Les interventions en séance

Budget
01/12/2011

«Projet de loi de finances pour 2012 - Mission « Enseignement scolaire » »

M. Jean-Jacques Pignard

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il existe deux façons de lire ce budget : avec les yeux d’un membre du Gouvernement ou avec le regard d’un parlementaire et d’un élu local, à la lumière de ce que nous vivons dans nos communes, au contact de nos concitoyens. Monsieur le ministre, vous n’échappez d’ailleurs pas à cette double contradiction puisque vous êtes aussi élu local. Commençons par votre lecture en tant que membre du Gouvernement. Vous avez raison de rappeler que, aujourd’hui, le budget de l’éducation est le premier budget de l’État, ce qui, on l’oublie trop souvent, n’a pas toujours été le cas, loin s’en faut, dans la longue histoire de nos républiques. On peut faire au Gouvernement tous les reproches possibles, mais on ne peut nier que, en cette période de crise, l’éducation reste sa priorité ou, tout au moins, qu’elle occupe le premier rang de sa hiérarchie budgétaire. Nous avons également notre lecture, nous autres parlementaires et élus locaux, nourrie non seulement par la remontée du terrain, par les doléances des familles, des enseignants, parfois des jeunes, mais aussi par les questions que posent certaines enquêtes internationales quant à l’efficacité de notre système, pour ne plus dire notre modèle. Il y a donc deux lectures contradictoires, dont l’une ne saurait être tout à fait vraie et l’autre tout à fait fausse. On a beau tourner le problème dans tous les sens, on en revient toujours à la question des moyens, d’autant que les défis auxquels vous devez faire face dépassent de loin le cadre de vos attributions ministérielles. Aujourd’hui, on ne vous demande plus seulement d’être le ministre de l’instruction publique, comme c’était le cas sous la IIIe République, on vous demande également d’être le ministre de l’intérieur, tant il est vrai que la sécurité au sein et aux abords des établissements scolaires alimente l’angoisse des familles. On vous demande d’être le ministre de l’aménagement rural, tant il est vrai que les élus tiennent avec raison à leur école. On peut certes fantasmer sur le village du siècle dernier, avec son maire, son instituteur, son curé, son garde champêtre et son médecin ; nous sommes en 2011, et il est vain de pleurer sur les curés et les médecins disparus. Tâchons au moins de conserver nos maires et nos instituteurs ! On vous demande d’être le ministre de la ville, tant la précarisation et la ghettoïsation de nos banlieues compliquent le rôle d’ascenseur social que joue l’école. On vous demande d’être le ministre de la famille, tant elle a abdiqué les responsabilités qui étaient les siennes depuis l’aube des temps. On vous demande d’être le ministre de la culture, tant les enseignements artistiques peinent à se frayer un chemin dans des programmations pléthoriques. Je pourrais poursuivre indéfiniment cette liste, puisque tous les secteurs ou presque de notre vie publique sont concernés. Bref, l’éducation nationale étant au carrefour de toutes les contradictions et lacunes de notre société, celui qui en a la charge, à défaut d’être le Premier ministre, pourrait bien être le premier des ministres, ce qui justifie sans doute le fait que lui soit confié le premier budget de l’État. Mais ce qui est vrai du ministre au sommet de la pyramide l’est également de l’enseignant à sa base, sinon davantage encore, surtout lorsqu’il s’agit de jeunes professeurs des écoles, souvent inexpérimentés, à qui l’on demande certes d’être enseignant mais aussi, parfois, assistante sociale, policier, artiste, spécialiste des nouvelles technologies ; à qui l’on demande souvent, surtout chez les petits, de remplacer le père ou la mère défaillants. Oui, dans cette école primaire où tout se joue dès le plus jeune âge, l’enseignant d’aujourd’hui ne doit pas se contenter d’inculquer les fondamentaux du savoir, il doit également soigner les fondamentaux du cœur, gronder ou consoler, mais ne pas gronder trop fort ni consoler trop près, afin d’échapper aux suspicions de violences faites à mineur ou de pédophilie. