Les interventions en séance

Droit et réglementations
Jacqueline Gourault 02/03/2011

«Projet de loi relatif à l’élection de députés par les Français établis hors de France, et proposition de loi portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique « Le Paquet électoral »»

Mme Jacqueline Gourault

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le « paquet électoral » que nous examinons aujourd’hui est une nouvelle étape de la modernisation de la vie politique française. Qu’il s’agisse du régime des inéligibilités, du renforcement de la transparence financière, de la rénovation en profondeur du système des sanctions applicables en droit électoral, de la réforme du code électoral, de l’abaissement à vingt-quatre ans de l’âge d’éligibilité aux élections sénatoriales et de l’application de la législation relative aux comptes de campagnes aux candidats aux élections sénatoriales, ces textes permettront une meilleure lisibilité du droit électoral. Certes, leur importance n’est pas capitale, comme vient de le dire M. Gélard, mais le diable se niche toujours dans les détails, et c’est pourquoi je formulerai trois remarques. La première concerne l’habilitation à légiférer par ordonnance. Tout d’abord, je me félicite de l’adoption par la commission des lois de plusieurs amendements de son rapporteur visant à ce que le Gouvernement soit tenu dans son habilitation à légiférer par ordonnance à le faire à droit existant. Le pouvoir réglementaire sera donc uniquement habilité à « codifier » « à droit constant » les dispositions figurant dans des textes non intégrés au code électoral. Ces dispositions me semblent primordiales, l’habilitation du Gouvernement à modifier le code électoral ne pouvant avoir lieu qu’à droit constant. Ma deuxième remarque porte sur la représentation directe des Français établis hors de France à l’Assemblée nationale. Le projet de loi que nous examinons tend à ratifier une ordonnance technique permettant la mise en œuvre d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour l’élection des futurs députés représentant les Français de l’étranger. M. Gélard, soulignant la complexité de ce système, a souhaité bon courage aux futurs candidats. Ce faisant, il anticipait mon propos sur une position que je défends avec constance : pourquoi ne pas avoir opté pour un scrutin proportionnel ou, à tout le moins, instillé une dose de proportionnelle ? Un tel mode de scrutin pour l’élection des députés représentant les Français établis hors de France aurait permis de répondre aux difficultés posées par l’ampleur du territoire et d’assurer la représentation de tous les courants. C’est une nouvelle occasion manquée de favoriser le pluralisme ! (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.) Ma troisième remarque concerne la création d’un nouveau cas de suppléance pour les députés et les sénateurs.
Inséré par l’Assemblée nationale en séance publique à la suite de l’adoption d’un amendement de M. Bernard Roman, député du Nord, l’article 4 bis du projet de loi organique prévoit que le député élu, en cours de mandat, au Sénat ou au Parlement européen est remplacé définitivement par son suppléant. Estimant que les conditions dans lesquelles un suppléant peut être amené à remplacer un député étaient excessivement restrictives, les auteurs de l’amendement ont fait valoir que l’impossibilité d’organiser une élection législative partielle moins d’un an avant le prochain renouvellement de l’Assemblée nationale – et la vacance du siège qui en résulte – pouvait priver de représentation, pendant plusieurs mois, les citoyens de la circonscription dont le député est originaire.
La commission des lois a approuvé cette modification et adopté un amendement de son rapporteur afin de mettre en place un système similaire, et donc une réciprocité, pour les membres de la Haute Assemblée : ainsi, les suppléants ou les suivants de liste de nos collègues appelés, en cours de mandat, à siéger à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen pourront-ils prendre leur place jusqu’à la fin du mandat initial. J’attire votre attention toute particulière sur cet article 4 bis qui, si je comprends bien les préoccupations qui ont amené à son adoption, me choque pour deux raisons. La première raison est juridique : le mandat de député est incompatible avec celui de sénateur, comme vous le savez tous. Par exemple, en cas d’élection au Sénat, la perte du mandat de député est immédiate et automatique. Selon moi, cette déchéance du mandat de député est applicable aussi bien au titulaire qu’à son suppléant puisqu’il s’agit de la même élection. Les dispositions de l’article 4 bis sont donc contraires à celles du code électoral en vigueur fixant l’incompatibilité des mandats de député et de sénateur. Une raison supplémentaire m’invite à la prudence concernant cet article : si un député exerçant des fonctions ministérielles se faisait élire au Sénat, cet article 4 bis permettrait à un suppléant de siéger dans chaque assemblée, à la place du titulaire ! Ce serait vraiment incroyable ! De plus, le remplacement par le suppléant siégeant à l’Assemblée nationale deviendrait définitif, ce qui serait inconstitutionnel, puisque le caractère temporaire de la suppléance est prévu par la révision constitutionnelle de 2008. En effet, l’article 25 de la Constitution fixe les conditions de remplacement « temporaire » en cas d’acceptation par des députés ou des sénateurs de fonctions gouvernementales. Voilà pour l’argumentation juridique. J’ajouterai une argumentation politique et morale. Il convient de faire attention à ce que j’appellerai « le double effet Kiss Cool ». En effet, vous êtes élu sénateur ou député et, profitant de cette situation, vous vous faites élire dans l’autre assemblée en maintenant un suppléant : cela augure une représentativité parlementaire un peu particulière et un renouvellement certainement limité. Je vois se profiler des situations où des députés perdant leur circonscription du fait du redécoupage électoral viendront siéger au Sénat, où d’autres pourront installer leur dauphin en se faisant élire dans l’autre assemblée. Franchement, mes chers collègues, comment pourrions-nous justifier cette mesure, que ce soit sur le plan constitutionnel, moral ou politique, à un moment où nos citoyens souffrent déjà d’un manque de confiance dans le personnel politique ? À force de créer des systèmes fermés, ce sont toujours les mêmes qui siègent dans les assemblées. C’est un point qui mérite une attention toute particulière. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)