Les interventions en séance

Economie et finances
Hervé Maurey 03/06/2014

«Proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence-CMP »

M. Hervé Maurey

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, lors de l’examen des présentes conclusions de la commission mixte paritaire par l’Assemblée nationale, le rapporteur a déclaré que la proposition de loi « apport[ait] une réponse complète et je dirai définitive au problème des avoirs financiers en déshérence et à l’objectif essentiel de protection des droits des épargnants ». Vous me permettrez d’être plus réservé, plus mesuré et plus prudent. Oui, comme je l’ai indiqué en première lecture, ce texte comporte des avancées significatives, que je ne peux que saluer : il apporte des solutions concrètes au problème des avoirs inactifs, entendus désormais au sens large ; il définit enfin les comptes inactifs et couvre un panel de produits divers, des contrats collectifs aux assurances décès, sans oublier le contenu des coffres-forts, les comptes bancaires, les bons et les contrats de capitalisation. Sur l’initiative de notre assemblée, les frais de gestion ont été plafonnés, ce qui mettra un terme à une pratique condamnée avec raison par la Cour des comptes. La proposition de loi prévoit également une garantie de revalorisation post mortem des contrats, dès le décès et à un taux minimal fixé par décret, ce qui est tout à fait positif. De même, elle met un terme à la pratique scandaleuse de certains professionnels, qui réclament toujours de nouvelles pièces ou des pièces identiques pour retarder le règlement des contrats. Par ailleurs, grâce à la mise à la disposition des professionnels du FICOBA et du FICOVIE dans le cadre du règlement des successions, on peut espérer prévenir la constitution de nouveaux stocks, ce qui est également un motif de satisfaction. Enfin, la proposition de loi améliore très sensiblement la transparence sur le phénomène des assurances vie non réclamées ; elle permettra d’en mesurer enfin l’ampleur et les évolutions, ce qui est un progrès essentiel. Ce souci de transparence était un aspect primordial de ma proposition de loi, adoptée à l’unanimité par le Sénat le 29 avril 2010 et reprise dans la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, mais de manière tout à fait insuffisante sur ce point. Cette transparence permettra de mieux appréhender le phénomène. Je rappelle que, en 2009, les assureurs et le Gouvernement évoquaient un montant de 1 milliard d’euros quand certains professionnels avançaient celui de 5 milliards d’euros. Ces derniers avaient, semble-t-il, raison, puisqu’une enquête récente de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, évoque 4,6 milliards d’euros pour les seules assurances vie ! Ce texte prévoit une réelle transparence sur les stocks, avec la publication annuelle par les professionnels d’un rapport remis à l’ACPR et au ministre. Je m’en félicite. La transparence sur les flux étant également indispensable, je me réjouis que mes amendements aient été adoptés par notre assemblée et retenus par la commission mixte paritaire. Ces dispositions permettront de mesurer chaque année les efforts engagés par les professionnels pour résorber ce phénomène et quantifier les résultats obtenus. Tous les amendements que nous avions adoptés n’ont cependant pas connu le même succès, et je le regrette. Ainsi, nous avions, sur ma proposition, décidé d’améliorer quelque peu le dispositif d’information des titulaires de comptes inactifs ou de contrats d’assurance vie en l’étendant, dans certains cas, aux ayants droit et en prévoyant qu’elle se ferait, dans d’autres, par voie de courrier recommandé. La commission mixte paritaire n’a retenu cette obligation que pour l’article 12 et non pour la procédure de droit commun. Je persiste à penser que c’est au moment même où l’on identifie un compte comme inactif qu’il faut un effort particulier d’information, car, plus les années passent, plus les chances de retrouver le titulaire ou les ayants droit sont hypothéquées. Elles le sont d’autant plus, et c’est en cela que cette proposition de loi ne peut pleinement me