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Chers collègues, je songe à certains cas que j’ai rencontrés dans ma commune. Ce faisant, je ne sais pas si le métier d’enseignant est encore le plus beau métier du monde, mais il est à coup sûr devenu le plus complexe. C’est pourquoi nous en revenons encore et toujours à la question des moyens : comment faire plus alors que les contraintes financières nationales et internationales nous enjoignent de faire moins ? À budget constant de l’État, faut-il augmenter le nombre des fonctionnaires de l’éducation nationale ? Au détriment de quel domaine ? De la justice ? De la sécurité ? De la santé ? Peut-on créer des milliers de postes supplémentaires sans porter atteinte aux autres secteurs et tout en réduisant les déficits ? Nous le savons bien, ces questions seront au cœur des débats électoraux du printemps ; nous n’y répondrons pas ce soir au Sénat. Mais nous sommes peut-être tous d’accord sur un point : s’agissant de l’éducation – j’ai tenu un autre discours, la semaine dernière, au sujet des musées nationaux – la RGPP atteint ses limites. Nous avons suffisamment dégraissé le mammouth : aujourd’hui, nous avons atteint l’os ! Monsieur le ministre, je prends volontiers acte du fait que, à plusieurs reprises, vos interventions ont mis l’accent sur deux points : la formation et la revalorisation des carrières enseignantes. Dans le premier domaine, je salue les efforts que vous avez accomplis ; dans le second, je les déplore. Concernant la revalorisation, il est vrai que les dernières mesures que vous avez annoncées vont dans le bon sens, notamment s’agissant des nouveaux enseignants. Il faut poursuivre dans cette voie, car à la complexité croissante du métier répond l’exigence d’une meilleure rémunération. En revanche, vous savez que, sur le plan de la formation, je suis bien plus sceptique. (M. Alain Néri s’exclame.) Je tiens à préciser que je n’ai jamais été un ardent défenseur des IUFM, de leur pédagogisme confus, de leur sociologisme prétentieux et de leur dogmatisme présomptueux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Mes chers collègues, vous aurez compris que je n’ai guère d’affinités avec M. Philippe Meirieu, étant rhodanien moi-même, et je crois que M. Gérard Collomb en a encore moins ! À mon sens, l’IUFM ne constitue pas la solution. Je regrette d’ailleurs que l’université, avec la mastérisation, ait hérité du référentiel bondissant et reste dans la même logique : celle de propos abstraits et abscons, alors même qu’un jeune enseignant a besoin d’être formé sur le terrain, accompagné pas à pas par un véritable professionnel, en suivant de véritables stages. Nous n’avons pas d’autre choix que d’innover et d’inventer : peut-être ces innovations et ces inventions pourront-elles concrétiser des suggestions a priori décoiffantes. Mon collègue et ami Yves Pozzo di Borgo, qui connaît bien l’éducation nationale pour en avoir été inspecteur général, proposera de mettre un terme à cette aberration des heures supplémentaires, auxquelles plusieurs orateurs ont fait maintes allusions, tout en prolongeant de deux heures le temps réglementaire et en l’annualisant, quitte à réduire ces grandes vacances qui n’ont peut-être plus aujourd’hui leur raison d’être. Les enseignants sont prêts à accepter ces propositions, dès lors que sera satisfaite la double exigence que je viens de mentionner : la qualité de leur formation et l’augmentation de leur rémunération. La dureté des temps ne nous laisse d’autre choix que celui de l’innovation. Pour conclure, monsieur le ministre, j’ai parfaitement conscience que ce budget ne répond pas à toutes nos attentes, loin s’en faut, et que vous avez été contraint de l’élaborer dans des conditions particulièrement difficiles sur le plan tant national qu’international, compte tenu du poids de la crise. Vous avez évité le pire, permettez-moi de l’affirmer. Je ne me reconnais évidemment pas dans certaines critiques excessives de l’opposition, qui fait mine d’ignorer les difficultés de l’heure, comme l’environnement international dans lequel nous vivons. Je déplore plus encore les propos outranciers de certains leaders de cette opposition, qui vous ont charitablement qualifié de cancre. À mes yeux, vous n’êtes pas un cancre ; vous êtes aujourd’hui chargé de résoudre la quadrature du cercle, et cette tâche est tout sauf aisée ! Le groupe de l’Union centriste et républicaine votera les crédits de cette mission, en reconnaissant qu’il y a peut-être en vous quelque chose qui évoque parfois le désarroi de l’élève Törless. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)