Les interventions en séance

Droit et réglementations
01/02/2011

«Projet de loi organique relatif au Défenseur des droits»

M. Jean-Paul Amoudry

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avec le projet de loi organique qui nous est soumis aujourd’hui, nous franchissons une étape supplémentaire dans la mise en œuvre des nouvelles réformes issues de la dernière révision constitutionnelle. Ce texte, en effet, rassemble quelques-unes des dispositions législatives d’application de la révision de 2008 non encore adoptées par le Parlement. Je me félicite, d’ailleurs, que le Gouvernement ait enfin déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale les deux derniers textes d’application de cette révision : celui qui est relatif au référendum d’initiative populaire et celui qui concerne la responsabilité du chef de l’État.
Je souhaite que nous puissions examiner prochainement l’ensemble de ces textes, car la loi constitutionnelle dont ils découlent date, il faut le rappeler, de juillet 2008 ! L’article 71-1 de la Constitution, résultant de la loi constitutionnelle susvisée, crée un Défenseur des droits, auquel toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public pourra adresser une réclamation. Le Défenseur des droits prend la suite d’une institution créée en 1973 et dont l’importance n’a jamais cessé de croître depuis : le Médiateur de la République. Il est aujourd’hui incontestable que ce dernier a contribué à l’amélioration des relations entre l’administration et les citoyens. Il importe de rappeler et de souligner cette réussite, plus généralement la popularité de cette institution, pour mieux mesurer l’importance de celle qui doit la remplacer, d’autant que le Défenseur des droits a vocation à couvrir un champ de compétences beaucoup plus large que celui du Médiateur de la République. Le Défenseur des droits disposera, en effet, des prérogatives actuellement dévolues à la Commission nationale de déontologie de la sécurité, au Défenseur des enfants et à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité. En 2008, le constituant a donc voulu assurer le regroupement d’autorités administratives indépendantes aux missions voisines. Ce choix vise à consolider les missions de ces dernières en les confiant à une seule autorité constitutionnelle, dotée de pouvoirs renforcés. Le Parlement a continué sur cette voie, allant plus loin que ce que prévoyait le texte déposé initialement par le Gouvernement, puisque le Sénat avait, en première lecture, intégré la HALDE au périmètre du Défenseur des droits. Puis l’Assemblée nationale a franchi une étape supplémentaire en suivant les propositions de son rapporteur et en étendant les missions du Défenseur des droits au contrôle des lieux de privation de liberté. Ainsi, le texte voté à l’Assemblée nationale prévoyait l’intégration dans le champ de compétences du Défenseur des droits du Contrôleur général des lieux de privation de liberté à compter du 1er juillet 2014. En première lecture, la commission des lois du Sénat avait envisagé une telle intégration, comme l’a justement rappelé M. le rapporteur tout à l’heure. Mais, après un examen très approfondi de cette question, nous avons considéré qu’une telle mesure ne pourrait être décidée qu’au regard du premier bilan d’activité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il faut rappeler que cette autorité est apparue très récemment – elle a été créée par une loi de 2007 – et n’est réellement installée que depuis le mois de juin 2008. De plus, la mission du Contrôleur général des lieux de privation de liberté s’inscrit avant tout dans une démarche de contrôle et de prévention, au moyen de nombreuses visites sur place. Elle se distingue donc par sa nature de celle du Défenseur des droits, lequel, comme sa dénomination l’indique, a d’abord vocation à défendre les droits de nos concitoyens. Autrement dit, sur le fond, cette intégration n’est peut-être pas une bonne idée.
Quoi qu’il en soit, sur la forme, il s’agit sûrement d’une mauvaise idée. En effet, décider aujourd’hui d’une intégration qui ne prendrait effet que dans trois ans affaiblirait sans nul doute largement le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Nous nous félicitons donc de l’initiative de M. le rapporteur suivie par la commission des lois et visant à maintenir un Contrôleur général des lieux de privation de liberté indépendant du Défenseur des droits. J’espère que les arguments présentés par le Sénat sur ce sujet sauront convaincre l’Assemblée nationale. Concernant le Défenseur des enfants, une large majorité des membres du groupe de l’Union centriste sont favorables à l’organisation qui a été retenue dans le texte établi par la commission. Il était indispensable de maintenir un Défenseur des enfants dénommé comme tel, pour des raisons évidentes d’identification. Enfin, le rattachement de ce dernier au Défenseur des droits lui sera favorable, puisqu’il bénéficiera ainsi de moyens d’action renforcés. Au-delà, c’est l’ensemble des adjoints du Défenseur qui ont vu leurs prérogatives confortées par les travaux de la commission des lois : ils disposeront ainsi de moyens à la hauteur de leurs missions. À l’Assemblée nationale, la première lecture du projet de loi a été marquée par le dépôt de plusieurs amendements gouvernementaux relatifs à la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Le garde des sceaux a expliqué qu’il s’agissait de se conformer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, ces amendements font suite à un arrêt rendu par le Conseil d’État le 6 novembre 2009 annulant deux décisions de sanction de la CNIL sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Sur la forme, et à l’évidence, ces amendements peuvent être perçus comme des cavaliers législatifs. Néanmoins, l’urgence de la situation, elle, ne fait aucun doute. L’adoption de ces dispositions est donc indispensable, car l’activité de la CNIL est, depuis plusieurs mois déjà – ce point a été souligné –, largement contrariée par l’absence de base législative, conséquence de cette jurisprudence récente. Enfin, se démarquant des objectifs précités, l’un des amendements gouvernementaux vise à créer une incompatibilité entre la fonction de président de la CNIL et toute autre activité professionnelle, ainsi que tout mandat électif. Ce point a fait l’objet d’un large débat en commission, bien qu’étant fort étranger à la question du Défenseur des droits et que, en l’espèce, il ne s’agisse pas de se conformer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme... Autrement dit, si les premiers amendements relatifs à la CNIL ont pour justificatif l’urgence de la situation, le même argument n’est pas recevable pour la présidence de la CNIL. Sur le fond, la question posée est réelle : l’augmentation constante des missions et de la charge de travail de la CNIL et de sa présidence ne rend-elle pas cette fonction incompatible avec toute autre activité ? Notre ancien collègue Alex Türk l’a reconnu lors de la dernière réunion de la commission des lois. Cela étant, je rappelle de nouveau l’absence d’urgence que revêt cette question. Par ailleurs, je me permets d’insister sur le fait que cette problématique n’est peut-être pas limitée à la CNIL... Aussi, si une réflexion doit être engagée, elle devrait l’être de manière globale et prendre en compte l’ensemble des autorités administratives indépendantes. Pourquoi ne pas prévoir une présence parlementaire en leur sein ? Il serait regrettable que l’on donne l’impression de stigmatiser le cas de la présidence de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Au surplus, l’adoption en l’état de l’amendement gouvernemental en cause engendrerait une composition du collège de la CNIL non conforme à la définition qui en est donnée dans le texte fondant cette dernière. Pour conclure, je salue l’excellent travail réalisé par M. le rapporteur, Patrice Gélard, qui a su proposer aux présents textes de mise en œuvre de la dernière révision constitutionnelle de nombreuses améliorations de fond, comme cela avait déjà été le cas en première lecture, et rétablir l’interprétation retenue par la Haute Assemblée, lorsque c’était nécessaire. Dans ces conditions, la grande majorité des membres du groupe de l’Union centriste voteront pour l’adoption de ces textes. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)