Les interventions en séance

Affaires sociales
François Zocchetto 05/07/2011

«Projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2011»

M. François Zocchetto, Président du Groupe Union Centriste

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le jugement que je porterai, au nom du groupe de l’Union centriste, sur le présent projet de loi sera contrasté. Si, d’un côté, nous ne pouvons que saluer le signal positif envoyé en termes de maîtrise des finances publiques, de l’autre, nous demeurons assez réservés au sujet de la principale mesure envisagée : la fameuse prime de 1 000 euros, qui ne porte pas si bien son nom. Tout d’abord, la nature de ce texte n’est pas anodine. En effet il n’est pas insignifiant que, pour la première fois depuis la création, en 1996, des lois de financement de la sécurité sociale, notre assemblée soit saisie d’un projet de loi de financement rectificative. Ce texte anticipe ce que sera l’état de notre droit positif après l’adoption de la loi constitutionnelle relative à l’équilibre des finances publiques, en tout cas dans la version que le Sénat a votée en première lecture le 15 juin dernier et dont nous serons de nouveau saisis la semaine prochaine. On le sait, une des principales dispositions de ce texte vise à conférer aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale le monopole de la création, de la modification et de la suppression des recettes fiscales et sociales. La même logique inspire le présent projet de loi, très important puisqu’il marque une première. L’instauration du monopole fiscal est le résultat d’une véritable prise de conscience du caractère désormais intolérable de la dérive de nos comptes sociaux. Il manifeste une réelle volonté politique d’y mettre un terme. Cette volonté ne nous semble pas platonique et elle commence à porter ses fruits, comme le montre ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Alain Vasselle, l’a rappelé tout à l’heure, ce projet de loi entérine une évolution positive des comptes sociaux. Alors que le déficit du régime général devait s’élever à 20,9 milliards d’euros, il pourrait se limiter – si j’ose dire – à 19,3 milliards d’euros ; nous enregistrerions donc une amélioration du solde de 1,6 milliard d’euros. Même si cela est bien, nous devons nous garder de tout triomphalisme. Car si cette embellie est réelle, son montant, chacun en a bien conscience, est très insuffisant par rapport aux efforts nécessaires pour crédibiliser l’objectif d’assainissement fixé par la loi de programmation des finances publiques pour la période 2011–2014. Par ailleurs, l’examen de la structure de l’amélioration comptable conduit à relativiser son ampleur. En effet, seuls 600 millions d’euros proviendraient d’une baisse des dépenses. Autrement dit, l’effort structurel de redressement ne représenterait qu’un peu plus du tiers de l’amélioration globale ; le reste serait imputable à un simple rebond conjoncturel, assurément bienvenu mais dont nous ne sommes pas à l’origine. De même que la crise avait vertigineusement plongé le système dans le rouge, de même le redémarrage de la croissance engendrerait 600 millions d’euros de recettes supplémentaires en 2011. Les derniers 400 millions d’euros de redressement, toujours à l’actif du volet recettes, seraient directement liés au dispositif de partage de la valeur ajoutée que le présent projet de loi met en place ; telle est même sa raison d’être. Or c’est sur cette question, centrale, que nous émettons certaines réserves. De quoi, au juste, s’agit-il ? Il est proposé de créer, pour les entreprises de plus de cinquante salariés, le mécanisme que M. le ministre a décrit tout à l’heure. Mais quels en seraient les bénéficiaires, et pour quel montant ? Compte tenu du périmètre retenu, à savoir les entreprises de plus de cinquante salariés dont les dividendes ont augmenté par rapport aux dividendes moyens versés au cours des deux exercices précédents, seuls 4 millions de salariés – dans le meilleur des cas – seraient concernés, et percevraient en moyenne 700 euros, le montant total des primes versées s’élevant à 2,8 milliards d’euros. Toutefois, je le sais, la finalité poursuivie est moins celle d’une distribution de pouvoir d’achat qu’un objectif d’équité. Reste que les chiffres sont ceux-ci : 4 millions de salariés pour un montant moyen de prime de 700 euros. La France comptant une trentaine de millions d’actifs et 23 millions de salariés, la mesure – il est préférable de le dire clairement aujourd’hui – concernera seulement un salarié sur six. De même, il faut indiquer le montant moyen de la prime : 700 euros plutôt que 1 000 euros. Là encore, ne créons pas d’illusions qui deviendraient dans les prochaines semaines des désillusions. Mais le plus grave est ailleurs. La principale critique qu’il est possible d’adresser à ce dispositif a été mentionnée par le rapporteur général lui-même. Elle porte sur la substitution potentielle, voire probable, de la prime aux revalorisations salariales. Il existe à cet égard un risque majeur, qui n’a pas échappé aux rédacteurs du projet de loi. Celui-ci prévoit en effet que « cette prime ne peut se substituer à des augmentations de rémunération prévues par la convention ou l’accord de branche, un accord salarial antérieur ou le contrat de travail. Elle ne peut non plus se substituer à aucun des éléments de rémunération […] ». Mais comment s’assurer que ces dispositions ne seront pas seulement déclaratives ? J’espère que M. le ministre apportera une réponse à cette question précise. Celle-ci se pose d’autant plus que, à l’évidence, les entreprises auront intérêt, sur le plan fiscal comme social, à accorder sous la forme d’une prime ce que, dans un contexte différent, elles auraient distribué sous la forme de salaires. Malgré le forfait social, il sera toujours plus intéressant pour un employeur de débourser un euro sous la forme d’une prime que de débourser le même euro sous la forme d’un salaire. Comment éviter cela ? Comment prévenir de tels arbitrages rationnels de la part des chefs d’entreprise ? Monsieur le ministre, si vous avez une réponse à cette question, nous serons ravis de l’entendre. Mais s’il y avait éviction, substitution, effet d’aubaine, effet de vases communicants – peu importe le nom que vous donnerez à ce phénomène –, cela mettrait à bas tout l’édifice projeté. En pareil cas, en effet, les salariés ne gagneraient rien. Autrement dit, ils perdraient sur le plan de la protection sociale ce qu’ils ne gagneraient pas en termes de pouvoir d’achat. De surcroît, comme Alain Vasselle l’a bien signalé tout à l’heure, l’effet de la mesure pourrait être calamiteux pour les finances publiques, le budget de l’État subissant une perte de recettes au titre de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés. Par ailleurs, la mesure affecterait aussi lourdement les finances sociales, la perte de cotisations sociales excéderait les gains tirés du forfait social et des impôts sociaux assis sur la prime. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous apporterez des réponses précises aux questions que nous vous avons posées. J’espère qu’en nous rassurant, elles nous permettront de lever nos réserves. Vous avez compris qu’à cet instant du débat il faut nous aider à le faire. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur plusieurs travées de l’UMP. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)