Les interventions en séance

Economie et finances
Hervé Marseille 04/02/2014

«Proposition de loi visant à reconquérir l՚économie réelle »

M. Hervé Marseille

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le présent texte a une très forte dimension politique et anachronique. Politique, parce que, chacun le sait, son objet est de concrétiser un engagement de campagne de celui qui est devenu Président de la République. Cette proposition de loi visant à reconquérir l’économie dite réelle est en réalité la proposition de loi « Florange », elle-même sœur cadette d’un texte déposé le 28 février 2012 par des députés socialistes, en pleine affaire Arcelor-Mittal. Anachronique, car cette proposition a été exhumée d’un autre temps politique : celui qui précédait le revirement social-libéral du Président de la République. D’où le malaise, compréhensible, de certains de ses promoteurs. D’où, surtout, le fait que le texte soit resté une proposition de loi. Peinant à assumer la responsabilité d’une proposition relevant d’options en décalage avec ses nouvelles orientations, on comprend que l’exécutif ait eu à cœur de la faire endosser par sa majorité parlementaire. Le 30 avril dernier a donc été déposée à l’Assemblée nationale la proposition de loi visant à « redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel ». Tel était l’intitulé initial de ce texte. L’Assemblée nationale a ensuite enrichi le contenu du texte avant sa transmission au Sénat. Si nous avons, dans un premier temps, adopté 35 amendements en commission des affaires sociales, lesquels visaient essentiellement à sécuriser le texte et à rendre opérationnelles certaines de ses dispositions, nous avons, je tiens à le dire cet après-midi, refusé d’en adopter deux : ceux qui visaient à supprimer les articles 5 et 8 du texte. Pourquoi ? L’article 5 prévoit l’application automatique du droit de vote double dans les assemblées générales d’actionnaires des sociétés cotées pour les actions détenues au nominatif depuis deux ans. Selon vous, chers collègues de la commission des lois, cet article n’était pas justifié. Pour nous, membres de la commission des affaires sociales, le renforcement de l’actionnariat à long terme, second grand objectif de ce texte, je le rappelle, repose essentiellement sur l’instauration par principe du droit de vote double, car les conséquences de cet article sont de deux ordres. D’une part, en conférant un avantage aux actionnaires qui ne mettent pas en œuvre une stratégie de court terme, dont l’impact sur l’emploi et les territoires est souvent dramatique, cet article vise explicitement à promouvoir un actionnariat stable de longue durée dans les sociétés cotées. D’autre part, cet article permettra à l’État actionnaire de vendre certaines participations tout en conservant le même niveau de contrôle. Il s’agit là d’une conséquence indirecte du dispositif, mais dont les bénéfices pour l’État pourraient être à moyen et à long terme considérables, selon l’Agence des participations de l’État. Pour améliorer le dispositif, nous avons instauré une clause de rendez-vous périodique pour les assemblées générales des sociétés cotées ayant refusé de mettre en place le droit de vote double, afin qu’elles abordent cette question au moins une fois tous les deux ans. L’article 8 renverse la logique actuelle en matière de neutralité des organes de gouvernance en cas d’OPA. Il autorise le conseil d’administration et le directoire, après autorisation du conseil de surveillance, à prendre de leur propre initiative, sans autorisation préalable de l’assemblée générale, toute décision dont la mise en œuvre est susceptible de faire échouer une offre, tout en permettant la réintroduction du principe de neutralité, sous conditions, dans les statuts d’une société cotée. Lorsque la France a, en 2006, transposé la directive OPA, elle a fait le choix le plus libéral qui soit en ne permettant pas ainsi au conseil d’administration d’organiser la défense de l’entreprise face à une OPA hostile, contrairement au choix effectué par les pays du Benelux et par d’autres de l’Union européenne, comme l’Allemagne. L’article 8 inverse donc le choix fait à l’époque par la France. Preuve, finalement, que nous savons nous retrouver : je salue le bon sens de nos quatre commissions, qui ont décidé de supprimer l’article 9 de la proposition de loi. Cet article prévoyait de renforcer les règles d’urbanisme afin de protéger les anciens îlots industriels de plus de deux mille mètres carrés. Il rendait obligatoire la prise en compte des implantations industrielles existantes dans le projet d’aménagement et de développement durables. Chers collègues, le projet de loi ALUR, qui a été adopté au Sénat vendredi dernier, serait entré en contradiction avec la présente proposition de loi si nous avions adopté cet article 9. Il introduisait, nous le savons, des lourdeurs excessives qui allaient à rebours de la volonté du Gouvernement et de sa majorité de desserrer les contraintes en matière d’urbanisme. Je souhaite enfin attirer votre attention sur l’amendement n°8 de notre collègue Marie-Noëlle Lienemann que nous allons examiner. Il vise à introduire un droit de préférence, à offre équivalente, au profit des salariés pour la reprise de leur entreprise. Il sera très intéressant de connaître l’avis du Gouvernement sur ce point. Mes chers collègues, nous voici donc prêts à examiner cette proposition de loi équilibrée, qui privilégie la voie de la dissuasion par rapport à celle de la sanction, même si elle n’y renonce pas. Je conclurai, monsieur le ministre, mes chers collègues, en appelant chacun de vous à prendre ses responsabilités sur ce texte, qui est pour nous l’occasion non seulement de réfléchir à la conception que nous avons de ce que doit être la politique industrielle de notre pays, mais également de discourir sur la méthode. Celle que nous appelons de nos vœux, c’est celle de la responsabilité et du dialogue, celle de l’intelligence partagée.