Les interventions en séance

Affaires sociales
Jean-Marie Vanlerenberghe 05/10/2010

«Projet de loi portant réforme des retraites»

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, réformer notre système de retraite est une nécessité, que personne ne conteste.
De même, nul ne remet en cause l’attachement de notre pays à la répartition. Et l’on ne peut que se féliciter de voir ce principe réaffirmé avec force dans le texte qui nous est soumis.
En revanche, les conditions d’élaboration de cette réforme et certaines de ses modalités de fond sont plus problématiques.
Monsieur le ministre, vous avez pratiqué une large concertation avant de dévoiler votre plan, mais vous n’avez pas souhaité négocier avec les partenaires sociaux.
C’est un choix ! Aujourd’hui, il appartient donc au Parlement de faire entendre sa voix, conformément à son droit constitutionnel consistant à faire la loi. Laissez-le exercer pleinement celui-ci.
Lors des travaux de la commission des affaires sociales, le débat fut tronqué, nous dit-on, par les pressions qui furent alors exercées.
C’est l’honneur et la raison d’être même du Parlement qui sont en cause ! Si aucune marge de négociation ne lui est permise sur un texte aussi emblématique, aussi consubstantiel au pacte social que l’est cette réforme des retraites, alors il ne sert plus à rien !
L’heure est d’autant plus à la négociation que nous l’abordons, pour notre part, avec modération et réalisme, dans un souci de médiation entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.
Ce que nous disons est simple : seul le retour à l’équilibre entre cotisations et pensions garantira la pérennité de la répartition, un retour non seulement nécessaire, mais aussi possible.
Pour ce faire, des ajustements paramétriques d’urgence sont sans doute indispensables.
Le déséquilibre actuel a des causes structurelles bien connues, notamment démographiques, du fait de l’augmentation de l’espérance de vie.
Des mesures d’âge s’imposaient donc et nous sommes favorables au passage progressif du départ à 62 ans, accompagné de dispositions pour les carrières longues, comme c’est le cas.
Pour un retour à l’équilibre en 2018, ces mesures d’âge représenteraient les deux tiers du financement de la réforme, le Gouvernement misant, pour constituer le dernier tiers, sur des mesures de convergence entre le public et le privé, sur une série de recettes fiscales et sur le retour de la croissance.
La CADES assurerait la gestion de la dette accumulée sur la période 2011-2018, grâce aux actifs du Fonds de réserve pour les retraites et à des ressources nouvelles, principalement assises sur les assurances.
Or de sérieuses réserves ont pu être émises sur la solidité de ce plan.
Les ressources nouvelles affectées à la CADES seraient insuffisamment dynamiques et pérennes.
De plus, à titre personnel, je doute que le déplacement de la seconde borne d’âge de 65 à 67 ans rapporte autant qu’annoncé. J’y reviendrai.
La principale critique adressée à ce plan est qu’il se fonde sur le scénario intermédiaire du COR, en vertu duquel le taux de chômage tomberait à 4,5 % en huit ans, alors qu’il n’est jamais passé sous la barre des 7 % depuis 1983...
Autant de raisons de craindre que le compte n’y soit pas.
C’est pourquoi nous pensons que cette réforme n’est qu’une étape vers l’équilibre. Cela fait quatre fois que les retraites sont réformées en France en trente ans. Le problème me paraît trop grave pour que l’on continue à ce rythme.
Nous ne ferons pas l’économie, à moyen terme, d’une réforme structurelle, « systémique », pour reprendre une expression en vogue. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Vous le savez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mon groupe réclame depuis 2003 le remplacement de l’annuité par le point ou les comptes notionnels. Une telle réforme est le seul moyen de réaliser l’égalité des Français devant la retraite, par un système simple qui résoudrait nombre des difficultés rencontrées actuellement. Elle permet aussi une prise en charge beaucoup plus transparente des dépenses de solidarité.
Telles sont, d’ailleurs, les conclusions de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, présentées dans le rapport de M. Dominique Leclerc, aujourd’hui rapporteur, et de Mme Christiane Demontès.