satisfaire, que vous avez refusé, monsieur le ministre, que soit clairement affirmée dans ce texte l’obligation de recherche des titulaires de comptes inactifs. Tout au long de nos débats, mes propositions et celles de mes collègues visant à renforcer les obligations de recherche des titulaires et des ayants droit ont été rejetées. C’est, hélas, particulièrement probant en ce qui concerne le dispositif transitoire de l’article 12, qui permet aux assureurs, pour reprendre les termes de M. le rapporteur, de « sortir par le haut d’une situation qu’ils ont […] contribué à créer ». En clair, ils échapperont aux sanctions pécuniaires auxquelles ils étaient exposés du fait du peu de bonne volonté mise en œuvre pour retrouver les bénéficiaires des contrats non réclamés. Ils profiteront en quelque sorte d’une amnistie et n’auront aucune obligation de recherche sur les stocks non réclamés, si ce n’est celle d’effectuer le transfert. La volonté de privilégier le transfert à la Caisse des dépôts et consignations et à l’État pour renflouer les caisses désespérément vides de ce dernier l’a emporté sur la défense des intérêts des épargnants. C’est là la ligne de fracture entre la majorité des membres de cette assemblée et moi-même. Je le regrette d’autant plus que, jusqu’à présent, dans tous les textes, en 2005, 2007 et 2010, le Sénat avait été particulièrement soucieux de la défense des épargnants. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, au vu de ces regrets, vous comprendrez aisément que ma satisfaction soit plus mesurée que celle que vous avez tous deux exprimée. Pour travailler depuis plus de cinq ans sur ce sujet, je sais que la protection des épargnants n’admet pas de réponse « définitive », pour reprendre le terme du rapporteur de la commission mixte paritaire à l’Assemblée nationale. Au vu des lacunes de ce texte, je suis conscient que nous devrons poursuivre ce long cheminement engagé depuis près de dix ans. Les difficultés rencontrées lors de l’élaboration des différentes propositions de loi et lors de l’examen du présent texte me laissent à penser que les résistances des professionnels du secteur ne sont pas levées. Il conviendra donc, et vous pouvez compter sur moi, d’être très vigilant sur l’application de cette loi. Ce texte renforce certes le contrôle de l’ACPR, qui semble, enfin, prendre la mesure de ses missions, si j’en crois la récente condamnation d’une compagnie d’assurance à 10 millions d’euros d’amende, mais, je le répète, nous devons quant à nous rester extrêmement vigilants. J’attends d’ailleurs déjà avec impatience le rapport prévu par l’article 12. J’espère qu’il sera un véritable outil de contrôle et non pas, comme nous avons parfois pu l’observer, notamment en cette matière, un satisfecit sur deux pages recto verso. Je compte également sur vous, monsieur le ministre, pour que les décrets d’application soient vite adoptés. Ainsi, les dispositions les plus protectrices de ce texte, celles qui constituent des avancées fondamentales pour la protection des épargnants, pourront être appliquées dans les meilleurs délais. Je n’oublierai pas non plus les engagements que vous avez pris ici le 7 mai dernier pour que ces décrets apportent une réponse efficace au problème, que j’avais évoqué, des NPAI, c’est-à-dire des courriers retournés à l’expéditeur avec la mention « N’habite pas à l’adresse indiquée ». Il est important de veiller à ce que les professionnels engagent des recherches dès qu’ils s’aperçoivent qu’ils ne disposent pas ou plus de contact avec les titulaires des comptes, car plus les recherches sont précoces, plus elles sont efficaces. Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, mon enthousiasme est mesuré, car j’aurais aimé un texte plus protecteur des épargnants. Je sais la nécessité d’avancer pas à pas dans ce domaine, comme je l’ai rappelé le 7 mai dernier. Je voterai donc avec une très grande vigilance cette proposition de loi et vous donne rendez-vous pour poursuivre ce combat, dont ce texte ne constitue qu’une étape supplémentaire et certainement pas l’aboutissement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)