Les débats

Collectivités territoriales
Jean-Marie Bockel 26/03/2013

«Débat sur les conclusions de la mission commune d՚information sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle »

M. Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, force est de constater que la réforme de la taxe professionnelle constituait, à première vue, une bonne initiative. En effet, elle s’inscrivait a priori dans une démarche de simplification de la fiscalité économique locale, l’objectif étant de développer la compétitivité des entreprises en allégeant leur charge fiscale à travers la suppression de la taxation sur les investissements productifs. Cette démarche vient de loin : il y a une dizaine d’années, l’association des grandes villes de France, que je présidais alors, débattait déjà de cette question avec les entreprises et le gouvernement de l’époque. Par la suite, le rapport Lambert a été publié, des tables rondes ont été organisées. Bref, cette réforme n’est pas soudain tombée du ciel en 2009 : on en comprend mieux l’esprit lorsqu’on se réfère à toutes les réflexions qui l’ont précédée. La taxe professionnelle représentait 45 % des recettes fiscales des collectivités territoriales dans leur ensemble, et 18 % de leurs recettes de fonctionnement. Le produit payé par les entreprises était de l’ordre de 30 milliards d’euros. C’est dire si cette réforme a bouleversé le paysage de la fiscalité locale, sans pour autant donner aux acteurs locaux les outils nécessaires à leur dynamisme. En 2010, les collectivités ont perçu une compensation relais qui s’est substituée à la taxe professionnelle. Très bien ! Toutefois, en 2011, leurs ressources ont subi d’importants changements, en raison de l’instauration du nouveau panier fiscal perçu en lieu et place de la taxe professionnelle. C’est alors que les difficultés se sont fait jour. De fait, à l’origine, la réforme se fondait sur le principe de la compensation intégrale et de l’équilibre. Qu’en est-il aujourd’hui ? Que peut-on attendre de l’évolution à venir ? La contribution économique territoriale a-t-elle vocation à devenir une ressource dynamique pour soutenir l’investissement public, ou s’agit-il simplement de garantir un équilibre fixé pour la seule année 2010 ? À l’époque, la réforme nous semblait financièrement neutre. Néanmoins, à moyen et long terme, les transferts de ressources auront bien des effets différents selon le poids des diverses composantes du nouveau panier fiscal de chaque collectivité, notamment dans leurs potentiels de croissance respectifs. Le risque est alors de créer des situations à géométrie variable en fonction des territoires et des collectivités, au point de rompre la solidarité de ces espaces et de creuser une fracture territoriale difficilement supportable, tant pour nos concitoyens que pour les collectivités. En somme, le nouveau panier fiscal ne connaît pas une croissance aussi soutenue que la progression enregistrée par les bases de la taxe professionnelle. Dès lors, les leviers fiscaux dont disposent les collectivités sont moins importants qu’auparavant, avec une autonomie fiscale réduite et une perte de dynamisme des bases, le tout dans un contexte économique général particulièrement tendu, que nous avons tous mentionné. Pour ma part, je m’attacherai à certains aspects de la situation actuelle. Tout d’abord, la CET est plafonnée à 3 % de la valeur ajoutée des contribuables, au lieu de 3,5 % pour la taxe professionnelle, ce qui réduit le recours au levier fiscal. La collectivité vote le taux de la CFE mais celui de la CVAE est, lui, établi au niveau national et figé à 1,5 %. Il est lié aux évolutions nationales et internationales : voilà pourquoi sa progression est, naturellement, fortement ralentie. Monsieur le ministre, dans le contexte actuel de crise économique et de mutation profonde de nos territoires, ces mécanismes ne sont-ils pas de nature à affecter le dynamisme des collectivités locales, en amputant leur capacité à investir – à une époque où on attend beaucoup de leurs investissements, notamment dans le monde de l’entreprise – tout en accroissant leur dépendance à l’égard de l’État ? Nous avons tous un vécu local particulier. J’ai à l’esprit, quant à moi, le devenir de mon agglomération mulhousienne. En 2011, nous avions modérément actionné le levier des taux d’imposition. Nous avions également agi sur la fiscalité additionnelle et mis en place notre propre politique d’abattement de taxe d’habitation, afin d’atteindre le niveau de ressources nécessaire pour couvrir nos dépenses. Nous avions dû agir sur deux postes, la CFE et les impôts-ménages, car les autres recettes étaient figées. Cela a bien entendu entraîné une perte de dynamisme, que, au vu des évolutions antérieures à la réforme, nous avons évaluée à 1,5 million d’euros par an. C’est, bien sûr, un chiffre important. Les limites de ce levier fiscal sont apparues en 2012, dans le contexte de crise touchant aussi bien les entreprises que les ménages. Nous nous sommes alors engagés dans une politique d’économies – c’est toujours possible – et de modération de la fiscalité. Elle pèsera naturellement sur nos investissements et sur les services à la population. Certes, nous essayons de procéder de manière raisonnable et équilibrée, mais nos décisions ne sont évidemment pas neutres. Voilà pourquoi, comme tous mes collègues, je m’interroge sur le bilan de cette réforme. Tout n’est, certes, pas noir ou blanc, comme pourrait le laisser penser le propos quelque peu manichéen de notre collègue Frédérique Espagnac. Nous comptons sur vous pour, dans les mois ou les années qui viennent, améliorer la méthode, dont je reconnais qu’elle était perfectible, prendre en compte la situation économique et les attentes des collectivités ainsi que la défense de la justice fiscale. Peut-être, alors, porterez-vous un jugement plus nuancé sur l’exercice auquel nous nous sommes confrontés. Il était difficile hier et avant-hier, il l’est aujourd’hui et il le sera toujours demain ! Dans ce domaine, en effet, l’art est difficile… Nous hésitons, bien sûr, à agir sur le levier fiscal. Nous nous contentons donc de limiter les dépenses et les investissements. Ces choix auront certainement des conséquences préjudiciables, qui doivent être évoquées avec le Gouvernement, dans un esprit ouvert. On le sait bien, en effet, l’essentiel des investissements créateurs d’emplois, en particulier dans le secteur du BTP, en crise, proviennent des collectivités locales. Nous attendons donc beaucoup du dialogue à venir entre le Parlement et le Gouvernement, afin de parfaire cette méthode, d’en éliminer les effets pervers et de retrouver l’esprit originel de cette réforme, qui était très positif. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)