Les débats

Collectivités territoriales
Jean-Jacques Lasserre 30/06/2014

«Débat sur la Corse et la réforme territoriale»

M. Jean-Jacques Lasserre

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier M. Alfonsi et son groupe d’avoir proposé ce débat dont l’intérêt, au regard des réformes territoriales qui se préparent et de l’histoire particulière de la Corse, semble plus qu’évident. Ce débat suscite également mon intérêt en ce qu’il peut être rapproché, à certains égards, de celui sur la collectivité basque, qui m’est chère. Tout aussi particulières, tout aussi sujettes à discussion quant à leurs compétences et leur mode de gouvernance : les points communs entre les deux collectivités sont nombreux. Malheureusement, au Pays basque, ce débat, comparé à celui qui a lieu en Corse, n’en est qu’au stade embryonnaire, et il est bien difficile de lui faire prendre forme tant les obstacles sont nombreux. Le Gouvernement ne me contredira pas sur ce point. Dans la perspective d’une évolution future de l’organisation de nos territoires, qui reste à décider, il convient de nous concerter, d’entendre les arguments des uns et des autres, sans conservatisme primaire ni réformisme béat. La Corse est aujourd’hui un territoire particulier, notamment de par son histoire. Elle a d’abord appartenu à la République de Gênes, avant de s’autoproclamer indépendante en 1735 et d’être enfin rattachée à la France. L’histoire est toujours nécessaire pour rappeler qu’il existe des liens singuliers entre la République et la Corse, lesquels ont justifié la création d’un statut spécial. En effet, la Corse est la seule collectivité territoriale à statut particulier au sens de l’article 72, alinéa 1, de notre Constitution. Les revendications vers plus d’autonomie ou vers plus d’indépendance de l’île ont assurément contribué à cette singularité. La loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région de Corse a créé l’Assemblée de Corse, qui dispose de larges compétences. Ce statut avant-gardiste perdra ce temps d’avance du fait, d’une part, de l’alignement des autres régions sur un fonctionnement semblable à celui de la Corse et, d’autre part, de la réintégration de l’île dans le droit commun électoral avec l’abandon de la proportionnelle pour l’élection des membres de l’Assemblée de Corse. C’est néanmoins la loi du 13 mai 1991 qui crée la collectivité territoriale de Corse et fait de l’île une collectivité territoriale à statut particulier. Il s’agit d’un modèle unique, d’une structure juridique et administrative sur mesure. Ce n’était pourtant que la première étape : la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse – cela a été dit – va être source de nouveautés institutionnelles, parmi lesquelles le transfert de nouvelles compétences, la création d’une partie du statut fiscal et l’introduction des dispositions sur la langue corse. Aujourd’hui, le projet de loi relatif à la nouvelle organisation de la République consacre un chapitre à la Corse. Deux enjeux majeurs sont à prendre à compte. Le premier est d’assurer le développement de la Corse en tenant compte de sa culture et de son insularité. Vous l’avez compris, nous sommes, et moi le premier, très attachés à la reconnaissance de la spécificité culturelle des territoires. Le deuxième est de garantir une certaine cohérence économique. En effet, l’esprit de la réforme est de fusionner des régions pour permettre l’émergence d’une logique de développement économique mutuel. Si je ne peux que partager cette volonté, le découpage proposé risque néanmoins de créer des régions à deux vitesses. Face à de grandes régions fortes économiquement, il est nécessaire que l’île dispose enfin des moyens nécessaires à son développement. Dans le projet de loi figurent des mesures dont l’objectif est d’améliorer le fonctionnement institutionnel de la collectivité, parmi lesquelles l’application à la Corse de toutes les dispositions législatives relatives aux régions, dès lors qu’elles ne sont pas contraires à celles régissant la collectivité territoriale de Corse, ou encore la prorogation du programme exceptionnel d’investissements pour la Corse. Par ce dernier, près de 2 milliards d’euros ont été mobilisés en dix ans pour assurer la pérennité économique de l’île. Ces investissements ont produit des résultats exceptionnels, dont une forte croissance économique de près de 2,5 % par an, qui dépasse celle de beaucoup d’autres régions. Je le disais, la singularité de la Corse doit être reconnue et s’inscrire dans la loi : la loi de la République doit s’adapter aux singularités territoriales. L’Assemblée de Corse, dans une délibération de septembre 2013, a formulé des souhaits pour le futur institutionnel de l’île. Elle a ainsi demandé l’inscription de la Corse dans le cadre de l’article 74 de la Constitution, la co-officialité de la langue corse et l’instauration d’un statut de résident. À cet égard, je partage certaines des analyses qui viennent d’être évoquées. La mise en place de ces mesures rencontre bien entendu des difficultés, tant au niveau du droit interne que du droit européen. D’une portée symbolique, elles méritent toutes d’être étudiées. Les questions qui nous sont posées doivent être entendues et traitées. Première question : peut-on rendre compatibles les revendications régionalistes et les principes républicains auxquels nous sommes tous attachés ? Ne craignons pas de répondre par l’affirmative. L’histoire démontre que la surdité des États aux demandes spécifiques, sous couvert de respect des principes républicains, conforte trop souvent les revendications nationalistes dans leurs excès. Notre devoir est certes d’affirmer les principes républicains, mais également d’aménager la loi chaque fois que cela possible. Dans les domaines de la langue, de la culture, du développement économique ou de l’aménagement territorial, les spécificités doivent pouvoir se retrouver dans les modes de gouvernance. Deuxième question : quelle attitude adopter face à la violence ? Une règle devrait être de mise : ne jamais rejeter les perspectives de dialogue. Nous devons certes réaffirmer les obligations républicaines, mais en manifestant, dans le respect, la volonté de dialoguer. Troisième question : le débat qui va s’engager sur la réforme territoriale laissera-t-il suffisamment de place aux expressions régionalistes ? Monsieur le ministre, égalité ne veut pas forcément dire uniformité. Les discours sur l’égalité sont malheureusement trop souvent simplificateurs, parfois afin d’éviter les questions complexes. Personne ne conteste l’égalité devant les droits fondamentaux et j’espère que le débat sur la réforme territoriale nous permettra de poser la question des spécificités régionales, qu’il s’agisse des Basques, des Bretons ou des Corses. J’espère également qu’il nous offrira l’opportunité d’être suffisamment créatifs pour traiter, au cas par cas, des modèles de gouvernance adaptés et responsabilisants. Nous espérons, enfin, que ce débat fera de nous les artisans de l’apaisement, et ce, tout d’abord, par l’écoute et le traitement de tous les dossiers préoccupants avec l’ensemble des partenaires. (M. Ronan Dantec applaudit.)