelle. « Après moi le déluge » : cette maxime était presque acceptable dans le cadre d’une monarchie, mais les Français sont en droit d’attendre des dirigeants d’une démocratie – et d’une République – le sens des responsabilités et le courage. L’enjeu est tout d’abord d’adapter notre système de retraite, qui demeure fondé sur des équilibres datant des lendemains de la Seconde Guerre mondiale, à la situation économique et démographique actuelle. Nous sommes en effet passés d’une période d’expansion économique et démographique – les Trente Glorieuses – à une ère où l’espérance de vie s’allonge mais où la croissance ralentit. Il n’existe pas de solution miracle. Si nous ne voulons ni baisser le niveau des pensions ni augmenter fortement les impôts de tous les Français, il faut toucher à l’âge de départ en retraite. Quant à agir sur la durée de cotisation, chacun sait qu’il faudrait, pour équilibrer le système par cette seule mesure, porter cette période à 47 ans. Restons sérieux ! Fixer à 62 ans l’âge du départ en retraite et à 67 ans l’âge de l’annulation de la décote est indispensable. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Je comprends bien la révolution mentale que cette réforme implique. Ce n’est pas évident, mais vous y arriverez, chers collègues de l’opposition. C’est surtout difficile pour ceux qui s’accrochent à des acquis datant d’un autre temps et qui restent attachés à d’anciennes conditions de vie et de travail ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Tout à fait, monsieur Fischer ! Pardonnez-moi d’avoir oublié mon écharpe tricolore : je l’ai laissée à la maison ! (Sourires sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Roland Courteau s’exclame également.) Deux idées fausses demeurent ancrées dans de nombreuses têtes : retirer les seniors du marché du travail permettrait de réduire le chômage des jeunes, et le progrès social consisterait à s’arrêter de travailler de plus en plus tôt. C’est d’ailleurs ce même présupposé qui est à l’origine de l’idée selon laquelle le progrès social consisterait à réduire le temps de travail hebdomadaire. N’est-il pas temps, au XXIe siècle, de rompre avec la conception antique du travail comme esclavage ? Aujourd’hui, nous avons la chance merveilleuse de vivre plus longtemps et en bonne santé. Cette bonne nouvelle implique que nous travaillions un peu plus. Quand j’observe ces travées, il me semble que c’est le cas de beaucoup, cher collègue ! (Sourires.) Responsabilité, justice, équité, solidarité : voilà l’esprit des amendements que nous avons déposés. Concernant la pénibilité, il faut manifestement trouver une solution plus satisfaisante que la référence à un taux d’invalidité. C’est pourquoi nous proposons de créer une allocation de retraite anticipée pour des travailleurs qui, sans présenter un taux d’incapacité à proprement parler, ont une espérance de vie diminuée en raison de la pénibilité de leur activité professionnelle. Cette mesure permettrait de tenir compte de la pénibilité à effet différé. Merci de vous associer à la nôtre, cher collègue ! Par ailleurs, la création d’un « fonds de pénibilité », sur le modèle de celui qui existe pour l’amiante, permettrait de financer les départs anticipés liés à une pénibilité non compensée tout au long de la vie du travailleur, entraînant une baisse anormale de son espérance de vie. Ce fonds serait alimenté par les branches professionnelles qui exposent le plus leurs salariés à la pénibilité comme par celles qui ne respectent pas – ou ne parviennent pas à respecter – les directives relatives à la santé au travail. Nous proposons également de faire diminuer en douceur le taux de décote entre 65 ans et 67 ans, de manière à faciliter le départ à la retraite même si le taux plein n’est pas atteint, afin que la réforme n’ait pas un effet couperet. Les dispositions de cet amendement présenteraient aussi l’avantage de répondre au problème des femmes, donc de remédier à l’injustice de cette réforme, qui pénalise, peut-être, ceux qui gagnent le moins. Concernant l’annulation de la décote, nous demandons également l’ouverture de la retraite à taux plein à 65 ans aux assurés ayant eu trois enfants ou plus et ayant interrompu leur activité professionnelle pendant un temps jugé suffisamment long – celui-ci pourrait être défini par décret, et j’ai proposé pour ma part une durée de trois ans –, au titre du congé parental d’éducation, ainsi qu’aux personnes s’étant consacrées, pour une période d’une durée identique, à aider une personne handicapée. Par ailleurs, afin de