Les interventions en séance

Outre-mer
02/04/2013

«Proposition de loi tendant à proroger jusqu’au 31 décembre 2013 le régime social du bonus exceptionnel outre-mer»

M. Joël Guerriau

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’indique son probable nouvel intitulé, la présente proposition de loi vise à proroger le régime social du bonus exceptionnel outre-mer. Autant le dire tout de suite : pour nous, ce texte est problématique tant sur la forme que sur le fond. Sur le plan formel, il manifeste la totale désorganisation du Gouvernement, si ce n’est son mépris du Parlement. En effet, pourquoi nous retrouvons-nous aujourd’hui saisis de ce texte, et dans de telles conditions ? Revenons aux origines de la mesure. Cela a été rappelé, elle date de la loi pour le développement économique des outre-mer du 27 mai 2009, dite « LODEOM », dont l’article 3 permettait aux employeurs, dans certaines conditions, d’octroyer à leurs salariés un bonus exceptionnel mensuel exonéré de toute cotisation ou contribution sociale hors CSG, CRDS et forfait social. Il s’agissait de répondre temporairement aux troubles sociaux qui agitèrent les collectivités ultramarines cette année-là. Prévu initialement pour une durée de trois ans, ce dispositif a été prorogé pour un an lors de l’adoption de la loi de finances pour 2012. Rebelote l’année suivante : nos collègues du groupe CRC déposent un amendement pour de nouveau proroger le dispositif. Mais là, cela ne passe pas, le Gouvernement n’en veut plus. Il est vrai que l’amendement de nos collègues tendait à prolonger le dispositif de deux années et non d’un an. Or, si le Gouvernement l’avait voulu, l’amendement aurait pu être sous-amendé. En l’occurrence, ce fut une véritable fin de non-recevoir. Deux semaines plus tard seulement, il se produit un soudain revirement de situation et de jurisprudence : à l’occasion de la Restitution nationale des conférences économiques et sociales des outre-mer, le 10 décembre 2012, le Premier ministre annonce la prorogation du dispositif jusqu’au 31 décembre 2013. Mais voilà, l’examen du projet de loi de finances est achevé, et il faut donc trouver un autre véhicule législatif. N’importe lequel fera l’affaire. Au mépris des règles constitutionnelles les plus élémentaires, la prorogation est adoptée dans le cadre du projet de loi portant création du contrat de génération ; le précédent orateur l’a rappelé. Quel rapport, me direz-vous, y a-t-il entre le bonus pour les salariés outre-mer et le contrat de génération ? Aucun, bien entendu ! Monsieur le ministre, il s’agissait d’un magnifique cavalier. Lors de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant création du contrat de génération, notre collègue de l’UDI-UC Hervé Marseille avait d’ailleurs joué les Cassandre en vous souhaitant que le texte ne soit pas soumis au Conseil constitutionnel. Malheureusement, ce qui devait arriver arriva. Par leur décision du 28 février 2013, les Sages ont fait ce qu’ils ne pouvaient que faire : ils ont invalidé la disposition relative au bonus pour les salariés outre-mer. Or voici qu’elle nous revient sous la forme de propositions de loi. Vous reconnaîtrez qu’il y a eu quelques cafouillages ! Cette fois, nous examinons un magnifique modèle de texte téléguidé. De qui se moque-t-on ? Cette méthode est d’autant plus inadmissible que, sur le fond, maintenant, ce texte témoigne d’une absence totale de vision pour l’outre-mer. (Mme Christiane Demontès s’exclame.) À l’issue de la conférence du 10 décembre 2012, il fallait bien proposer quelque chose pour répondre au malaise ultramarin. Faute de politique, tout ce que vous avez trouvé, c’est la prorogation d’une mesure temporaire prise en 2009 dans l’urgence d’une situation économique et sociale explosive par un gouvernement, celui de M. Fillon, que vous avez combattu avec acharnement. L’argument invoqué est que la prorogation de la mesure serait nécessaire pour, selon le rapport de Michel Vergoz, « passer du provisoire au transitoire » et assurer une sortie « en sifflet » du dispositif afin d’éviter tout arrêt brutal de l’aide. Je ne comprends pas le sens de cette mesure. Que le bonus prenne fin aujourd’hui ou dans un an, l’arrêt sera tout aussi brutal. Aucune « sortie en sifflet » n’est prévue, ou alors expliquez-moi ce que j’ai mal compris… Pourquoi de telles affirmations ? Parce que le bonus exceptionnel est censé être relayé par de nouvelles mesures. Lesquelles ? Il s’agit tout d’abord, d’après ce que vous dites, ou du moins d’après ce que l’on peut comprendre, du bouclier qualité-prix prévu à l’article 15 de la loi relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer. Ce bouclier vient d’entrer en vigueur et vise à encadrer les prix d’une centaine de produits de première nécessité. Il s’agit en outre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. En écoutant notre collègue Aline Archimbaud, j’ai compris que ces deux mesures porteraient leurs fruits dans un an, ce qui expliquerait qu’il ne soit plus nécessaire de proroger le bonus exceptionnel. Cependant, il me semble qu’aucune de ces mesures n’est de nature à répondre aux maux structurels dont souffrent les collectivités ultramarines. Le bouclier ne modifie en rien la manière dont se forment les prix dans les îles, et le CICE n’est qu’une baisse de charges moins intéressante que le bonus, puisqu’elle est indirecte et a un effet différé. Le problème de fond, c’est que l’on ne fait rien pour sortir de l’économie de comptoir. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Faute de débouchés, faute d’intégration régionale, faute d’adaptations législatives et réglementaires suffisantes, les territoires d’outre-mer se sont enfoncés dans une économie administrée. La mécanique et les dérives du système sont connues : d’un côté, le système productif, contraint par un carcan centenaire, produit trop peu pour assurer des revenus décents ; de l’autre, les sur-rémunérations des fonctionnaires ont engendré des distorsions entre fonctionnaires et non-fonctionnaires, bien sûr, mais aussi au sein de la fonction publique, dans la mesure où on surcharge les catégories C pour limiter le gonflement de la masse des traitements, ce qui aboutit à un manque endémique d’encadrement. Cette situation ne peut plus durer. À sa manière, maladroite et évidemment non pérenne, le bonus exceptionnel tentait d’y remédier : puisque les rémunérations salariales sont trop basses, on va les augmenter. On ne peut s’opposer au principe de mieux rémunérer des salariés insuffisamment payés, mais c’est évidemment prendre le problème par le petit bout de la lorgnette. Tant que nous n’aurons pas réuni les conditions d’une meilleure insertion régionale, pris à bras-le-corps la question des normes qui engendrent des différentiels de compétitivité désastreux pour les économies des territoires d’outre-mer, et revu dans le même temps la question des sur-rémunérations qui brident le développement du secteur productif en le rendant peu attractif, il n’y aura pas de solution aux problèmes que prétend traiter cette proposition de loi de circonstance. Nous regrettons donc que ce texte nous soit présenté aujourd’hui, pour des raisons tant de forme que de fond. En effet, il ne résoudra pas les difficultés et ne réduira pas les inégalités criantes dont souffre l’outre-mer. Cependant, afin de ne pas aggraver le problème des bas salaires, nous ne voterons pas contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)