Les interventions en séance

Police, gendarmerie et sécurité
Vincent Capo-Canellas 03/04/2013

«Proposition de loi visant à renforcer la protection pénale des forces de sécurité et l’usage des armes à feu»

M. Vincent Capo-Canellas

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi de nos collègues du groupe UMP est liée à plusieurs événements tragiques qui ont suscité des réactions vives et légitimes des forces de police et qui ont ému l’opinion publique. Nous avons tous en mémoire les événements d’avril 2012 à Noisy-le-Sec, quand le parquet de Bobigny mettait en examen, pour homicide volontaire, un policier après le décès d’un homme, délinquant multirécidiviste, recherché pour vols à main armé et alors qu’il pointait son arme sur un autre policier. Cette décision judiciaire avait provoqué une profonde et légitime émotion parmi les policiers et des réactions dans la classe politique, à l’origine de cette proposition de loi. Il n’est pas nécessaire de multiplier les exemples tragiques et les cas où les forces de l’ordre ont été victimes d’actes violents ou mortels. Nos collègues Louis Nègre et Pierre Charon les ont rappelés il y a quelques instants. L’objectif de cette proposition de loi est de mieux assurer la protection des policiers et des gendarmes dans l’exercice de leurs missions. Cet objectif, nous le partageons. Nous sommes naturellement aux côtés des forces de l’ordre, qui payent un lourd tribut chaque année. En 2012, ce sont ainsi plus de 11 000 policiers et gendarmes qui ont été blessés dans l’exercice de leur fonction de maintien de l’ordre public. Assurer la sécurité de tous est une mission noble et nous n’oublions pas que policiers et gendarmes la remplissent au péril de leur vie. Nous mesurons aussi l’extrême difficulté de leurs missions : sous le regard des médias et de l’opinion, il leur faut en quelques fractions de secondes prendre la bonne décision, assurer la sécurité de tous et la leur également, sans prendre le risque de commettre une faute pénale. On sait aussi que lorsque le délinquant n’a pu être mis hors d’état de nuire chacun se tourne vers la police et s’interroge sur les raisons de cette situation. Nos forces de l’ordre travaillent au quotidien dans un contexte très tendu. Elles le font avec un grand professionnalisme, que je veux saluer. La question de ce matin est la suivante : faut-il modifier la loi applicable en matière d’usage des armes à feu pour les policiers ? Nous répondons oui. Une seconde question lui fait alors suite : l’approche proposée à travers cette proposition de loi est-elle suffisante ? Là, je n’en suis pas sûr. Et poser cette question, c’est aller dans le sens de l’intérêt des policiers. Comme l’a expliqué Mme la rapporteur, la proposition de loi de nos collègues soulève un certain nombre de difficultés juridiques et pratiques. L’instauration d’une présomption de légitime défense apparaît en effet, à l’examen, comme problématique. D’ailleurs, le rapporteur UMP du texte similaire qu’avait examiné l’Assemblée nationale, Guillaume Larrivé, l’a lui-même montré. Cette disposition ne répondrait pas aux difficultés actuelles et pourrait se retourner contre les policiers. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement de suppression de l’article 2 de la présente proposition de loi afin d’abroger la présomption de légitime défense pour les agents de la police nationale, qui est une mauvaise réponse à une vraie question. Je ne développe pas plus ce point puisque cela a déjà été évoqué par Mme la rapporteur, mais je précise que le texte examiné à l’Assemblée nationale ne comportait pas un article similaire à cet article 2. (M. le ministre opine.) Quant à l’article 1er de la proposition de loi, il vise à donner aux policiers l’autorisation de faire usage de leur arme lorsqu’ils sont menacés, à l’exemple de ce qui existe pour les gendarmes. Il s’agit d’améliorer l’efficacité de leur action et de faciliter la conduite des opérations communes entre la police nationale et la gendarmerie sur le terrain. Contrairement aux gendarmes, qui peuvent le faire après des sommations verbales et dans des conditions limitatives précisément énoncées à l’article L. 2338–3 du code de la défense, les policiers ne sont autorisés à faire usage de leur arme à feu qu’en réponse à une agression de même nature, dans le strict cadre de la légitime défense. J’ai déposé un amendement visant à réécrire cet article 1er afin de répondre aux difficultés juridiques et pratiques posées par le dispositif présenté par MM. Nègre et Charon. Cet amendement, qui reprend la rédaction proposée par le rapporteur de l’Assemblée nationale, vise à préciser juridiquement la transposition du dispositif existant pour les gendarmes en le rendant applicable aux forces de police. Surtout, il intègre la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme en précisant que l’usage des armes par les forces de l’ordre est conditionné par une « absolue nécessité ». Dans mon esprit, apporter cette précision, ce n’est pas affaiblir le dispositif ; bien au