prendre en compte la situation des femmes, nous souhaitons que les travailleurs effectuant moins de 200 heures de travail par trimestre puissent, sous certaines conditions, valider des trimestres d’assurance vieillesse. Enfin, le principe d’équité impose, pour le moins, que les rentes versées au titre des retraites chapeaux soient soumises aux charges sociales de droit commun. Voilà ce que nous proposons à court terme. Toutefois, le rôle des hommes politiques est aussi de regarder plus loin et de trouver des solutions durables. Le manque d’ambition n’est-il pas la pire des imprudences ? « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », écrivait Corneille. De même, à réformer à trop courte vue, on n’obtient qu’un faible bénéfice politique et on ne règle pas durablement les problèmes. Mes chers collègues, les membres du groupe centriste veulent vous inviter à revoir vos ambitions à la hausse et à mener ces politiques de long terme dont le pays a besoin. Régis Debray écrit justement dans Le Plan vermeil : « La vieillesse en Europe est une idée neuve, et le déclin de l’esprit prospectif dans nos pays a de quoi inquiéter. Quand le long terme disparaît sous l’urgence, le civisme aussi, sous le despotisme douceâtre des bons sentiments. » À l’évidence, ce projet de loi, qui se contente de faire évoluer certains paramètres, comme si l’architecture d’ensemble du système était satisfaisante, et qui s’est fixé pour horizon financier l’année 2020, ne peut constituer qu’une première étape, certes importante, sur le chemin d’une réforme plus globale, ne serait-ce que parce qu’il se fonde sur l’hypothèse d’un retour du taux de chômage à 4,5 % d’ici à 2018, une situation que nous n’avons pas connue depuis plus de trente ans. Il nous faudra donc discuter de nouveau, un jour, de l’équilibre financier du régime des retraites et réfléchir à remplacer le système d’annuités par un régime unique par points ou en comptes notionnels. Ce ne serait pas complètement un saut dans l’inconnu, puisque bon nombre de Français relèvent déjà d’un système de retraite par points à travers les régimes complémentaires. Le système par points est beaucoup plus adapté que les annuités au fonctionnement d’une répartition moderne, et il n’est pas moins solidaire : la valeur du point constitue une variable de commande, qui permet de ne pas distribuer aux retraités plus d’argent que les cotisations des actifs n’en font rentrer dans les caisses, sans avoir à augmenter indéfiniment les cotisations ou à recourir à l’emprunt ; ainsi, le système apparaît constamment équilibré. Les assurés pourraient liquider leurs pensions quand ils le souhaitent, en quelque sorte à la carte, avec des coefficients qui leur feraient peser le pour et le contre. Chacun pourrait retarder la liquidation de sa pension de façon à bénéficier d’un coefficient plus élevé. Ce sera, le jour venu, un système plus juste, plus souple et plus simple, qui assurera une véritable équité entre les générations et rendra justice aux carrières longues. Ce sera aussi un régime unique en lieu et place de la quarantaine que nous connaissons aujourd’hui. Voilà donc une solution novatrice et simple, susceptible de modifier le système en profondeur. Les auteurs du septième rapport du Conseil d’orientation des retraites ont d’ailleurs montré, en janvier 2010, qu’il était possible de passer des annuités aux points. Plusieurs pays l’ont fait, d’ores et déjà : ainsi, l’Allemagne, la Suède et les États-Unis disposent d’un tel système. Chacun le sait : ce projet de loi ne permet pas d’assurer définitivement la pérennité de notre régime de retraites. D’ailleurs, à mon avis, cela n’arrivera jamais, et il est fort à parier que la réforme des retraites figurera au programme des prochaines élections présidentielles ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Claude Bébéar concluait ainsi son ouvrage Le Courage de reformer, en 2002 : « Pour réformer, il faut du courage et de l’adresse. Le courage repose d’abord sur une liberté de pensée, émancipée des modes et des schémas convenus et affranchie de la domination du tout médiatique [...]. De telle sorte que chaque décision politique soit véritablement l’expression de la volonté générale et aille dans le sens de l’intérêt collectif. » Mes chers collègues, la responsabilité de chacun d’entre nous est que cette réforme des retraites soit effectivement courageuse et conforme à l’intérêt général, au bénéfice de tous les Français. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales et M. Gilbert Barbier applaudissent également.)