Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Jacqueline Gourault 03/07/2014

«Projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral »

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis sa création en 2009, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation – je remercie d’ailleurs Jean-Jacques Hyest d’avoir souligné son rôle –, sous des présidences diverses, mes prédécesseurs étant MM. Alain Lambert et Claude Belot, a réalisé un travail constructif sur le fond, avec des propositions détaillées et concrètes, une « boîte à outils » permettant au Sénat de trouver des pistes de rénovation de la vie publique locale, toujours dans un esprit d’innovation et de prospective et dans un climat où les appartenances politiques sont, à mon sens, moins perceptibles que les volontés très réformatrices de la grande majorité de ses membres. Ces trois dernières années, plusieurs dizaines de rapports ont été réalisés avec le souci constant de nourrir les débats parlementaires. D’ailleurs, un rapport de synthèse, qu’Edmond Hervé et moi-même avions rédigé, rendant compte d’un certain nombre de propositions sur l’organisation et les compétences des collectivités territoriales, a été publié en 2013. À la lecture de ces rapports de la délégation, auxquels il faut ajouter ceux qui y sont extérieurs – monsieur le ministre, je ne remonterai pas au rapport de M. Balladur puisque vous faisiez partie du comité du même nom mais il y a eu plus récemment les rapports Raffarin-Krattinger et Lambert-Malvy, par exemple –, je suis frappée, comme l’a d’ailleurs déjà dit Jean-Jacques Hyest, par la permanence de certaines propositions. Je vais citer quelques-unes de ces idées – non par ordre d’importance, je le précise, afin d’éviter que ne s’élèvent peut-être certaines voix. Se retrouvent ainsi en permanence dans tous les rapports : le renforcement du rôle des régions ainsi que la proposition de leur redécoupage ; l’achèvement et l’évolution de l’intercommunalité ; la clarification des compétences entre l’État et les collectivités et entre les collectivités elles-mêmes ; l’organisation des territoires urbains ; la nécessaire réorganisation des départements liée au succès et à l’évolution de l’intercommunalité ; les communes nouvelles ; la reconnaissance de la diversité des territoires dans l’unité de la République ; la nécessité d’une réforme des ressources fiscales liée à la réforme des compétences. Je me permets de souligner que certaines de ces propositions figurent déjà dans la loi. L’achèvement et l’évolution de l’intercommunalité, c’est la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010. L’organisation des territoires urbains – les métropoles –, c’est la réforme des collectivités territoriales de 2010 plus la loi MAPAM, qui a complété et organisé le dispositif. Les communes nouvelles, c’est encore la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 qui en a posé le principe ; il existe même une proposition de loi du président de l’Association des maires de France, Jacques Pélissard, visant à l’alimenter encore. Je pourrais continuer, mais, vous le voyez bien, il y a une construction progressive de la réforme qui correspond à la nécessaire adaptation d’une société et de territoires qui évoluent. Tous les historiens, les démographes, les géographes de diverses écoles et universités que nous avons reçus nous ont montré la même chose : la période dans laquelle nous vivons avec internet, avec des populations qui se déplacent sans cesse entre leur travail – quand elles en ont un –, leur lieu de résidence, de loisirs, est celle d’un monde ouvert et interdépendant ; nous ne pouvons plus rester sur une vision largement héritée de la Révolution, voire encore plus ancienne : communes, départements, État. Les choses ont changé ! Je rappelle aussi que nous vivons dans un pays en crise économique et que nous devons tous être solidaires si nous voulons favoriser le redressement de notre pays. Tout cela m’amène à penser – je sais que nous sommes nombreux à partager cette pensée – que la réforme est absolument nécessaire. Mais quelle méthode devons-nous adopter ? Nous avons réfléchi et tenu compte des réactions de ceux qui nous ont dit que nous aurions dû commencer par les compétences, les moyens et les cadres ne venant qu’après.
Je suis tout à fait d’accord, car c’est exactement ce que j’ai dit en 2009 et en 2010.
Je rappellerai à ceux qui auraient la mémoire courte que, au moment de la réforme de la taxe professionnelle, les ressources des collectivités territoriales ont été réparties entre le bloc communal, le département et la région, si ce n’est à la manière de marchands de tapis,...
tout au moins sans avoir aucunement clarifié la question des compétences. J’avais dénoncé le procédé à l’époque, tout comme mon collègue Jean-Léonce Dupont, qui siège sur les mêmes travées que moi. Il m’est donc d’autant plus facile de le dénoncer aujourd’hui.
Si nous avions pu connaître les compétences, puis les moyens fiscaux et les cadres, cela aurait été beaucoup mieux.
Je suis d’accord avec vous, et ce n’est pas la première fois qu’on se trouve dans cette situation.
Le Gouvernement nous propose une carte des régions qui ne satisfait pas tout le monde, moi la première. Comment peut-on faire une bonne carte ? Quels sont les critères d’appréciation pour définir la bonne taille et la cohérence des régions ?
Comme Jean-Jacques Hyest, je pense que la taille n’a aucune importance. Je crois plutôt à la dynamique territoriale, à l’identité, au bassin de vie, à l’histoire, aux déplacements. Certains ont dit que cette carte avait été dessinée sur un coin de table. Je ne sais si la table était ronde, ovale ou carrée mais, en tout cas, elle devait être un peu bancale, car il y a vraiment des régions qui me surprennent. C’est la raison pour laquelle, le rapporteur l’a dit, nous avons, en commission spéciale, présenté des amendements visant à créer une autre carte. Au-delà de la méthode que je viens de définir, je veux dire une vérité que peu de gens osent exprimer : vouloir faire passer une telle réforme à un moment où la moitié des sièges de sénateurs sont renouvelables n’est peut-être pas totalement judicieux.
Certains de nos collègues sont stressés, voire angoissés par le renouvellement, ce qui ne les incite pas à être des réformateurs à tous crins. Après les élections sénatoriales, cela aurait été peut-être plus facile.
Je suis de ceux qui pensent, en dépit de mes propos précédents, que le Sénat doit imprimer sa marque à la discussion législative. C’est la raison pour laquelle j’ai voté contre la motion référendaire. Le rôle de représentant des collectivités territoriales qu’attribue l’article 24 de la Constitution au Sénat rendrait incompréhensible son retrait du débat.
Le Gouvernement nous assure qu’il y aura deux lectures de ce texte. Pour autant, décidons dès maintenant : ce qui aura été fait en première lecture ne sera plus à faire ! D’ailleurs, même si la commission spéciale n’a pas adopté de texte, Jean-Jacques Hyest a presque tenu le même raisonnement.
Si l’on peut adopter en première lecture une autre carte, j’en serais très heureuse, car, encore une fois, l’expérience parlementaire montre que ce qui est fait est fait. Discuter signifie non pas signer un chèque en blanc, mais légiférer – c’est la raison pour laquelle nous avons été élus –, qu’on soit pour, qu’on soit contre ou qu’on s’abstienne, en toute connaissance de cause. Mes chers collègues, malgré ses imperfections, en dépit de la méthode utilisée, qui n’est pas satisfaisante, ce texte existe. J’aime beaucoup mes camarades députés, mais je préfère que le Sénat leur remette une feuille de route plutôt qu’une feuille blanche. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)