contraire, c’est lui donner plus de force. L’encadrer, le préciser, c’est donner plus de force au cadre juridique dans lequel les policiers pourraient agir. Le rapprochement des deux forces de sécurité intérieure – police nationale et gendarmerie – est engagé depuis la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale. Certes, les gendarmes sont des militaires et leur statut est régi par le code de la défense, mais les deux corps des forces de sécurité relèvent du ministère de l’intérieur, coopèrent et assurent des missions de plus en plus semblables. Il est donc bien légitime que les policiers s’interrogent et posent la question : « Comment comprendre qu’aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de faire usage de leurs armes à feu, les policiers et les gendarmes ne soient pas soumis aux mêmes règles ? » Transposer le texte applicable aux gendarmes serait donc une tentation logique.   Mais cette doctrine d’emploi des armes par les gendarmes est encadrée par les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, qui conditionnent le déploiement de la force armée par « l’absolue nécessité » de l’usage de l’arme pour atteindre l’objectif. C’est cette jurisprudence que nous réaffirmons en proposant de l’intégrer, par voie d’amendement, dans le texte de cette proposition de loi. Mieux vaut un droit clair et bien encadré. Cette rédaction améliore sensiblement, je le crois, ce texte. Nous verrons au cours de son examen si elle suffit à apporter une solution juridique adaptée à un vrai problème. On peut imaginer d’autres voies complémentaires. Au-delà, il faut en effet s’interroger avec prudence sur le texte applicable aux gendarmes, ce à quoi nous conduit, de façon quelque peu paradoxale, cette proposition de loi. Les règles auxquelles sont soumis les gendarmes ne devraient-elles pas intégrer elles aussi la jurisprudence qui s’applique déjà à eux en pratique ? De fait, les gendarmes l’ont assimilée et savent bien que la justice apprécie leur attitude selon les principes de la proportionnalité et de l’absolue nécessité. Il faut ici convenir que la première rédaction, issue d’un décret, du texte applicable aux gendarmes date de 1903 ! Nous ne l’écririons sans doute pas ainsi aujourd’hui. Une voie serait donc de poser le problème de fond et d’aboutir à une doctrine d’emploi de la force armée commune aux policiers et aux gendarmes, selon les principes de 2013 et non pas ceux de 1903. On m’objectera que la doctrine appliquée aux gendarmes est liée à leur statut militaire. Je mesure bien que la voie suggérée peut paraître périlleuse ; mieux vaut sans doute la considérer avec beaucoup de prudence et dans un contexte dépassionné, ce qui n’est pas forcément le cas depuis bien longtemps pour tout ce qui touche à ces sujets. Nous ne devons bien évidemment pas affaiblir la situation des gendarmes. C’est, me direz-vous, la quadrature du cercle. Je pose néanmoins une question : en cas de contrôle de sécurité sur route, par exemple, les gendarmes tirent-ils si un individu franchit le contrôle sans les menacer ? À l’évidence, ils ont à l’esprit la jurisprudence et doivent proportionner l’usage des armes à la situation rencontrée. C’est l’honneur des policiers et des gendarmes d’agir ainsi et c’est tout leur professionnalisme, c’est toute la difficulté de leur mission, dont ils s’acquittent avec force et talent. La mission Guyomar proposait de réfléchir et de codifier les conditions jurisprudentielles d’un usage légal des armes à feu pour l’ensemble des forces de l’ordre. C’est sans doute moins simple et moins lisible que la posture adoptée par les auteurs de la proposition de loi, mais c’est, me semble-t-il, plus opérationnel pour les forces de l’ordre. Au demeurant, s’il était fait usage d’une arme à feu dans un contexte inapproprié et dans le cadre du texte qui nous est soumis ce matin, je crains que le résultat ne soit de dresser l’opinion contre les policiers eux-mêmes. En toute hypothèse, cette modification de l’usage des armes à feu par les policiers nécessite, quoi qu’il en soit, de renforcer leur formation à l’usage de celles-ci, notamment en augmentant les entraînements au tir, comme le réclament les organisations professionnelles de policiers. Mieux former et mieux équiper les policiers et les gendarmes est en effet un élément essentiel de leur protection et de leur sécurisation dans l’exercice des missions de sécurité. Au total, ces questions méritent une analyse juridique et opérationnelle plus poussée. En l’état, le groupe UDI-UC s’abstiendra donc. Enfin, avant de conclure, je tiens à relayer une demande très forte des policiers et des gendarmes qui est de réformer la protection juridique dont ils font l’objet. Sur ce point, M. le ministre a fait part d’éléments rassurants et je ne peux que l’inviter à poursuivre dans cette voie et à donner aux policiers des garanties sur leur protection. Amplifier les efforts dans ce domaine serait un signe fort de confiance à l’égard de nos forces de l’ordre. (MM. Joël Bourdin et René Garrec applaudissent.)