Il nous appartient d’y réfléchir dès maintenant et de fixer, dès aujourd’hui, un nouvel horizon. C’est ce que nous vous proposerons.
Mais si le retour à l’équilibre est la condition de la justice intergénérationnelle, il faut veiller à réduire, voire à supprimer les injustices inhérentes au système actuel et à ne pas en créer de nouvelles.
Notre sentiment est que, du point de vue de la solidarité et de la justice sociale, le texte qui nous est soumis est grandement perfectible.
Cela m’amène à la question du déplacement de la seconde borne d’âge, l’annulation de la décote à 67 ans plutôt qu’à 65 ans. Ce déplacement va lourdement pénaliser un grand nombre d’assurés qui, déjà à l’heure actuelle, ne peuvent espérer que de très petites retraites.
Au premier rang d’entre eux, se trouvent les femmes dont les carrières ont été hachées par la maternité. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
C’est pourquoi cette mesure n’est pas conforme à l’idée que je me fais de la justice sociale.
Elle l’est d’autant moins qu’elle ne me semble pas rapporter autant que l’on veut bien le dire. Nous autres, parlementaires, ne disposons évidemment pas des mêmes moyens que vous, au Gouvernement, mais, monsieur le ministre, avec mon crayon et ma calculette, je n’arrive pas du tout au chiffre initialement annoncé de 6 milliards d’euros.
Pourrait-on avoir un éclairage sur ce point d’importance, vous en conviendrez ? Si cette mesure est inéquitable et si elle ne se justifie pas même sur le plan comptable, alors il faut immédiatement revenir dessus.
À tout le moins serait-il nécessaire de repousser à 2029 le passage à 65 ans, comme en Allemagne, pays souvent pris comme référence, et de conserver la borne des 65 ans pour un certain nombre de publics défavorisés, tels que les parents ayant interrompu leur activité au titre du congé parental d’éducation, les aidants familiaux ou les personnes en situation de handicap.
Nous devons et nous pouvons également progresser en matière de pénibilité.
Il est vrai que le texte fait déjà un pas en avant considérable en prévoyant la prise compte de la pénibilité à effet immédiat. Nous ne pouvons que saluer le dispositif prévu au profit des travailleurs atteints d’une incapacité d’au moins 10 %. Mais c’est encore très insuffisant.
Un travailleur peut avoir exercé dans des conditions pénibles affectant son espérance de vie sans que ces facteurs se traduisent, au moment du départ à la retraite, par une incapacité physique immédiatement mesurable, comme on l’a vu à propos de l’amiante.
C’est pourquoi il faut également prendre en compte la pénibilité à effet différé. Je vous proposerai des amendements dans ce sens.
Ces amendements sont, d’ailleurs, nécessaires à la à la cohérence du projet ! En effet, tant que l’on ne prend pas en compte la pénibilité à effet différé dans l’âge d’ouverture des droits à pension, la réforme de la santé au travail n’a rien à faire dans ce texte et demeure un pur cavalier ! (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)
De même, sans dispositif de départ anticipé pour pénibilité à effet différé, on ne voit pas bien ce que l’article 27 ter A, qui aménage les conditions de travail en fonction du même critère, vient faire ici !
Il est deux autres questions sur lesquelles nous demandons au Gouvernement d’avancer, en marge du texte qui nous est soumis.
La première est celle des polypensionnés. Nous mesurons bien l’ampleur des difficultés techniques ici soulevées, mais il s’agit d’un élément essentiel de justice sociale qui concerne quatre assurés sur dix. Là encore, beaucoup doit être attendu du régime par points.
La seconde question que j’aimerais soulever est celle des carrières longues. Le Gouvernement s’est déjà engagé à élargir le dispositif aux assurés ayant commencé à travailler à 18 ans révolus. Mais alors, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout, en l’ouvrant aussi aux assurés ayant commencé à travailler à 20 ans ? Tout effet de seuil serait ainsi annihilé et le dispositif serait bouclé.
Je salue l’excellence du travail des rapporteurs Dominique Leclerc et Jean-Jacques Jégou et je livre toutes ces observations à votre réflexion, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout en espérant que l’esprit qui animera nos débats sera celui du partenariat constructif. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc des commissions.)