Les interventions en séance

Défense
Jean-Marie Bockel 02/07/2013

«Projet de loi portant application du protocole additionnel à l՚accord entre la France, la Communauté européenne de l՚énergie atomique et l՚Agence internationale de l՚énergie atomique relatif à l՚application de garanties en France»

M. Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, depuis plus d’un demi-siècle, la société internationale cherche à encadrer le risque particulier que les armes nucléaires entraînent par nature. Durant ce demi-siècle, ce risque a profondément changé. Le danger ne réside plus dans une escalade militaire désordonnée et disproportionnée entre des États rivaux, avec pour seul mot d’ordre la « destruction mutuelle assurée » – pour reprendre une expression qui fait froid dans le dos ! Pourtant, comme l’histoire nous l’a prouvé à plusieurs reprises, la menace n’a pas disparu, même si le désarmement fait progressivement son œuvre ; elle a simplement changé de forme : le risque contemporain du nucléaire militaire, c’est d’abord le risque de prolifération. L’armement nucléaire demeure, aujourd’hui encore, un outil de sanctuarisation des territoires, de prestige et de leadership politique ; il est officiellement réservé aux membres du Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi qu’à quelques autres États. En dépit de sa faible portée opérationnelle, si l’on peut dire, au regard des dégâts irréparables provoqués par sa mise en œuvre, le feu nucléaire demeure un objectif cardinal pour de très nombreux États, qui n’ont de cesse de chercher à en maîtriser le processus de développement. Les cas iranien et nord-coréen nous le rappellent régulièrement ; mais combien d’autres États cherchent aussi les moyens de se doter de l’arme nucléaire ? Le problème se complique dès lors qu’entre en jeu le nucléaire civil. La question de la prolifération se pose alors en ces termes : comment aider un État à se développer sur le plan économique grâce à l’énergie nucléaire civile, s’il peut ensuite la détourner pour développer un programme d’armement militaire ? En d’autres termes, il s’agit de savoir comment assurer la coexistence des deux piliers essentiels d’un régime de contrôle des armements : la lutte contre la prolifération et la coopération internationale. Ce dilemme se pose à toutes les puissances nucléaires, y compris, bien évidemment, à la France ; il comporte aussi des enjeux économiques qu’il ne faut pas sous-estimer. Notre position de puissance nucléaire civile et militaire nous expose à notre propre responsabilité quant aux outils que nous avons à notre disposition pour lutter contre la prolifération. Fort heureusement, comme tous les orateurs précédents l’ont souligné, l’ordre juridique international ne laisse pas les puissances nucléaires seules face à leurs responsabilités morales, politiques et historiques. Il prévoit un régime de lutte contre la prolifération dont le Traité de non-prolifération est la clef de voûte et l’Agence internationale de l’énergie atomique la cheville ouvrière. Pourtant, du fait même de la transformation du risque nucléaire, il est périodiquement nécessaire de compléter le TNP par des protocoles permettant aux États d’adapter leurs moyens d’action aux nouveaux visages de la prolifération. Ce régime de lutte contre la prolifération a connu des succès manifestes. Alors qu’en 1960 le président Kennedy prévoyait qu’il y aurait près d’une vingtaine de puissances nucléaires en 1970, elles ne sont aujourd’hui que huit ! De fait, de nombreux pays ont abandonné leur programme nucléaire ; je pense notamment au Brésil et à l’Argentine, sans oublier l’Afrique du sud qui a démantelé l’ensemble de ses installations après la fin de l’apartheid. Sans doute ces succès étaient-ils symptomatiques d’une confiance renouvelée dans la sécurité collective et dans la volonté unanime de maintenir la paix dans un contexte de sortie de la guerre froide. Or il me semble que nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’un deuxième âge nucléaire, dans lequel certains États à la marge – je ne dis pas marginaux – entretiennent des relations avec des groupes terroristes ou autres. D’aucuns vont même jusqu’à évoquer la possibilité d’un détournement de matière fissile par des acteurs non étatiques ; on peut imaginer tous les scénarios catastrophes car, souvent, la réalité dépasse la fiction. Un tel phénomène laisse craindre le pire ; il impose aux États dotés de l’arme nucléaire et aux États dotés d’un programme nucléaire civil de faire preuve d’une attention renouvelée. Le protocole dont ce projet de loi vise à assurer le respect par la France complète le mécanisme de garanties internationales prévu par l’accord avec l’ex-Euratom et l’AIEA et mis en œuvre dans le cadre du traité de non-prolifération de 1968. Comme Mme la ministre, M. le président de la commission et les autres orateurs l’ont déjà signalé, il cible en premier lieu les États non dotés de l’arme nucléaire, afin qu’ils ne détournent pas les matériaux à usage civil à des fins militaires ; il impose notamment la transmission à l’AIEA de renseignements supplémentaires et prévoit un élargissement du champ des contrôles, ainsi que du droit d’accès des inspecteurs de l’AIEA aux installations. Ce dernier aspect me paraît spécialement important, compte tenu de ce qui s’est passé ces dernières années dans certains pays : de fait, le rôle des inspecteurs a souvent été au cœur d’interprétations polémiques, certains États cherchant à le restreindre. Le diable étant toujours dans les détails, fixer de manière plus précise et plus prescriptive le rôle des inspecteurs marquera assurément un progrès. En particulier, ils pourront procéder à des contrôles à tous les stades du cycle nucléaire ; cette mesure qui est un « plus » vient combler un vide juridique correspondant au cas dans lequel un État s’oppose à une vérification ou à une inspection. Une entreprise, pas plus qu’un chercheur, ne saurait se livrer à des activités clandestines ou manquer de surveillance et de vigilance sans craindre d’être rappelée à l’ordre et sanctionnée par le juge judiciaire. À ce stade, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer à mon tour le travail accompli par notre collègue Robert del Picchia – remarquable travail d’amélioration du texte – et par notre commission, monsieur le président Carrère, qui a permis de préciser la rédaction de ce projet de loi sans en dénaturer l’esprit. Je ne doute pas que ce texte sera utile dans la préparation de la prochaine révision du traité de non-prolifération, qui aura lieu en 2015, et que Mme Demessine a évoquée il y a quelques instants. Madame le ministre, mes chers collègues, c’est seulement en permettant à l’AIEA de devenir un véritable gardien du nucléaire civil en même temps qu’une véritable police de la prolifération que nous parviendrons à dépasser le conflit lancinant entre les puissances nucléaires et celles qui cherchent à développer leurs programmes civils ; c’est la condition de toute politique partagée et assumée de réduction du nucléaire militaire dans le monde. Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC accorde un soutien plein et entier au projet de loi dans sa rédaction issue des travaux de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Alain Dufaut applaudit également.)